La Pyramide des valeurs
Les temps exigent que la voix rare de l’Humanité se fasse entendre de nouveau de manière forte et claire, et que l’Humanité, à travers ses grands représentants de la pensée et ses peuples, se positionne solennellement sur les valeurs qu’elle veut défendre en commun. Il ne s’agit plus aujourd’hui ni de tergiverser ni de réduire notre action à des réactions au coup par coup aux actes et aux menaces de quelques barbares. Nous devons, au contraire, affirmer nos valeurs et assumer nos choix du seul point de vue qui nous honore : celui de l’Humanité.
I - La pyramide des valeurs
Nous jugeons sans cesse : les actions, les intentions et les pensées. Or, un homme qui juge interprète une situation par rapport à des valeurs.
Qu'est-ce qu'une valeur ?
La valeur est une construction du désir qui prend une dimension universelle. La valeur émerge naturellement avec le désir ; elle se généralise avec l'assentiment du corps social. Classiquement, il s'agit du Vrai, du Bien et du Beau. Mais la démarche ici se veut pragmatique : nous prendrons pour base les trois formes de l'intelligence humaine pour dégager les principales valeurs.
Le socle de cette pyramide comprendrait toutes les valeurs communes et « premières » à tous les grands systèmes de pensée. Celles des croyants comme celles des non croyants. Le respect de la vie fait forcément partie de ce socle initial et fondateur. Les nuances essentielles pouvant être indiquées en commentaires (par exemple, les divergences sur la conception du début de la vie du bébé, l'IVG, l'euthanasie, la peine de mort).
Au sommet, le Beau et l’Idéal. A ce niveau, les conceptions sont multiples et ne serait conservé en références que ce qui est consensuel.
Cette pyramide doit se détacher de toute considération anthropocentriste et ethnocentriste ; elle doit coller au plus près de la réalité naturelle et sociale selon la théorie de la connaissance, pour éviter au maximum les excès de l'idéalisme.
Popper et la théorie des trois mondes
Karl Popper classe le monde en trois grandes sphères. Premièrement, le monde des objets physiques ou des états physiques, deuxièmement, le monde des états de conscience, et troisièmement, le monde des productions de la pensée. Karl Popper n'oppose pas la science à la métaphysique. Sa métaphysique est même un compromis entre les deux.
La triple présence au monde
Comme le l'ai expliqué dans "Le Sens des valeurs" et "Le sens de la vie", la présence de l’être au monde est triple : par l'intelligence physique (physiologique et active), par la conscience (connaissance et représentation), par la pensée (productions abstraites : langage, concepts, etc.). Cette théorie se rapproche de la théorie des mondes de Popper :
- l'intelligence physique est le mode d'adaptation organisationnelle correspondant au monde 1 de Popper,
- la deuxième forme d'intelligence - la conscience - est aussi nommée "conscience" par Popper pour le monde 2,
- enfin la pensée est nommée "pensée" aussi par les deux théories en troisième position.
Ces trois variantes de l'intelligence servent donc des critères à la confection d'une première proposition de liste des valeurs à inscrire dans la pyramide des valeurs universelles.
1°) Les valeurs attachées à l'intelligence physique
L'intelligence physique est à la fois physiologique et active. Il s'agit, d'une part, de l'intelligence organisée autour de la perception (les sens, les cordes sensibles et les capteurs d'émotions) et, d'autre part, de l'intelligence dédiée à l'action.
Les valeurs qui se dégagent à ce stade sont les valeurs du "bon" et du "mauvais" (dimension physiologique), mais aussi du favorable et du défavorable (dimension de l'action) sur le plan individuel et subjectif. Avec une dimension morale cette dualité devient le juste et l'injuste dans la sphère de la pensée.
Le bon et le mauvais sont vus ici en-dehors de toute connotation morale, la morale étant du ressort de la pensée, la troisième et ultime forme de l'intelligence.
2°) Les valeurs attachées à la conscience
La conscience est deux choses : connaissance directe du monde, représentation du monde.
La valeur de la vérité : Dans sa fonction connaissante, la conscience est à l'origine de la valeur du Vrai ressenti (différent de la vérité réelle). Mais la valeur du Vrai relève aussi de la fonction représentative de la conscience : on veut connaître le vrai par la recherche au fond de notre conscience et on souhaite généralement représenter les choses d'une façon vraie à l'intérieur de nos esprits pour ne pas tomber dans le danger des illusions mais aussi pour communiquer avec les autres sur une base commune de représentations assurées.
La connaissance de soi passe par l'étape de la conscience de soi (cogito cartésien). Elle entraîne l'autonomie. Cette autonomie suppose à son tour la pleine responsabilité de ce que nous décidons. C'est la valeur de la responsabilité individuelle.
