Bouclier antimissile de l’OTAN : où en est-on ?
Depuis quelques six mois, les relations entre la Russie et l'OTAN, et plus particulièrement, les Etats-Unis, ne cessent de se dégrader a propos du bouclier antimissile. Lors d'une récente conférence a Moscou, les deux camps n'ont semble-t-il pas pu trouver d'accord. Etat des lieux des relations et éclaircissements techniques.
Historique des déclarations publiques à propos du bouclier antimissile
En novembre 2011, le président Medvedev émettait de sévères doutes quant à la finalité de ce projet et le refus de l'OTAN de collaborer avec la Russie. Dénoncant une potentiel atteinte à la sécurité nationale de la Russie, il se dit prêt à déployer des systèmes de radar et de frappes préventives dans le sud et l'est de la Russie, ainsi que dans la région de Kaliningrad, enclave russe située entre la Pologne et la Lithuanie, ou encore à Transdniester, en Moldavie. Medvedev ajouta également que, au vu des liens entre armes offensives et armes défensives, la Russie se verrait contrainte, dans le cas d'absence de négociations entre les deux parties, de stopper le processus de désarmement et de se retirer du nouveau traité START, signé à Prague en 2010 et limitant le nombre de missiles à têtes nucléaires déployés à 1550. Plus que des déclarations politiques dans l'espace public, le gouvernement russe souhaiterait des garanties légales et techniques à propos des objectifs réels du bouclier.
Le 10 mars 2012, Ellen Tauscher, l'envoyée spéciale du Département d'Etat pour la Défense Stratégique et la Défense Balistique états-unienne, présenta lors d'une visite à Moscou et sur demande du gouvernement russe des informations soi-disant ultra-confidentielles à propos du système AMD censé être deployé en Europe de l'Est, de facon à convaincre la Russie que le bouclier antimissile n'est nullement dirigé contre elle. Pourtant, une source anonyme proche des négociations aurait declaré à la presse russe que les informations presentées à la Russie étaient, en termes polis et décents, "inutiles et non pertinentes".
Le 20 mars, Medvedev réaffirma alors ses craintes à propos du bouclier antimissile et déclara que la Russie devrait être prête avant 2017 ou 2018 à faire face à toute menace nucléaire potentielle. Le ministre de la Défense russe, Anatoly Serdyukov, affirma avoir commencé à entreprendre des mesures techniques et militaires pour répondre de facon adéquate à la menace que représente le bouclier antimissile de l'OTAN. Le gouvernement russe décida alors d'organiser une conférence intitulée Missile Defence Factor in Establishing New Security Environment les 3 et 4 mai 2012 et à laquelle seraient invitées de nombreuses nations comprenant aussi bien des membres de l'OTAN que la Chine, l'Inde, le Japon ou d'autres encore, qui pourraient avoir des questions à propos de ce bouclier.
Plusieurs officiels russes, notamment Sergei Koshelev, le directeur du Département de Cooperation Internationale du Ministère de la Défense, déclarèrent que les Etats-Unis ne pouvaient pas, même s'ils le souhaitaient, partager d'informations confidentielles à propos du système AMD, puisque une clause du nouveau traité START adopté par le Sénat des Etats-Unis interdisait un tel partage de connaissance, même avec les autres membres de l'OTAN. En revanche, les Etats-Unis essaieraient selon lui depuis 10 ans de forcer la Russie à signer un accord à propos de la technologie de défense qui incluerait un partage de l'information technologique, considérant alors que ce serait la la preuve de leur coopération. Pourtant, selon Sergei Koshelev, la signature de cet accord n'impliquerait certainement pas le partage de l'information à propos du bouclier antimissile.
Le 26 mars, Dmitry Rogozin, l'ancien ambassadeur de Russie auprès de l'OTAN et actuel premier adjoint du gouvernement russe a la Défense, déclara pour sa part que le bouclier de l'OTAN était un "vecteur ouvertement anti-russe", assurant que la course aux armements défensifs n'était pas une bonne stratégie, et que les missiles russes étaient deja equipés de systèmes leur permettant éventuellement de pénétrer n'importe quelle défense balistique. Ces affirmations seront confirmées par William Perry, l'ancien secrétaire à la Défense des Etats-Unis.
Le 27 mars 2012, le Pentagone révéla des plans pour le déploiement de boucliers anti-missiles en Asie et au Moyen-Orient, officiellement pour contrer les menaces iranienne et nord-coréennes. Deux projets seraient à l'étude en Asie, l'un impliquant le Japon et la Corée du Sud, l'autre le Japon et l'Australie. Au Moyen-Orient, les états candidats seraient l'Arabie Saoudite, le Koweit, Bahrein, le Qatar, les Emirats Arabes Unis et Oman. Le déploiement de tels systèmes se ferait sur le modèle d'une approche progressive à l'image de celui de l'Europe, ou les Etats-Unis prévoient notamment un radar en Turquie, des intercepteurs de missiles en Pologne et en Roumanie ainsi que le déploiement de croiseurs en Espagne capables d'utiliser le système AEGIS. L'Ukraine serait également convoitée par l'OTAN : l'arrivée de Viktor Yanukovitch au pouvoir, remplacant le pro-occidental Viktor Yuschenko, a marqué un tournant dans la politique internationale de l'Ukraine : peut-on y voir un lien avec la hargne que déploient les dirigeants occidentaux à demander la libération de leur alliée Yulia Tymoshenko ?
