vendredi 16 décembre 2005 - par Alain Lefebvre

L’hyper-visibilité liée au Net, et comment la maîtriser

Une notion nouvelle est en train de naître : l’identité numérique. Le développement de cette identité numérique va apporter une « hyper-visibilité », source d’opportunités pour les plus habiles, mais aussi de contraintes pour le plus grand nombre... Comment protéger son intimité, dans ce contexte ?

En juillet 2004, une étude conduite par MSN et Harris Interactive trouva que plus d’une personne sur cinq avaient cherché des informations en ligne (sur Internet, en utilisant Google, par exemple) sur un interlocuteur potentiel dans le domaine professionnel (employé, employeur, partenaire, sous-traitant, etc.). Encore mieux : l’étude montra également que plus de 40% des personnes interrogées avaient eu le réflexe de taper leur propre nom dans un moteur de recherche, pour voir ce que donnaient les résultats.

Cette pratique est devenue tellement courante qu’on dit même "Googler quelqu’un" pour en savoir plus sur son compte avant un rendez-vous.

En juillet 2005, Elinor Mills, un journaliste du site cnet.com publia un article où il expliqua qu’il s’était servi du moteur de recherche de Google afin de retrouver des informations sur Eric E. Schmidt (CEO de Google). C’est ainsi qu’Elinor Mills a pu établir qu’Eric E. Schmidt vivait à Atherton (Californie), que ses actions Google valaient $1,5 milliard et qu’il avait organisé (en 2000) une journée de levée de fonds en faveur de la campagne présidentielle d’Al Gore, qui lui avait coûté $10.000. Le service relations publiques de Google n’a pas apprécié, et a décidé de bannir CNET pendant un an .

Cette histoire amusante (ou effrayante, selon) illustre bien le fait que, désormais, nul ne peut échapper à l’ombre de son identité numérique ! Aujourd’hui, il est plus difficile d’être anonyme que recensé sur le Web, et pourtant, rien n’est pire que de ne pas l’être, car si Google ne vous recense pas, c’est comme si vous n’existiez pas.

Bref, que vous vous en réjouissiez ou non, que vous le redoutiez ou pas, vous avez une identité numérique, et il va falloir la gérer.

Selon la conférence "Online Social Networks" qui s’est tenue sur le Web en février 2005, plus de 80% des blogs ouverts par des professionnels sont abandonnés dans les six mois qui suivent. Seuls les blogs thématiques ou liés à un projet ont une espérance de vie plus importante. Les blogs sont actuellement à la mode parce que ces éléments ne sont pas encore connus. Il est difficile de penser qu’un blog va forcément être indispensable à la panoplie de l’individu professionnel quand on voit que ce sont principalement les ados qui sont les vrais responsables du succès des quelques plates-formes de blogs qui marchent bien sur le marché (ex. : Skyblog).

De ce fait, contrairement à l’idée actuellement acceptée, les blogs ne peuvent traiter correctement l’aspect "projeter une bonne image de soi-même grâce à l’Internet". C’est précisément à ce besoin que les réseaux sociaux doivent répondre.

Quand on pense « réseaux sociaux », on associe généralement « mise en relation » comme fonction centrale. Tout le monde a ainsi mis le focus sur la mécanique de mise en relation proposée par ces services, mais je suis persuadé que ce n’est pas la fonction principale des logiciels sociaux, seulement une conséquence, un prolongement... Une conséquence de quoi ?

De l’hyper-visibilité !

La notion « d’hyper-visibilité » est étroitement liée à la présence des individus sur Internet. Prenons mon nom comme exemple simple : il y a presque 75 000 autres Lefebvre rien qu’en France (avec différentes orthographes, certes), et il existe même de nombreux Alain Lefebvre avec la même orthographe. Le plus célèbre est un pianiste canadien. Pourtant, quand on tape « Alain Lefebvre » dans Google, c’est moi qui ressors sur les deux premières pages !

Depuis peu, les blogs participent et entretiennent cette hyper-visibilité avec une particularité. Les blogs permettent d’afficher « ce que je pense » ou « ce que je fais » en ce moment. Si on y réfléchit, le « ce que je pense en ce moment » est une forme de « signal social »... le signal social, encore une nouvelle notion ?

Pas si nouvelle en fait, le signal social sur Internet existe depuis que les messageries instantanées sont apparues. En effet, les pionniers de ce domaine, les créateurs d’ICQ, se sont vite aperçus que le statut utilisateur (connecté, pas connecté, disponible, absent, etc.) affiché par leur logiciel était une fonction très appréciée... et, aujourd’hui, tous les logiciels de messagerie instantanée permettent de définir ce statut, voire de le personnaliser. Cela paraît anecdotique, mais ce statut, qui est aussi une forme de signal social, est déjà très utilisé dans certains contextes.

