samedi 23 octobre 2010 - par
Jacques et la carotte géante
Ne chipotons pas les détails et posons qu’avant 1700, la masse des Français convenait qu’il soit normal ou dans l’ordre des choses, à partir du moment où l’on trouve bien d’être gouverné par un chef, qu’il y ait une chefferie dotée de privilèges (les chefs servent la Nation en étant son épée contre les méchants et en contrepartie, la plèbe nourrit cette chefferie)
Posons qu’à partir de 1550, cet état de chose ait été considéré comme trop dogmatique et ait été progressivement mis en cause par un nouveau concept d’égalité profonde, surtout intellectuelle et morale donc, entre tous les individus de la Nation. En gros, on allait à dire que chacun était polyvalent, que chacun était remplaçable par chacun.
Cette voie égalitariste par l’éducation, la connaissance, l’éducation, l’apprentissage, défonçait donc le dogme précédent fondé sur une question de droits et devoirs par le lignage, par le sang. Ce dogme ayant été lui-même précédé par un autre davantage fondé sur la bravoure et l’adresse au combat physique que par le lignage.
Pour parvenir à briser le dogme du lignage qui était soi-disant soutenu par Dieu, la voie égalitariste avait déployé des prodiges de dialectique en recourant en particulier au mot UNIVERSEL. Il fallait bien un concept aussi gigantesque pour peser contre celui de Dieu.
Un peu après 1789, Napoléon 1er avait rétabli l’esclavage aux Antilles contre l’avis des Révolutionnaires des premières heures et de régime en régime, il faudra attendre disons 1960 pour que le principe égalitariste universel devienne un peu plus appliqué. Jusque là, à l’exception de quelques puristes de l’égalitarisme, le peuple français dans son ensemble voulait bien de ce principe dans ses frontières mais pas au-delà. Ne remuons pas le couteau dans la plaie du colonialisme mais convenons simplement que même aujourd’hui, nombreux sont les Français qui relativisent l’égalitarisme ou en restreignent, au moins in petto, son champ de validité.
Comme depuis 1800 la masse des Français a tenu un double discours, égalitariste dans ses frontières mais différencié au-delà, elle a forcément mis en place des systèmes et structures jouant de ce double discours "Un coup je peux me montrer égalitariste, un coup je peux me montrer supérieur".
L’école est un des endroits où se pratique ce double discours :
- Vous pouvez tous réussir si vous travaillez / Les meilleurs élèves auront les meilleurs emplois.
- Soyez camarades, entraidez-vous / Rendez votre copie seul sans copier ni aider votre voisin.
- Travail insuffisant / Elève doué
Le double discours conduit tôt ou tard à la schizophrénie, au blocage, à la rigidité ou à la dépression.
Mercredi, l’UGPBAN publiait sur AVox un article pour nous sensibiliser sur le problème que vivent les bananiers de la Guadeloupe et de la Martinique " La banane durable peut-elle durer ?"
En gros, les pouvoirs publics français, sensibilisés par cette activité, l’avaient depuis longtemps aidée. On ne pouvait acheter, en France, que de la banane de nos Antilles.
Mais, universalisme oblige, la France devait bien entendre les revendications des pauvres Latinos lors des conférences Sudistes et ouvrir son marché à la banane archi exotique comme elle l’ouvrait déjà au chocolat, au café et au riz archi exotiques.
On avait donc, nos Martiniquais et Guadeloupéens qui, dans un premier temps, réclamaient qu’ici on mange de la banane et qui demandaient qu’on tienne compte de leur misère en leur offrant un régime préférentiel. Mais les voilà qui, tout en bénéficiant de la couverture maladie universelle, de la déclaration universelle des droits de l’homme et de l’enfant, demandent maintenant qu’on n’universalise pas au-delà de leur île, qu’on offre pas à des gens plus misérables qu’eux, les mêmes droits.
Le concept de commerce équitable exclut la notion de frontière ou de marché protégé. Selon lui, les consommateurs doivent pouvoir acheter le plus directement possible aux plus pauvres de la Planète pour les sortir de la misère. Implicitement, nos bananiers des Antilles y sont opposés. Ils veulent bien du commerce équitable si c’est à eux qu’on achète. Pas si c’est à d’autres.
L’hôpital en vient à se moquer de la charité quand il est fondé sur un double jeu.
Ce jeu bizarre conduit notre Antillais à préciser qu’il est mieux payé, qu’il travaille dans de meilleures conditions que le Latinos, qu’il est donc plus cher et qu’il faut donc le protéger en payant ses bananes plus chères soit au magasin soit en impôts.
Ce qui se passe dans cette histoire Antilles-banane-Latinos, se passe en Métropole, il suffit de remplacer banane par chaussure, aspirateur ou télé et Latinos par Polonais, Roumains et Indiens et ça le fait.
Nous pourrions en finir avec le double langage en élaborant un autre concept. Maintenant qu’on est suffisamment éloigné du concept de lignage, maintenant qu’on n’a plus peur de Dieu, on pourrait laisser mourir de sa belle mort l’universalisme.
Le Monde est bigarré et si l’on faisait un véritable référendum planétaire sur des concepts à vocation universelles, aucun ne passerait. Le seul qui aurait quelques chances d’être adopté par tous serait celui de la liberté de chacun d’aller et de vivre où il veut (en partageant les droits et devoirs liés à l’endroit choisi). Et encore, j’en vois plein qui n’ont jamais quitté leur quartier et qui verraient d’un très mauvais oeil que n’importe qui puisse s’installer près d’eux.
