De l’utilité d’une chaîne française d’information internationale à destination du monde arabe
La chaîne française d’information internationale est officiellement sur les rails. Elle proposera des bulletins d’informations, magazines et émissions en plateau en plusieurs langues, dont l’arabe. Comment la France compte-t-elle exprimer ses idées dans un monde arabe de moins en moins muselé et plus exigeant en matière d’information ?

La guerre en Irak, la situation au Proche-Orient, la menace terroriste liée à l’extrémisme religieux sont autant d’éléments qui dotent le monde arabe d’un statut particulier dans les relations internationales. Communiquer avec cette entité, vaste et bouillonnante, devient primordial pour les puissances qui sont attachées aux approches multilatérales dans la solution des problèmes internationaux. Communiquer avec le monde arabe à l’aide d’un outil qui lui est intime peut s’avérer payant.
Parler l’arabe est d’abord un acte de paix et un témoignage de considération vis-à-vis d’un monde qui est conscient de son déficit démocratique, et ne demande qu’à s’inspirer des expériences avant-gardistes (occidentales). Et cela ne date pas d’aujourd’hui. Il y a de réels frémissements dans ce monde qui pourraient mettre à mal le conservatisme dont il souffre. Il ne s’agit pas, pour les puissances occidentales, de prêter main-forte au monde arabe afin de récolter sa gratitude lorsqu’il apprendra les bienfaits de la démocratie. Les relations internationales ne se gèrent pas en termes de politesse et de salamalecs. L’enjeu réside dans la capacité de ces puissances à décrypter les scénarios de conflits futurs, tels qu’ils se préparent aujourd’hui. La force ne suffit pas pour stopper l’extrémisme religieux violent. Il faut le déposséder de ses armes idéologiques qui privilégient la triste théorie du « choc des civilisations ». Ceux qui croient que l’opinion arabe refuse le progrès social, se trompent. Les valeurs traditionnelles dominent, parce qu’elles représentent les rares repères pour des pays dont les sociétés civiles demeurent absentes des décisions politiques et économiques.
Le monde arabe n’est pas non plus un conclave peuplé de doux rêveurs et épargné par les courants de pensée qui traversent la planète. Internet est passé par là. Les freins traditionnalistes ne sont pas une fatalité dans un monde qui a connu la liberté de penser des siècles durant. Aujourd’hui, il en est resté quelque chose : une langue commune, qui fut jadis un vecteur de culture universelle. Les Arabes ont apporté leur contribution à l’épopée des sciences, et ont tenté de rendre compte de la configuration de l’univers et de ses propriétés. Analyser la réalité à partir de causes concrètes et compréhensibles par le cerveau humain a longtemps guidé leur quête du savoir infini que recèle la vie. Bien plus tard en Europe, on a appelé cette attitude de pensée, qui prône l’usage de la raison, le rationalisme. Avec cette grande lucidité, ils ont géré ce que nous appelons aujourd’hui les relations internationales. Ils connaissaient déjà le concept de dissuasion. C’est un poète arabe de la belle époque des Abbassides, Abu Tammam, qui a dit : « Plus crédible que les discours est la lame acérée du glaive. Son tranchant est la limite entre le sérieux et la pitrerie ». Les islamistes puisent leur discours orné d’expressions glorificatrices dans cet héritage. Et aux jeunes qui peuplent les banlieues françaises, il suffit de dire qu’un Arabe sait se battre pour son honneur pour faire d’eux les soldats d’une armée soudée par un même idéal et prête à agir.
