Les petits secrets cachés des gendarmes
Cette petite aventure est un souvenir si récent que j'ai envie de vous la raconter au présent.
Il fait un temps superbe et je suis paresseusement assise dans mon fauteuil pliable en toile rayée. Mes cheveux blancs sont à l’abri du soleil sous ma casquette coquette de même couleur. Cela devrait être un tableau printanier tout à fait ordinaire d’une grand-mère dans son jardin. Oui, mais je ne suis pas dans un jardin, mais à l’entrée du grand centre commercial de ma ville, à quelques mètres de la porte principale et bien placée en face de l’ouverture centrale. Ce que je fais là ? Mais je milite comme je le fais depuis plusieurs décennies. Jadis je courais et sautais dans les manifestations, mais mes jambes ont peu à peu perdu leurs forces. Il a bien fallu s’adapter, aussi quand mes camarades levaient le poing dans les rues de Paris, j’allais faire la femme-sandwiche avec des affiches dans les galeries commerciales de ma banlieue. La marche devenant trop pénible, j’ai décidé de faire ma manifestation individuelle en fauteuil.
Nous sommes le samedi 4 mai, veille de la manifestation pour une sixième République. Ma béquille à ma gauche, ma gourde d’eau à ma droite, assise confortablement dans mon fauteuil de camping, j’envoie des sourires aux chalands pour les engager à regarder l'affiche posée sur mes pieds et bien tenue en mains.
Très vite, comme cela m'est déjà arrivé, un employé vient m’informer que l’endroit n’est pas prévu pour jouer les porte-affiches. Il signale ma présence et trois messieurs de la « Sécurité Incendie » se présentent. Dans ce centre commercial, il n'existe pas d’autre « Sécurité » que celle contre l’incendie. Comme si j’allais mettre le feu, enfin, à mon âge… Puis, comme c’est la coutume, arrive le « Chef de la Sécurité du Centre Commercial ». Plutôt désagréable le jeune chef ! Je ne m’inquiéte pas, forte de ma « liberté fondamentale du droit à l’expression », d’autant plus que j’ai même pris la précaution facultative de m’asseoir à la limite de la partie parking appartenant à ma commune. Je suis en quelque sorte chez moi.
Comme je refuse de partir, ces cinq grandes silhouettes s’installent en demi-cercle devant moi pour me rendre invisible. Il en résulte un petit jeu : Je dois bouger ma pancarte pour la faire apparaître aux yeux des clients et eux se déplacent pour la dissimuler. Bref, s'organise un « coucou caché » entre une grand-mère et les cinq gardiens de la sécurité, une bonne affaire pour ma cause car les gens, intrigués par notre manège, s’approchent et lisent mon affiche. Très irrité, le chef m’annonce qu’il va appeler les gendarmes. J’avoue que, sur le moment, je n’y crois pas. Peu à peu, découragés, ils rejoignent leurs services et un seul employé reste pour me surveiller.Quant à moi, je continue mon petit travail de militante.
Plus d’une heure plus tard, arrivent ceux que je n’attendais pas : les gendarmes. Je leur souris aussi, un peu sur mes gardes quand même, mais curieusement je ne semble pas les intéresser. Le Chef de la Sécurité est descendu les accueillir et c’est à lui qu’ils s'adressent : « On ne peut rien faire. Elle est dans son droit. En plus, vous voyez bien qu’elle est obtuse. » Je me croyais seulement têtue.
J’attends que leur discussion se termine, mais en même temps j’admire l’uniforme du gendarme à ma droite : bien repassé, du bon tissu à première vue, bien coupé…mais qu’est-ce que c’est que ce truc-là ? Sur la manche, au-dessus du coude, un magnifique blason brille de ses dessins dorés sur fond bleu foncé. Regardons mieux… Je me penche un peu : trois fleurs de lys !
Notre gendarmerie Républicaine, en Ile-de-France, arbore le blason historique de la région.
Les fleurs de lys sont, bien sûr, le symbole de la monarchie, comme si la Révolution n’était pas passée chez ces fonctionnaires de notre Etat républicain.
Et pourquoi trois fleurs de lys ? Je vous le donne en mille : en l’honneur de la Trinité. Oui, vous avez bien compris : le père, le fils et le saint-esprit !
Vous vous croyiez citoyens d’une République laïque ? Comme on peut se tromper !
Je ne pense pas que la gendarmerie, si attachée à la célébration de sa Sainte-Geneviève, souvent accompagnée d’une messe à laquelle nos élus ont parfois le tort d’assister, acceptera de remplacer son blason historique par le logo actuel de la région Ile-de-France.
Pourquoi ? Les conseillers régionaux ont choisi depuis 2005 une superbe « étoile rouge » à huit branches, soit une par département. Quel saut à franchir !
Quant à nos amis de province, qu'ils se rassurent : dans de nombreuses régions, ils pourront trouver des bizarreries aussi peu républicaine sur les manches de leurs gendarmes : semis sur hermine, symbole de la féodalité, fleurs de lys disposées différemment ou tout autre souvenir de l’Ancien Régime.
Dansons la carmagnole…