Dans un article paru en juin 2005, le magazine Wired rapporte qu’à Hollywood, la plupart des travailleurs indépendants de l’industrie du cinéma (et ils sont nombreux sur place) utilisent iChat (Apple Mac OS) comme logiciel pour rester en contact les uns avec les autres. Et iChat permet justement de personnaliser le statut affiché...

Au lieu de « indisponible » ou « pas connecté », ces prestataires affichent « cherche une mission » ou « suis en tournage encore 2 semaines » dans leur statut, qui devient alors un véritable indicateur de leur activité professionnelle. Cet utilisation du signal social est devenue tellement répandue dans cette communauté qu’une bonne partie (jusqu’à 90% pour certains !) de la distribution du travail passe désormais par ce biais.

La notion de signal social est un prolongement logique de notre pratique récente de l’Internet : depuis que les offres haut-débit sont disponibles, ce qui a le plus changé, ce n’est pas seulement la capacité d’accès au réseau, c’est surtout la permanence de connection à ce réseau !

Et comme nous sommes désormais souvent connectés tout au long de la journée, il est logique que nous affichions plus d’informations sur nous. Des informations récentes, actuelles, détaillées, spécialisées (on le fait déjà : ma liste de souhaits sur Amazon, ma liste de liens sur Blogmarks, etc.)...

Je viens de lancer un nouveau service qui permet de définir son signal social "pour de vrai" (www.signal-social.fr) . Notre identité numérique et notre signal social sont donc les deux faces visibles de notre utilisation quotidienne du Net. Cette évolution pose de nombreuses questions : que reste-t-il de mon intimité avec cette "hyper-visibilité" ?

On ne peut répondre à cette vraie interrogation (légitime) en deux lignes, mais je propose une piste : gérer son extimité pour préserver son intimité. L’extimité, c’est ce qu’on souhaite mettre en avant, ce qu’on veut rendre visible. Plus votre extimité sera large, et plus votre intimité pourra être protégée.



9 réactions


  • HK (---.---.242.109) 16 décembre 2005 17:14

    Bonjour, Je partage votre constat sur le fait qu’aujourd’hui il est pratiquement impossible d’être anonyme. De plus, il est même possible de générer un véritable « hoax » (rumeur) au sujet de quelqu’un et lui prêter des paroles ou des actes dont il n’est pas l’auteur (voir le cas du journaliste qui serait devenu complice de l’assassinat de JFK sur Wikipedia). Autant, au départ de l’Internet, on se contentait de communiquer avec un pseudo et tout le monde s’en accomodait. Aujourd’hui, les lecteurs veulent davantage de transparence. Ils mettent autant en avant l’auteur d’un texte que le texte lui-même. Vous avez raison de dire qu’aujourd’hui il va falloir gérer une véritable personnalité numérique. Il sera donc indispensable d’avoir son blog personnel (ou sa page web) pour proposer sa propre personnalité numérique officielle. « Mon vrai moi » en quelque sorte. C’est intéressant de constater que les hommes politiques et les sportifs, par exemple, animent leur propre blogs. Cela leur permet de montrer leur « vrai moi » débarassé de tout bruit périphérique. Il faudra donc avoir son « blog » personnel et parfois se préparer à être sur la défensive. Imaginez un candidat pour un emploi. Qui peut empêcher un cabinet ou un département de RH de contrôler ce qu’on dit sur lui dans un moteur de recherche et évaluer ce candidat par rapport à ces éléments issu du net ? C’est pourquoi un tel service de « signal social » peut être utile mais cela doit-il relever d’un business ? Un agent de RP numérique en quelque sorte qui garantit l’identité numérique officielle ? Bonne journée.


  • Yannick (---.---.65.50) 16 décembre 2005 18:47

    On est aux marges de la « publi-information » là quand même. Est-ce vraiment ça le « journalisme citoyen » ?


    • Alain Lefebvre Alain Lefebvre 16 décembre 2005 19:01

      Certes, j’annonce mon service dans cet article. Mais pas seulement : j’explique ce qui a conduit à l’apparition d’un service comme celui-ci et cette évolution concerne déjà beaucoup de monde aujourd’hui, encore plus demain. On n’est plus seulement dans le domaine de l’évolution technique mais bien dans celui des phénomènes sociétaux. Car l’usage de l’Internet sort désormais du cadre des technologies pour concerner la vie de tous les jours.


