vendredi 2 avril 2010 - par Jean-Luc Crucifix

Le rongeur devenu poisson

Semaine sainte au Venezuela : dans les régions basses du pays (c’est-à-dire pratiquement les deux-tiers du territoire), la tradition veut que l’on mange du chigüire.

Le chigüire ? C’est le nom local de l’Hydrochaeris hydrochaeris, le capybara en français, un nom pour le moins bizarre qui provient de la langue des indiens Guaranis du Paraguay et veut dire « seigneur des herbes ». C’est le plus gros des rongeurs : adulte, il mesure entre 105 et 135 cm de long et pèse de 35 à 65 kilos. Il abonde dans les Llanos, vastes plaines où ne manquent pas les terres inondées qui forment son biotope. Car, excellent nageur, le capybara est un animal semi-aquatique. En cas de danger, c’est dans l’eau qu’il se réfugie pour s’immerger complètement, tel un hippopotame. C’est dans l’eau aussi qu’il s’accouple.

Voilà pour la présentation de ce gentil animal aux mœurs tranquilles, qui fait la joie des touristes.

Une légende édifiante

Tout cela ne nous explique pas, cependant, pourquoi la viande de ce mammifère est consommée durant la Semaine sainte alors que ce pays est censé respecter scrupuleusement les rites et traditions catholiques : interdiction de manger de la viande et substitution par le poisson. En effet, le chigüire n’est pas, que l’on sache, un poisson…

chigüires dans le llano

Chigüires dans le llano

Une légende nous donne une première explication. On raconte en effet qu’un jour, en pleine semaine sainte, un Indien s’en alla chasser pour nourrir sa famille. Il revint avec un chigüire. Voyant cela, le missionnaire de l’endroit lui fit remarquer que pendant la semaine sainte, on ne pouvait consommer que du poisson. L’Indien ne fit ni une ni deux, il saisit l’animal et l’aspergea d’eau en disant : « Je te baptise poisson. » Depuis ce jour, le chigüire est devenu poisson et on peut le manger pendant la semaine sainte.

Ce récit édifiant a le mérite de mettre en valeur la perspicacité de l’autochtone face à une religion qui lui a été imposée. Il est cependant trop simple et trop évident pour tout expliquer.

Une coutume devenue tradition religieuse

La recherche historique nous apporte quelques éléments complémentaires. Il semblerait que la chasse généralisée au chigüire ait débuté à l’époque coloniale, lorsque les éleveurs des llanos inondables ont commencé à se préoccuper de la présence massive de cet herbivore dans la savane. Sur ces terres pauvres en pâture, le chigüire était accusé d’entrer en concurrence avec les bovins pour leur quête de nourriture. On soupçonnait en outre le rongeur d’être porteur de maladies qui affectaient le cheptel.

bande de chigüires

Une bande de chigüires

Pour résoudre ce problème, les éleveurs décidèrent d’éliminer ce qu’ils considéraient comme un animal nuisible. Pour se faciliter le travail, ils profitèrent de la saison la plus sèche, de janvier à mars, lorsque les chigüires se concentrent autour des rares points d’eau. Plutôt que de perdre la grande quantité de viande ainsi produite, les éleveurs choisirent de la saler et de la sécher au soleil, pour l’envoyer ensuite vers les marchés urbains du centre du pays.

C’est ainsi que s’est créée la coutume de manger de la viande de chigüire précisément à l’époque du carême et de la semaine sainte. Encore fallait-il sanctifier la pratique. Ce sera chose faite au 18e siècle lorsqu’une bulle papale autorisa la consommation de chigüire à cette époque de l’année. De cette façon, l’Église entérinait une pratique traditionnelle et commerciale : la coutume locale devenait tradition religieuse.

Saveur de… poisson !

Pisillo de chigüire

Pisillo de chigüire

Pendant la semaine sainte, la chair du capybara se prête donc à la préparation d’un mets appelé pisillo de chigüire. D’abord bouillie, la viande est éméchée, puis est dorée dans un assaisonnement fait d’ail, d’oignons, de piments doux et de coriandre, destiné à la relever. Le plat se sert accompagné de riz, de fèves noires ou de yuca (manioc).

La chair de chigüire préparée de cette manière est plutôt sèche et insipide (ce n’est là qu’une opinion personnelle, que les Vénézuéliens me pardonnent !). Curieusement, toutefois, les gens d’ici lui attribuent une saveur de… poisson !

D’où la question : la foi aidant, une bulle papale aurait-elle le don de transformer les rongeurs en poissons ?