Le 4 avril 2012, l'ambassadeur des Etats-Unis en Russie, Michael McFaul, déclara que les Etats-Unis n'accepteraient "aucune limite" à propos du déploiement du bouclier antimissile même s'il comprenait que la Russie puisse être inquiète, ce que Sergei Lavrov, le ministre des Affaires Etrangères russe, considéra comme une déclaration "très arrogante".
Le 19 avril 2012, à l'issue du sommet OTAN-Russie se déroulant à Bruxelles, Sergei Lavrov réitéra les demandes russes à propos d'engagements véritables des Etats-Unis. Contrairement à ce que les Etats-Unis prétendent, il ne serait pas suffisant selon lui de déclarer qu'en signant l'Acte Fondateur OTAN-Russie en 1997, stipulant que les deux entités ne se considéraient pas comme ennemies et qu'elles promettaient de prendre en compte la sécurite de chacune, que celle de la Russie soit effectivement protégée alors que le bouclier antimissile remettrait en cause son potentiel de dissuasion. Arguant que, contrairement aux armes russes, celles des Etats-Unis se répandaient hors de leurs frontières, Lavrov rappela la doctrine de l'ancien président Ronald Reagan : "trust, but verify".
Quelques jours avant la conférence des 3 et 4 mai, l'adjoint au ministre de la Défense russe, Anatoly Antonov, comme pour souligner l'importance de cette dernière, prévint que le "point de non-retour" dans les négociations russo-états-uniennes était "imminent". Il affirma que les experts russes allaient démontrer lors de cette conférence que le bouclier antimissile était une réelle menace pour la Russie et qu'ils se préparaient déja à "un scénario du pire".
Le 3 mai 2012, Anatoly Serdyukov, le ministre de la Défense russe, inaugura la conférence sur la défense balistique par ces mots : "Les négociations ont pratiquement atteint une impasse". Le président Medvedev assura quant à lui qu'il était encore envisageable qu'un accord permettant d'éviter une situation ou certains seraient gagnants et les autres perdants était possible.
La conférence des 3 et 4 mai (Missile Defence Factor in Establishing New Security Environment)
Au cours de la conférence, Nikolai Makarov, le chef d'état-major des Forces armées de la Fédération de Russie a affirmé que le bouclier antimissile n'affectait pas le potentiel dissuasif russe avec les phases I et II, jusqu'en 2017 donc, mais qu'il en allait tout autrement avec les phases III et IV, sachant que des accords avec la Roumanie et la Pologne ont d'ores et déja été signés afin que ces dernières accueillent des missiles SM-3 de prochaine génération en 2015 et 2018 respectivement. D'après certains analystes états-uniens, bien que les missiles de courte portée soient moins rapides que les missiles intercontinentaux ICBM, Moscou aurait peur que la technologie d'interception des Etats-Unis en Europe puisse évoluer à tel point que les ICBM puissent être interceptés. Valery Gerasimov, l'adjoint de Makarov, expliqua que les trajectoires des missiles russes passeraient au-dessus de la zone opératoire du système de défense balistique de la phase III et que, par conséquent, l'interception des missiles cibles serait impossible. En revanche, la phase IV prévoit l'utilisation de missiles dont la portée serait de 11 000 kilomètres, rendant possible une telle interception.
Pire, selon le lieutenant général en chef des forces de Défense Spatiale russe, Oleg Ostapenko, les intercepteurs des Etats-Unis pourrait être utilisés comme des armes anti-satellitaires. D'après lui, la progression de leurs intercepteurs marins et aériens autour du globe leur donnerait la possibilité de détruire des plate-formes spatiales quelle que soit leur orbite.
Lors de cette conférence, les Russes ont également fait savoir à la Chine que son potentiel dissuasif serait reduit à néant bien avant le leur, alors que Pékin avait appelé le 30 avril 2012 les Etats-Unis et la Russie à réduire considérablement leurs arsenaux nucléaires, jugeant qu'ils étaient une menace pour la stabilité géopolitique internationale. Il est toujours bon de rappeler que la Russie dispose de 11 000 têtes nucléaires, les Etats-Unis de 8500 et la Chine de seulement 240.
L'après-conférence
Le 4 mai, à l'issue de la conférence, Nikolai Makarov, affirma que la Russie envisageait des frappes préventives contre un éventuel déploiement du bouclier antimissile en Pologne depuis Kaliningrad, où le gouvernement russe s'apprête à déployer des missiles Iskander de courte portée, mais également par des moyens non-balistiques : la Russie serait en effet en train de se doter d'armes fondées sur de "nouveaux principes physiques" et capables de rendre inopérants les systèmes balistiques défensifs sans les détruire. Dmitry Rogozin a quant à lui affirmé que le système AMD restait et resterait une illusion coûteuse, car les Russes ne laisseraient jamais les Etats-Unis développer un tel système.
Le 5 mai, le secrétaire général de l'OTAN, Anders Fogh Rasmussen, déclara :
"Notre systeme de défense balistique n'est techniquement pas destiné à menacer la Russie, en aucune manière, et nous avons fourni cette information a la Russie. Nous n'avons aucune intention politique d'attaquer la Russie."
Et d'ajouter, assez ironiquement au vu des efforts deployés par la Russie pour faire partie du système de défense :
"Le meilleur moyen pour les Russes de voir de leurs propres yeux que notre système n'est pas dirigé contre eux serait de participer activement."
Prochains événements importants
La Russie participera au prochain sommet de l'OTAN les 20 et 21 mai prochains et dont les deux premiers sujets d'importance sont les relations OTAN-Russie et la défense balistique.
En juillet prochain, le général Martin Dempsey, chef d'état major des armées des Etats-Unis, devrait rencontrer son homologue russe lors d'un voyage à Moscou.