L’air de rien, le mot universel fait peur à énormément de gens. Et ils n’ont pas forcément tort.
Une fois ce mot universel enterré, nous sortirons automatiquement des notions contenant de l’absolu ou de l’infini. Dont celui de la richesse. (les seules notions qui surferont mieux que jamais sur les infinis seront celles qui relèvent de l’amour)
Non seulement le mot "universel" était chargé d’infinitude mais, convenons-en, il s’agissait, à l’époque où il fallait repousser Dieu, de l’imposer au Monde. Il fallait que notre fantasme devînt réalité, qu’il se répandit partout. Et c’est cette visée impériale, hégémonique, qui faisait peur à bien des gens d’ailleurs. Ca fait 200 ans qu’on essaye de refourguer cette merveilleuse idée d’universel et que ça ne marche pas. Même les pays amis qui ont juré père et mère sur l’universalisme, le bafouent constamment. Même nous.
Quand nous en aurons fini avec l’ universel, (il nous faudra peut-être deux siècles pour en arriver là) nous pourrons aborder la question de l’infini des richesses. Nous pourrons constater que globalement, ce qui nous fait souffrir la plupart du temps, ce n’est pas que nous ayons trop peu de soleil, c’est qu’il y en a qui se le réservent impérialement.
Nonobstant la question du prix, une simple opération nous permet de comprendre que nous ne pouvons pas être 60 millions à disposer d’une piscine de 200 m² ensoleillée d’une vue directe sur la Côte d’Azur. Nous ne pouvons pas être 60 millions à vivre dans 200 m² avec balcon sur le Champs de Mars non plus.
Nous serions tous parfaitement heureux avec notre Sam’suffit et nos trois nains de jardin si nous n’avions pas le sentiment que certains, parce qu’ils sont milliardaires, peuvent faire raser notre quartier pour y installer leur palais. En fait nous serions heureux si personne ne gagnait plus de 10 000 E par mois.
Comme il ne peut être question que cette limitation à 10 000 soit universelle, il s’agirait d’un système seulement national.
Il est de plus en plus clair que nos concepts politiques contenant trop d’infinis (ou ne les interdisant pas) permettent à un seul individu d’acheter le pays entier et de faire de nous ses valets s’il est bon stratège.
Comme son avatar le loto, la carotte de la réussite présentée comme accessible à tous mais en réalité prenable par quelques uns seulement, pousse la masse à accepter ce jeu fou qui la frustre parce qu’elle se sent infiniment dépassée par quelques pointures devenant symboles de réussite.
Cette folle course en avant de tous, génère à la fois un rapide épuisement des ressources, des espaces et du sentiment de bonheur dans la population.
Cette plus haute marche dont on ne limite pas la hauteur et que l’on propose à tous les élèves soi-disant camarades mais en réalité rivaux, est un leurre épuisant.
Est-il possible de vivre ou survivre dans un pays où les revenus seraient plafonnés à 10 000 alors que partout ailleurs ils peuvent être infinis, alors que partout ailleurs règnerait encore le fantasme du Roi du Monde ?
A l’époque où il n’était pas concevable de se passer de roi par lignage, les Américains et les Français avaient eu l’audace de tenter le coup (sans trop y réfléchir avant, à vrai dire). Alors pourquoi ne pas tenter l’expérience des revenus limités au lieu de nous prendre la tête avec les impôts par milliards sur des gens gigamilliardaires ?
Il y a 40 ans, à Vancouver, naissait Greenpeace. On y développait un concept nouveau où il était question d’interdire l’exploitation infinie des ressources naturelles. Par rapport au discours de Victor Hugo (pour prendre quelqu’un que j’aime beaucoup) qui exhortait les Français à aller se servir des inépuisables trésors de l’Afrique, celui de Greenpeace était très contrariant et il en a contrarié plus d’un. Mais progressivement, son concept de "manger raisonnable" s’est imposé et désormais, partout sur la Planète on peut évoquer Greenpeace pour dire stop à la dévoration. Greenpeace n’a rien de communiste, ce n’est que du bon sens au service d’une vision d’économie des ressources et valeurs naturelles.
De plus en plus de choses, dont les ressources naturelles, nous apparaissent désormais limitées et nous sommes invités par les courants comme Greenpeace à consommer moins. Mais pour autant, tout et plus reste permis aux plus gourmands.
Bien des misérables surtout minés par la jalousie (le sentiment de jalousie est la réponse normale à un contexte injuste) qui n’avaient que l’espoir de devenir un jour kilomillliardaires (car c’est ça ou rien) vont hurler "Nooooonnnn pas la carotte, pas la carotte, ne touchez pas à la carotte géante, on n’a plus que ça pour rêver !"
Je les comprends mais je crois qu’il faudra bien qu’on sorte un jour de notre folie.
Au fait, vous connaissez le WHY ?
Le libéralisme oui, le mérite oui, la compétition oui, mais pour gagner une médaille en bronze, en argent ou en or, pas pour devenir le maître du Monde.
Ce concept de revenus limités sera certainement très critiqué. Il y aura mille et mille arguments contre ; comme il y en avait eu autrefois pour conserver les rois.
Peu importe. Ce qui compte c’est d’avoir dit une première fois que la gourmandise matérialiste est un très vilain défaut et qu’elle doit être concrètement limitée.
Quand sur un radeau on manque d’eau, on la rationne, riche ou pauvre, c’est la même ration. Il serait temps d’en faire autant concernant tous les biens matériels du monde.