11 réactions


  • mcjb 2 avril 2010 15:14

    c’est comme le lapin de garenne et le lapin domestique oppose au roi des maraiscages , loir a fourrure ras ou loutre plongeuse

    La duree de gestation de la loutre 390-400 jours (11) 1an et 1 mois , quelles consequences pour l’environnemen ?
    sachant que la loutre est en voie de disparition compte tenu de la duree de sa gestation comparativement a celle du lapin


    soit 234/156 =390 = 1.5
    soit 233/144 = 377 = 1.6180556 suite fibonaci faite sur la reproduction des lapins

    le tout divisible par des periodes de 13 jours

    377/13 =29
    390/13= 30
    soit 1.5 =0.5+0.5+0.5 (chiffre biblique Gaia)
    soit 1,61805 = 0.5+0.5+0.5+1.1805 (1.1)

    • mcjb 2 avril 2010 18:58

       suivre la flèche 233/144 mamifères a poil long
      suivre la flèche 234/156 mamifères a poils ras

      hautement philosophique puisque definit l’ensemble des calculs de l’univers par espèces,


    • mcjb 2 avril 2010 19:01

      La survie de l’espèce devant être assurée constamment, face à des environnements différents, l’évolution a sélectionné une variété de stratégies différentes. En voici les deux descriptions extrêmes :

      • Les espèces qui vivent dans les milieux instables et imprévisibles adoptent une stratégie de la reproduction rapide et massive : c’est la stratégie r. C’est le cas des micro-organismes détritivores : moississures, bactéries...
      • Dans les milieux prévisibles, aux variations stables ou cycliques, la stratégie sélectionnée est celle de la reproduction moins rapide mais efficace, notamment par rapport aux quantités de ressources nécessaires. C’est la stratégie K. C’est l’exemple des organismes complexes (mammifères...).

      Par exemple chez les vertébrés, l’élan a une stratégie K : peu de descendants, allaitement... En revanche la grenouille est caractérisée par une stratégie r : beaucoup de descendants et de mortalité, aucun soin aux jeunes. Voir :


  • Internaute Internaute 2 avril 2010 17:49

    Le récit est intressant mais laisse croire que les 25 millions de vénézuéliens mangent du Chigüire à Paques. C’est devenu un animal trés rare et trés cher, sauf peut-être dans quelques régions reculées des Llanos. Allez manger du Chigüire à Caracas et dites nous combien cela vous a coûté. C’est un peu comme le chevreuil en France.


  • L'enfoiré L’enfoiré 3 avril 2010 09:56

    @L’auteur,

     Merci pour cette belle histoire et pour votre expérience.
     Il apparait d’après la description de la préparation que c’est grâce à tous les ingrédients qui l’accompagne qu’il soit mangeable.
     Quand il n’y aura plus beaucoup de poissons dans les mers, on sera peut-être obligé d’y trouver une saveur de poisson.
     Une question : cette coutume, est-ce uniquement au Venezuela ?

     J’ai commencé à lire votre site. Très beau.
      smiley
     


    • Jean-Luc Crucifix Jean-Luc Crucifix 3 avril 2010 17:39

      @L’enfoiré
      Que je sache, c’est uniquement au Venezuela, peut-être aussi dans la Colombie voisine (il faudrait vérifier).
      Il y a aussi des capybaras au Brésil, en Argentine et au Paraguay, mais ils ne sont pas liés à la même culture « llanera ». Leur viande est-elle consommée, et, si oui, sous quelle forme ? Si certains d’entre vous ont la réponse, cela m’intéresse de le savoir.


  • Talion Talion 3 avril 2010 10:37

    65 kg ?!... C’est la première fois que j’entends parler d’un rat aussi gros...

    Ça pourrait être marrant d’en montrer un à ma sœur : dès qu’elle voit une souris elle saute sur une chaise en hurlant  :->


  • @distance @distance 3 avril 2010 13:06


    le plus grand rongeur et bon animal de compagnie
    http://www.5min.com/Video/Worlds-Largest-Rodent-108165133


  • caicareno 5 avril 2010 10:19

    Au risque de te contredire, Jean-Luc, la viande de chigüire est délicieuse, une fois bien préparée avec tous les « aliños » nécessaires et salée comme il faut. Mais elle se sert(vait) en « arepa » (gallette de maïs), cuite et à peine accompagnée, et je peux dire qu’elle est « divina ». Il faut dire aussi que l’indien de la légende a du être imité par d’autres pour les autres animaux aquatiques de l’Orénoque et de ses affluents car, ayant cotoyé durant des années les pêcheurs de ce fleuve, en semaine sainte, ce sont poissons, chigüires, babas (caïman) et tortues qui sont les plats favoris.
    A+


    • Jean-Luc Crucifix Jean-Luc Crucifix 6 avril 2010 02:50

      Je me doutais bien que j’allais m’attirer les foudres de l’un ou l’autre Vénézuélien (ton pseudo caicareno me fait penser que tu es de Caicara...) en osant dire que la chair de chigüire est insipide...

      Je dirais que c’est culturel : les Vénézuéliens aiment, la plupart des étrangers (pour ceux que je connais) n’aiment pas. C’est comme les andouillettes, en quelque sorte... (ou comme la poutine au Québec).


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