  • laurent (---.---.126.137) 16 décembre 2005 20:44

    Vous êtes en train de nous expliquer qu’en contrepartie de nous expliquer la vie, vous avez bien le droit de faire de la publicité ??? Je confirme : il s’agit bel et bien de publi information. Si je veux trouver l’info, je suis capable de taper alain lefebvre et signal social dans google. Pas besoin donc de faire de pub, ça pollue. Purée, ça m’énerve !!!!


  • Sylvio (---.---.243.196) 16 décembre 2005 21:19

    Je conteste les commentaires précédent, cet article est très intéressant et a un aspect citoyen : protégé sa vie privé.

    « gérer son extimité pour préserver son intimité », là dessus je vous répond mon expérience :

    Pour mon intimité :

    - Tous mes amis sont sur MSN, ils indiquent pour une grande partie ce qu’ils sont en train de faire (ils pourraient presque même pour les plus « machos » indiqué les bons moments qu’il passe avec une nouvelle conquète). Je n’indique jamais ce que je fais, soit MSN est fermé (la pluaprt du temps), soit je suis « hors ligne » (mais connecté) soit je suis connecté et je dialogue.

    - concernant les résultats de google me concernant, à part quelques contributions à la définitions de terme informatique dans un dictionnaire (copier de très nombreuses fois par d’autres dictionnaires !), il n’y a pas grand chose : quelques participation sur des forums et un site perso que j’ai oublié depuis longtemps. Bref, de toute façon, en général ce qu’on trouve c’est ce qu’on a publié volontairement.

    Pour mon extimité :

    Si j’ai bien compris le sens de ce mot, ben j’ai bien un blog mais mon nom n’est pas mentionné dessus (je n’ai pas trouvé l’utilité ni pensé à le mentionner) donc il n’apparait pas sur Google lorsqu’on cherche mon nom donc je la gère mal à priori.

    Le même problème peut se posé avec le téléphone portable surtout que plus tard ils intègreront des systèmes comme MSN.


  • Sylvio (---.---.243.196) 16 décembre 2005 21:23

    J’ai visité le site « signal social », c’est très novateur comme concept et pratique de surcroit.


  • Sylvio (---.---.243.196) 16 décembre 2005 21:37

    Une dernière chose intéressante concernant cette hyper-visibilité.

    Comme je l’ai dis j’avais envoyé 3 définitions de terme informatique pour contribuer à un dictionnaire en ligne, je n’avais jamais demandé qu’ils inscrivent mon nom. Au contraire 3 ans lorsque je me suis « googler » pour la 1ere fois, j’ai contacté le webmaster en lui demandant comment il avait eu cette définition que j’avais publié dans un rapport de stage en entreprise confidentiel (j’avais peur que le rapport soit sur internet aussi). J’avais oublié que je lui avais envoyé 3 ans plus tôt pour le remercier...

    Une des définitions (celle de DMZ) à été modifiée en très grande partie mais ils ont laissé (« d’après Sylvain PAPET »).

    Cette définition a comme les autres été copié ou reprise par de nombreux dictionnaire en ligne (il n’y a qu’à voir le nombre de résultats google).

    Bref on la trouve partout avec mon nom mais elle n’est pas (plus) de moi ! Ma seule solution serait de contacté tout les sites pour leur demandé de modifier cela. Imaginons quelle empleur cela pourrait prendre dans d’autres situations : tout simplement le relayage de choses fausses (ex : de fausses statistiques) ou de texte injustement attribué à quelqu’un.


  • Spinodo - Charles Mougel (---.---.93.45) 18 décembre 2005 00:26

    Je vous vois parler d’extimité, pour ma part j’aime bien le terme de « wisibilité personnelle ». Dans tout les cas, cette notion de visibilité sur le web est de plus en plus importante. Depuis que la valeur du flux de visiteurs est marchande, la wisibilité d’une personne, d’une entreprise, d’un produit, devient prédominante dans l’économie du web.


  • Jérôme (---.---.148.199) 18 décembre 2005 22:14

    Je suis assez d’accord sur - au moins -l’ambiguité de la démarche de l’auteur. Il est sur une frontière : d’un coté c’est intellectuellement légitime et intéressant, mais quand on clique sur le lien, on est un peu écoeuré, on se sent floué par l’aspect « je vends mon concept », avec bannières et tutti quanti, ça fait calculé et on a envie de se demander s’il ne va pas falloir passer sa vie à se méfier. Déjà que sur des blogs, je hais cette multitude de bannières plus ou moins défilantes...mais là c’est pire, ça fait bizness à fond : le logo, la petite phrase d’accroche...

    Alors, deux questions : pourquoi les admin d’agoravox ne disent rien ? Pourquoi l’auteur n’avoue pas honnêtement qu’il se sert d’un argumentaire sociologique pour se vendre ?


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