Grand débat ou grand déballage ?
On peut se poser la question de l’efficacité de ce grand débat prévu par Macron et présenté comme la solution à tous les maux. Sauf que la présentation et que la structuration des thèmes de débat s’apparente à une escroquerie intellectuelle qui risque de servir de déversoir à la rancœur populaire.
Déjà une première victime
Chantal Jouanno, ci devant Présidente de la Commission Nationale du Débat Public s’est fait épingler pour sa rémunération digne d’un Président de la République, alors qu’elle n’encadre que 10 personnes et que l’utilité de cette commission inconnue de la plupart des français n’était pas jusqu’à présent apparue évidente.
Ce qui est intéressant dans cette information, c’est qu’elle met en lumière des structures liées au Gouvernement mais bénéficiant d’une autonomie dans l’action qu’elles mènent. Elles bénéficient par ailleurs d’un régime particulier pour les rémunérations, avantages divers que les fonctions procurent et les frais de fonctionnement qu’elles génèrent (locaux, mobilier, voiture ou frais de taxi…).
Il faut dire également que les nominations à la tête de ces instances relève de la discrétion du gouvernement. Il est donc logique que le recyclage de politiques ou bien encore l’attribution de fromages à des hauts fonctionnaires fassent partie de critères de nominations qui ne prennent pas toujours en compte les compétences.
Enfin, l’autonomie dont bénéficient les dirigeants de ces instances peut provoquer des dérapages de leur part. On se souvient des déboires de Matthieu Gallet, dirigeant de l’INA, en matière d’attribution d’un marché public et d’Agnès Saal, à l’INA également, avec ses frais de taxis exorbitants. Tous les deux ont été condamnés par la justice.
Il est intéressant de parcourir un rapport critique réalisé en 2012 par l’Inspection Générale des Finances https://www.economie.gouv.fr/files/2012-rapport-igf-l-etat-et-ses-agences.pdf qui note que le phénomène de recours aux agences (terme générique) pour ces modes de gestion publique alternatifs s’est développé sans stratégie d’ensemble, a été inflationniste en termes de moyens humains et financiers et ne s’est pas accompagné d’un renforcement suffisant de la tutelle de l’Etat.
On apprends par ailleurs qu’il n’existe pas (en 2012) de recensement exhaustif de toutes ces entités, que leur poids financiers représente environ 50 Milliards d’euros, que les taxes affectées représentent 10 Milliards d’euros, que l’allocation des ressources par les Ministères de tutelle n’est pas optimale, que le fonds de roulement de 2 Milliards est manifestement excessif, et que l’Etat parait en définitive être allé trop loin dans la multiplication des agences et qu’il devrait rationnaliser le paysage de ces structures.
Au-delà du simple questionnement sur le salaire de Chantal Jouanno, c’est donc la performance et l’utilité de cette organisation étatique mais aussi celle des collectivités locales qui paraît nébuleuse et parfois hors de contrôle, en matière de dépenses publiques, qu’il faut s’interroger.
Alors, ce grand débat ?
Sur le site de la Commission Nationale du Débat Public on trouve une liste de 4 thèmes envisagés, sachant tout de même que d’autres thèmes pourront être choisis par les participants.
La transition écologique
La fiscalité et les dépenses publiques
La démocratie et la citoyenneté
L’organisation de l’Etat et des services publics
Ce qui frappe dans cette présentation des choses, c’est que l’on semble orienter le débatteur sur un examen des thèmes et des sous thèmes un par un sans faire le lien entre eux, sans vision globale. On risque de trouver in fine des contradictions entre par exemple le niveau des impôts et prélèvements (qui sont déjà jugés importants) et des demandes de présence renforcée de services publics dans les territoires (perception, poste, école,…) qui aboutiraient à des dépenses nouvelles.
On aurait alors beau jeu de dire, en haut lieu, qu’on ne peut pas demander en même temps moins d’impôts et plus de services publics pour rejeter ces demandes au motif qu’elles sont financièrement irréalistes.
En fait, le débat pourrait être riche à partir du moment où on sortirait de l’examen des thèmes un par un pour faire des propositions d’amélioration des services publics de transports collectifs, par exemple, afin de favoriser la transition écologique, en traitant la question financière par des économies sur la gestion des services de l’Etat, comme les agences (voir ci-dessus).
On pourrait aussi demander la suppression du CICE versé à toutes les entreprises en le ciblant sur certaines seulement (celles qui exportent). Les sommes dégagées seraient alors, par exemple, affectées à des subventions pour l’isolation des logements anciens et à la rénovation de l’habitat précaire.
Autre exemple, la création d’une nouvelle tranche de l’impôt sur le revenu et le rétablissement de l’ISF serviraient à l’amélioration des services publics hospitaliers.
Enfin, bien sûr le combat contre l’évasion fiscale et les fraudes aux cotisations sociales permettrait de combler le déficit du budget de l’Etat qui cesserait alors d’emprunter et d’accroitre la dette.
Localement, il conviendrait de s’interroger sur la nécessité de conserver toutes les strates de collectivités territoriales et par là même faire des économies sur les indemnités versées aux élus de Conseils départementaux par exemple qui font en grande partie de la gestion du social pour le compte de l’Etat, gestion qui pourrait être confiée aux CAF.
Un piège à cons potentiel
Voilà, le grand débat tel qu’il nous est présenté sur le site de la CNDP est, disons-le tout net, un piège à cons. Il risque de servir de défouloir et de ne déboucher sur rien. On pourrait se dire qu’il est inutile d’y participer. Maintenant, s’il se trouve des participants capables de canaliser les débats et de les orienter sur des propositions intégrant les recettes nécessaires à des nouvelles dépenses, il sera plus difficile pour le gouvernement de s’asseoir dessus, au risque de provoquer un regain de tension dans le pays.