Les druides au pouvoir. Médecins, thaumaturges… et loups garous
Aujourd’hui, la science fait des miracles, elle a bonne presse et suscite même de grandes passions. Dame, si on n’en est plus à s’épouiller les uns les autre dans les arbres en poussant de petits cris, c’est bien grâce à la science, n’est-ce pas ? On peut dire « science », mais aussi technologie, culture, expertise… Ce sont les facettes d’une même fringale de SAVOIR. La Science, c’est la somme de ce qui est su. C’est en cherchant à en savoir plus, que les singes de notre quartier se sont civilisés. Elle a ses détracteurs, mais même si, comme le chante Brel, ce faisant on a inventé le fer à empaler et la bombe atomique - on est plutôt satisfait du résultat.
Savoir a pris une telle importance que tout le reste en est devenu trivial. Hobbes nous avait dit que le savoir était le pouvoir (« knowledge is power ») , mais ca demeurait un peu abstrait…. Maintenant, on voit CONCRÈTEMENT la compétence dominer le monde, alors que même la richesse, réduite à des symboles, n’est plus qu’un outil docile entre les mains de ceux qui savent les manipuler. On a compris la primauté du savoir.
On l’a comprise en voyant comment le savoir permet de gagner au jeu sociétal que nous jouons aujourd’hui, basé sur l’acquisition et la possession, mais avons nous bien assimilé que le savoir – la science - qui grandit conduit inéluctablement à jouer un autre jeu ? … Compris que ceux qui « sauront » gagner à ce nouveau jeu en tireront un pouvoir incomparablement plus grand que celui des gagnants actuels ? Dangereux ?
Le meilleur chemin vers le pouvoir sur les hommes est celui de satisfaire leurs désirs. Or, il est évident que notre monde arrive à la limite de ce qu’il peut offrir d’objets matériels significatifs à désirer. Il faut un effort constant, pour maintenir sur cette planète une pauvreté sélective, une pauvreté fragile, menacée par l’abondance. Le défi des « dominants » est de maintenir la foi en une carence généralisée, une pénurie qui puisse justifier le travail auquel ils souhaitent astreindre les « dominés », puisqu’ils ont fait de cette contrainte et de cette domination le sens même de leur vie !
Quand on comprend que les ressources et la compétence sont là, on comprend que la pauvreté est un choix politique. On comprend que la seule demande matérielle sensées qui ne puisse aujourd’hui être pleinement satisfaite est la demande pour « de la vie » elle-même. Une vie en santé, bien sûr… On comprend que tout autre pouvoir devient dérisoire à côté de celui dont disposera le ‘druide’ qui pourra offrir plus de cette vie.
Offrir aussi, puisqu’on doit se rallier à l’absenthéisme – (car si un dieu est peut être en ligne, il ne prend certes pas les appels !) – le seul ersatz d’immortalité qui paraisse crédible
On doit accepter que nos druides montent ainsi en puissance, mais tout pouvoir est une menace implicite pour qui n’en a pas. Que doit-on attendre de ces nouveaux seigneurs ? La science a son côté sombre, et ce qui est vrai de la science l’est a fortiori de la médecine, puisque de tous les aspects de la science aucun ne nous interpelle autant que ce qui a trait à ce corps-a-corps désespéré avec la mort ; un combat qui serait bien insensé, s’il n’apportait à la vie le sens de l’héroïsme et de l’abnégation avec lequel il est mené.
Parce que son impitoyable conclusion en est connue, on ne veut pas penser qu’il puisse exister à cette lutte du médecin contre le mal quoi que ce soit de vil ou de mesquin. Le médecin doit être vu pur et sans reproches. Un héros. La caste des médecins arrive donc au pouvoir en jouissant d’un solide préjugé favorable et qui n’est pas récent….
Ainsi, à la fin du XIXe siècle, quand Robert Louis Stevenson a écrit l’histoire du bipolaire le plus célèbre de la littérature, il a pris bien soin de dépouiller le bon Dr Jekyll de ses épaulettes de médecin quand celui-ci passe du côté obscur… Dans l’imagerie populaire, le médecin incarnait l’Autorité jointe à la Bonté ; il était le père devant qui on se dévêt sans pudeur, puisqu’il dit ‘’déshabillez vous’’ sans arrière-pensée. Le médecin était un thaumaturge. Il était le Bien…. Il ne pouvait exister de Dr Hyde, juste un MISTER Hyde.
Aujourd’hui encore, dans le continuum social, le médecin est le meilleur point d’ancrage des « Petits » aux « Grands » et des « Faibles » aux « Puissants », tous égaux devant la maladie, la souffrance, la mort. Mais ce préjugé favorable a son envers. C’est parce qu’ils incarnent nos derniers héros qu’il faut voir de près ce que font les médecins et il faut être vigilant ; il y a des druides bipolaires qui, les soirs de pleine lune se changent en loups garous
La médecine thaumaturge fait des miracles comme jamais auparavant, mais on a des reproches à lui faire, dont, au premier chef, une cupidité chez les médecins, dont on a longtemps hésité à les soupçonner. On a hésité, mais en France, un radiologue ou un anesthésiste « vaut » maintenant 189 000 euros par an, alors que le salaire moyen mensuel BRUT d’un non-cadre est de 1 556 euros…. Ça fait grincer des dents.
Et ce n’est pas qu’en France…. En matières de dépenses de santé l’expérience de la France se compare à celle des autres pays de l’OCDE. Même corrélation positive entre la croissance économique et celle des couts de santé incluant celles du secteur public une même tendance à privilégier la hausse du revenu du médecin plutôt qu’une augmentation des effectifs qui pourrait freiner cette hausse.
Il est donc permis de rapprocher la réaction des Français aux honoraires élevés de leurs médecins spécialistes des froncements de sourcils qui ont accueilli récemment au Québec – (où la médecine est gratuite et où les honoraires médicaux sont payés par l’État ) – la révélation que plusieurs médecins y présentaient chaque année des factures excédant le million de dollars. (1 000 000 $)… En fait, le médecin spécialiste MOYEN au Québec touche annuellement 420 000 $ et le Québécois ordinaire 42 000 $... et bon an mal an, l’écart se creuse. On s’en indigne
Pourquoi cette indignation ? D’autres n’en touchent-ils pas autant, qui peut-être le méritent encore moins … ? Il semble que quand un banquier ou une multinationale l’exploite, Quidam Lambda ne s’émeut plus : tout le monde sait que les requins se nourrissent de la chair des petits poissons. Mais quand c’est l’homme en blanc « au service de l’humanité souffrante » qui vient racler de 20 à 50 fois le salaire d’un travailleur, ca fait désordre. Les millions versés aux toubibs choquent, parce que ce n’est pas seulement une affaire de fric. C’est comme le meilleur ami qui fait du pied à votre épouse. On a l’impression que la caste de « ceux-qui-ont » serre les rangs, et qu’une volonté commune d’exploiter à fond les autres les anime tous jusqu'au dernier. Le pauvre se demande s’il a encore un seul ami chez les « riches et puissants ».
Et ça, c’est très grave. Comment remettre sans appréhension sa vie entre les mains d’un médecin qui, comme individu, peut paraître un modèle de désintéressement, mais dont il est clair que l’activité se déroule dans un cadre mercantile où il projette image d’un exploiteur comme les autres ?
Au moment même où sa santé deviendra pour lui plus prioritaire que jamais - parce que la médecine pourra lui donner tellement plus - , le malade lambda n’est plus du tout certain d’être la priorité de son médecin…. Il faudra le rassurer.
(À SUIVRE)
Pierre JC Allard