Voyage au bout du vide électoral et de l’abstention
Ce dimanche matin, votre narrateur a voté dans son village. L'abstention sert d'abord les autres, et je refuse la politique du pire même s'il y a beaucoup à reprocher au système français, fort peu démocratique quant à la représentation de la diversité des courants d'opinion dans son assemblée nationale et son sénat ; deux clubs de bourgeois libéraux à l'image des édiles de la république romaine antique.
Pour les régionales (scrutin à la proportionnelle) et les cantonales, c'est différent. Toutefois les compétences de ces élus de proximité sont assez limitées, et c'est souvent la logique du plus clientèliste qui l'emporte. Mais bon, j'ai imité les 28% d'inscrits qui se sont tirés du lit pour aller s'exprimer dans l'urne, avant un footing ou une balade à vélo.
Première surprise, je n'ai pas reçu les enveloppes avec bulletins et tracts. Ce n'est pas la première fois. Deuxième surprise, le bureau de vote n'était pas dans la mairie. En scrutant l'horizon, c'est en apercevant deux petits vieux sortant du réfectoire de la cantine scolaire que j'ai compris où se situaient les débats. Arrivé sur place, dans une ambiance digne du Shining de Kubrick, je me retouve dans une vaste salle pauvrement meublée de quelques tables avec tracts, et une grosse boite transparente avec une poignée d'enveloppes bleues au fond.
Je suis accueilli par un monsieur qui est le seul à sourire : c'est le nouveau maire. Je l'entretiens de mon problème et il s'avère que l'adresse erronée qui figure sur les listes n'a toujours pas été modifiée, malgré mes démarches en mairie à l'occasion des précédents scutins. Une cause supplémentaire de l'abstention, en supposant que ce problème est fréquent ? J'ai tout de même pu voter, sans risque de contamination au covid. Personne avant, un autre couple de retraités après... Cette atmosphère sinistre, ce petit peuple écoeuré par la crise sanitaire et la médiocrité de notre classe politique, la crise sociale pour les plus jeunes, les affaires et la corruption : c'est déprimant, la république est anxiogène...
Les raisons de l'abstention sont multiples. Mes voisins n'ont pas voté pour des motifs que je comprends aisément. En région Centre, il n'y a presque plus de médecins et de dentistes, les transports en commun sont réduits au minimum, le chômage est élevé. Les candidats au mandat de conseiller régional ne proposent pas grand-chose pour y remédier. La construction d'un parc d'attraction géant (RN), des éoliennes (écolos), un pass gratuit pour les jeunes dans les quelques transports publics (PS/REM), moins d'impôts (pour la patronne d'agence immobilière des républicains), la révolution prolétarienne (lutte ouvrière) : pas de quoi motiver les foules et redorer le blason de la démocratie républicaine bien moribonde faute de conscience collective et de civisme. Comment mobiliser un peuple avachi par la consommation, la publicité, les prêts bancaires, l'assistanat quand une poignée de privilégiés vit dans des quartiers protégés avec écoles privées, boutiques de luxe et loisirs à gogo ?
La crise des gilets jaunes, très présents dans la Beauce, semble désormais ignorée par les médias, davantage obsédés par la lutte contre le "complotisme", c'est-à-dire le droit de faire fonctionner son cerveau, pour mieux comprendre la société et essayer de la changer pour donner des perspectives aux jeunes. Plus de vingt ans après l'abandon de notre souveraineté et la libéralisation de notre économie alliée à la dictature de la dette, le français moyen vit plus mal que ses parents, et il ne croit plus au système démocratique, simple machine à élire des contremaitres rentiers qui n'ont pas la volonté d'améliorer leur quotidien.
Après tout, les français n'ont fait que suivre les recommandations du général De Gaulle : la politique de la chaise vide quand on ne peut plus discuter. Cette abstention n'est pas qu'un simple rejet, c'est aussi une sanction envers tout un système. Pour autant, ne plus voter est aussi un acte de repli sur soi : comment changer les choses autrement ?
En attendant, les magouilles continuent : désistements, front républicain, arrangements. Il faut tout revoir, revenir à la proportionnelle intégrale (voir le modèle suisse), interdire le cumul des mandats, pratiquer la démocratie directe (référendums), développer les comités de quartier. C'était d'ailleurs le programme des gilets jaunes : une preuve que seule l'action dans la rue peut payer ? Ce n'est pas votre narrateur qui l'affirme, mais ceux qui refusent d'entendre les aspirations populaires. L'extrêmisme est la conséquence des blocages, du mépris et des privilèges.
Je voterai malgré tout au deuxième tour dimanche prochain, une entrée en matière matinale avant mes vingt kilomètres à vélo traditionnels. Espérons que quelques jeunes se déplaceront, un peu d'idéalisme ferait du bien en cette époque troublée et morose...
Après l'effort électoral, le réconfort...