La conscience de l'Autre : la conscience des autres étend ma responsabilité aux autres. Emmanuel Levinas parle du visage de l'Autre qui nous engage et nous oblige. Engagements, devoir, dette, sont des exemples de notions qui se rattachent à la responsabilité envers les autres. Cette conscience nous rend redevable envers ceux qui nous ont aidé, c'est la gratitude.
- Les rôles familiaux aident les hommes et les femmes à tenir leurs obligations entre époux, envers leurs enfants. Dès l'Antiquité, les devoirs familiaux ont été proclamés dans de nombreux textes de lois ou textes sacrés : en Grèce, le décalogue de Solon (dont le précepte « Respectez vos parents »), les Vers dorés attribués à Pythagore (« Sois bon fils, frère juste, époux tendre et bon père »), dans la bible, dans le coran, etc.
- La dette est un engagement très particulier, elle fut très tôt réglementée, d'abord par le code Hammourabi : la règle du talion - pour la dette de sang-, reprise par la Bible (Exode 21,23-25), et le Coran qui prévoit cependant un adoucissement dans la Sourate II, verset 178. Le Coran consacre aussi son verset le plus important (verset 282) à la réglementation détaillées des conditions de la dette.
Solon (né vers 640 av. J.-C. – mort vers 558 av. J.-C) fut le sauveur de la Grèce endettée. Il fit sa devise du précepte de Delphes « Rien de trop » et, en application de ce principe, mit fin aux conflits sociaux de la cité d'Athènes où l’esclavage pour dettes réduisait fortement le nombre d’hommes libres, et alimentait les conflits.
- La conscience est aussi le siège de la confiance. Pour la confiance dans les autres, les Vers dorés pythagoriciens sont de bon conseil : « Choisis pour ton ami l’ami de la vertu ». Ce qui renvoie à Solon « Ne vous hâtez point à choisir vos amis », « Évitez la société des méchants ». Pour ce qui relève de la confiance en soi-même, les Vers dorés disent ceci : "Ce que tu ne sais pas, ne prétends pas le faire ; Instruis-toi : tout s’accorde à la constance, au temps." Ils recommandent aussi l'exercice du bilan quotidien :
« Que jamais le sommeil ne ferme ta paupière
Sans t’être demandé : Qu’ai-je omis ? Qu’ai-je fait ?
Si c’est mal abstiens-toi, si c’est bien persévère. (…) »
La confiance est donc bien une valeur importante.
3°) Les valeurs rattachées à la pensée
Ici les valeurs sont la sincérité, l'honnêteté intellectuelle, l'engagement à dire la vérité. Là encore, certains textes sacrés se font insistants, c'est le cas du coran qui exige une probité irréprochable dans le cadre du témoignage, une notion très développée dans ce livre saint. Aux Etats-Unis, on jure (ou jurait ?) sur la Bible sous l'inscription "in go we trust". Le délit de parjure est sévèrement puni.
Le bien et le mal. La morale a introduit dans la dimension de la pensée les constructions du bien et du mal. Ce sont sans doute les valeurs les plus dangereuses dans leur interprétation et dans leur utilisation. Au-delà de quelques principes de base, comme l'interdit de l'inceste et de tuer, chacun les apprécie selon son intérêt.
Le Beau et l'Idéal sont enfin les valeurs les plus élevées. Ce qui explique qu'elles descendent parfois et interfèrent avec la vérité en créant l'illusion que la vérité se confond ave le Beau. L'esprit critique indépendant et de bonne volonté doit être capable de regarder en face toute vérité même dure, même désagréable.
On comprendra que l'invocation des valeurs idéales est indécente quand les valeurs du bon et du mauvais ne sont pas prises en compte d'abord. L'exemple du monarque amateur d'art qui laisse mourir de faim et de maladie ses sujets est explicite.
II - Pour une proclamation universelle des valeurs humaines
La pyramide des valeurs proposé est un modèle susceptible d'être adapté au projet de proclamation universelle des valeurs de l'humanité. Les valeurs qui constituent la base de l'édifice correspondent aux nécessités les plus criantes et les plus authentiques aussi, car proches de l'intelligence du corps. Ainsi, la compassion, par exemple, en fait-elle partie, car c'est une émotion ressentie.
L’Humanité n’obéit à personne ni en rien d’autre qu’aux valeurs supérieures sur lesquelles elle s'entend.
Tant que nous déciderons en fonction de la seule menace, nous ne ferons que céder : les plus intransigeants, qui prônent des mesures excessives cèdent sur nos libertés (et pas qu’un peu), les tolérants cèdent sur les principes et la sécurité. Tant que nous nous positionnerons uniquement par rapport à ceux qui créent la menace, nous céderons et nous perdrons l'emprise sur les choses.