Les ex-otages français en Irak, Christian Chesnot et Georges Malbrunot, ont failli payer le prix de cette désinformation, qui voulait faire de la loi sur les signes religieux un acte de guerre contre l’islam. Entre autres efforts pour obtenir leur libération, l’ancien ministre français des Affaires étrangères, Michel Barnier, a sollicité le Qatar et sa chaîne de télévision Aljazeera, afin de transmettre le message de la France dans cette crise. Et pour cause : Aljazeera a bouleversé le paysage audiovisuel et les formes d’expression du monde arabe. L’idée selon laquelle Aljazeera a contribué à une prise de parole méritée par l’opinion arabe n’est pas fausse, mais il faut relativiser son rôle. Cette chaîne a reflété au monde arabe ses malaises et ses frustrations. Elle a occupé le créneau vacant entre la dépendance totale et le désir d’émancipation. Elle lui a assuré un début de thérapie, qui demeure cependant incomplète. Le patient arabe a besoin de connaître son potentiel. Indécis et fébrile, il veut prendre sa destinée en main. L’estime de soi est source d’efficacité. Qui sera son coach ? Qui s’y attelle dès aujourd’hui en tirera de grands profits, car l’ingratitude et l’avarice ne sont pas des défauts arabes. Le succès de la chaîne du Qatar a surtout montré qu’en matière d’information, une demande d’expressions alternatives existait. Malheureusement, Christian Chesnot et Geroges Malbrunot n’allaient pas être les derniers Français à subir la prise d’otages dans une région arabe (ils n’ont pas été les premiers, non plus). Lors d’un rassemblement à Paris, organisé par Reporters sans frontières et le quotidien Libération, les anciens otages français au Vietnam, au Liban, aux Philippines et en Irak ont appelé à la mobilisation pour Florence Aubenas et Hussein Hanoun, et lu une déclaration commune en trois langues, dont l’arabe. Une bien maigre initiative, qui a néanmoins été relayée par des médias arabophones. Le message est bien passé.
Prononcer des discours tonitruants sur la nécessité d’une chaîne française internationale d’information, et manquer d’enthousiasme quand il s’agit d’y mettre les moyens, peut jeter un doute sur la générosité d’esprit de ceux qui la veulent. N’en déplaise à ses détracteurs, l’Amérique a compris ceci. Elle s’est mise à l’arabe. La propension d’une super-puissance à faire la guerre pour dominer ne devrait surprendre que les naïfs qui continuent à défoncer des portes ouvertes en criant à tue-tête : « C’est pour contrôler le pétrole ». Dans le monde d’aujourd’hui, l’information objective est une vue de l’esprit, la neutralité une utopie. L’abondance des informations et la baisse permanente des coûts de communication autorisent tout acteur désireux de transmettre une information à le faire sans se poser de questions sur sa légitimité. La crédibilité de son action tient plus à la possession d’un système de communication puissant qu’au message qu’il veut transmettre. Dans leur couverture des récentes émeutes des banlieues, certains médias étrangers ont agité les spectres d’une guerre civile entre Français de souche et Arabes. Le simple fait de présenter ainsi les choses montre l’ampleur du travail médiatique qui attend la CFII.
La maîtrise de la langue est une donnée instrumentale. L’écrivain algérien Kateb Yacine disait du français qu’il était un butin de guerre. Pourquoi l’arabe ne serait-il pas un instrument de paix ? La future chaîne française internationale d’information peut être un moteur supplémentaire dans une dynamique déjà pourvue de courroies de transmission efficaces, comme la francophonie. Plusieurs pays arabes sont membres de la famille francophone. Qu’un sommet de la francophonie ait été tenu en 2002 dans une capitale arabe, Beyrouth, ne devrait pas demeurer un événement banal. En revanche, peu d’écoles françaises enseignent l’arabe, alors que la majorité des écoles du monde arabe enseignent le français. Le constat est celui de Boutros-Boutros Ghali, ancien secrétaire général de l’Organisation internationale de la francophonie, qui conditionnait le maintien de l’influence de la France à l’intérêt qu’elle accorde à la culture arabe.
Le général de Gaulle a dit un jour, en parlant de la guerre d’Algérie : « Un seul a compris dans quelle impasse on s’enfonçait : Napoléon III, il voulait faire un royaume arabe [...] Les Européens auraient été non les dominateurs, mais le levain dans la pâte. On est passé à côté de la seule formule viable. Mais on ne refait pas l’histoire. En tout cas, nous payons cent trente ans d’aveuglements successifs ». L’auteur n’est autre que le général Charles de Gaulle. Que penserait-il aujourd’hui de la présence française dans le paysage audiovisuel arabe ?