Le point de vue qui doit s'imposer doit être celui de l’humanité entière, celui des barbares que l'on entend que trop ne représente qu’eux-mêmes. Il faut prendre le point de vue général de l’humanité et de son « corps sain » et préserver ce corps sain des maladies galopantes qui nous font perdre tout sang-froid et tout sens des valeurs. L’humanité doit s’exprimer d’un bloc sur le projet qu’elle entend mener avec la participation de tous, et décider sur la base de quelles valeurs, elle veut lutter contre les fausses valeurs et les valeurs de mort.
C’est le corps social qu’il faut soigner. Il faut se poser à la question suivante "qu’est-ce qui fait un corps sain ?" Or, les valeurs dominantes (économiques, politiques, spirituelles) sont aujourd’hui contestées. Il faut tout repasser en revue autour d’une sorte de contrat social des valeurs à respecter par tous. Ainsi seront rejetées, par TOUS, les pires tendances qui sévissent, ultra minoritaires et qui veulent réduire toute forme de pensée.
Cela supposerait bien sûr une réelle et forte volonté parce que peu de gens veulent vraiment changer une société et des modes de vie dont il s'accommodent. Mais, je suis persuadé, aujourd’hui, que c’est par une refondation universelle de nos valeurs que nous trouverons la réconciliation et non en sommant une religion de se réformer toute seule. Le but à poursuivre est de rassembler autour des valeurs fondamentales communes et non d’opposer les civilisations ni les individus les uns aux autres.
Cette déclaration universelle des valeurs serait l’œuvre de l’humanité tout entière dans l’expression du meilleur d’elle-même. Un certain accord a pu être trouvé pour l'environnement avec la conférence sur la Cop 21. L'ONU a été créée pour favoriser la paix dans le monde, une déclaration universelle des droits humains a été édictée. Des instances ont pour mission de surveiller, de dénoncer les atteintes aux principes proclamés et, autant que faire se peut, d'agir par influence ou tout autre moyen efficace pour que les atteintes cessent.
Par le passé, des congrès se sont réunis et ont abouti à la publication de pactes solennels à valeur supranationale et supra légale, pourquoi ne serait-il pas possible de reproduire la méthode pour fonder les valeurs universelles communes ?
Pour parvenir à un texte qui soit respecté, toutes les cultures et tous les cultes devront être représentés, à l'exception des courants violents. Une fois la proclamation votée, le contrôle de l'effectivité de son respect serait assuré par des organismes déjà existants (ne créons pas une instance de plus !), les états eux-mêmes, et par tous les acteurs et citoyens qui devront être responsabilisés au plan collectif comme au plan individuel.
Sous quelle forme ?
Cette déclaration universelle des valeurs pourrait prendre la forme de la « Déclaration universelle des droits de l’homme » (lien), sur son modèle que voici :
PRÉAMBULE :
Considérant que la reconnaissance de la dignité et des droits égaux, inaliénables et inhérents à tous les membres de la famille des êtres humains, constitue la base de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde, (…)
Considérant que (…)
Considérant que (…)
(...) Maintenant et alors,
L’Assemblée générale,
Proclame la présente déclaration universelle des droits de l’Homme comme l’idéal commun à atteindre par tous les peuples et toutes les nations afin que tous les individus et tous les organes de la société, ayant cette Déclaration constamment à l’esprit, s’efforcent (etc.).
Avec quel contenu ?
Ma démarche philosophique personnelle m'a conduit à élaborer une proposition de schéma que je soumets ici à la sagacité des lecteurs pour une discussion utile. Il s'agit d'un système de valeurs fondamentales construit sur les idées du dimensionnisme (thèse de l'auteur de cet article) qui affirme que le sens - en tant que direction du temps de la vie et de l'action - fonde la dimension et que la dimension fonde la valeur. Ainsi peut-on établir une hiérarchie universelle et naturelle qui repose sur les bases objectives de la théorie des trois mondes de Karl Popper, et de ma théorie des trois intelligences qui s'en rapproche beaucoup.
La hiérarchie ainsi établie ne prend donc comme base aucune suprématie d'une culture, religion ou civilisations, sur une autre culture, religion ou civilisation. Les droits de l'homme, aussi nécessaires soient-ils, seront examinés sur le même plan d'autres systèmes de valeur répandus dans certaines régions du monde, cela dans un esprit d'objectivité de l'étude complète. Ils seront examinés sous l'angle neutre de leur dimension et de leur valeur naturelles, c'est-à-dire, hors de toute idéologie qui a sous-tendu leur proclamation.
La proclamation universelle des valeurs ne se fera jamais. Mais la pyramide des valeurs peut servir de canevas pour des travaux d'études culturelles et sociologiques, par exemple. Elle peut peut-être aussi se montrer de quelque utilité sur le plan du développement personnel.