mardi 10 mars 2009 - par
L’abus de Riesling nuit à la liberté d’Internet
La grande bataille sur l’avenir du numérique est engagée en France : au son des tambours et trompettes, les premières salves ont commencé à tomber, et elles sont d’autant plus conséquentes que l’on devine déjà que le résultat du passage de la loi Création et Internet est d’une importance primordiale en France. Tous les coups sont permis, et certains ne s’en privent pas tel cet éditorial surréaliste paru dans les Dernières Nouvelles d’Alsace du 9 mars 2009.
Les éditos il est vrai sont rarement l’occasion de frayer avec les sommets de la réflexion comme de l’information (merci Agoravox de nous préserver de cette avanie). Celui de M. Olivier Picard, intitulé Liberté frelatée, semble faire tout son possible pour corroborer cet état de fait avec une mauvaise foi matinée d’approximations qui en arriverait à forcer le respect du lecteur le plus critique.
Consommer plus ou consommer mieux ?
L’éditorialiste, sabre au clair, attaque mais il n’apparaît pas tout de même fort assuré sur sa monture au galop. Il est vrai qu’il commence par sonner le clairon dans une maestria digne des plus grandes charges historiques, pour preuve ce morceau de bravoure : la polémique qu’il [le projet de loi] crée met en pleine lumière les nouveaux clivages de notre société contemporaine transcendant les veilles frontières héritées du XXème siècle. Diantre, nous sommes ainsi à un tournant historique de notre histoire, le zénith d’un affrontement qui changera la face de notre monde !
Hélas, après une telle entrée en matière, l’auteur s’embrouille et on sent que sa monture se cabre faute d’orientation précise : fustigeant le romantisme libertaire de ceux qui téléchargent sans passer à la caisse les œuvres protégées, ce dernier dans une envolée onirico-lyrique défend la création artistique… au profit des industries culturelles.
Du reste, fustigeant la consommation insatiable des internautes indélicats, il rate l’opportunité de se plonger dans l’analyse du système intrinsèque de ce commerce qui repose justement sur le désir comme principale source de profit. En effet, l’industrie culturelle est une machinerie en perpétuel mouvement où la production est ininterrompue en incorporant désormais des phases de recyclage de produits pour maintenir captif le consommateur (déclinaison d’un même produit sur des supports différents par exemple). Une exégèse psychosociologique sur le principe de la consommation de masse serait fort instructive, en tout état de cause c’est bel et bien le cœur de la société de consommation que nous touchons là.
Or en créant et stimulant sciemment le besoin, comment s’étonner ensuite que le citoyen lambda (surtout le plus jeune) ne disposant pas d’un budget loisirs extensible à l’infini soit tenté tôt ou tard par l’acquisition frauduleuse des produits présentés sous son nez ? Les industries ne sont-elles pas en définitive complices du délit constaté en hameçonnant le consommateur de façon répétée et parfois virulente (exemple du marketing agressif avant la sortie d’un film) ? [1]
C’est peut-être bien là où je rejoins l’auteur : C’est le signe que la bataille d’une éducation plus subtile doit être intensifiée bien au-delà des avertissements systématiques en début de séance au ciné, mais là où l’éditorialiste souhaite que le citoyen consomme plus dans un cadre légal, il serait autrement plus judicieux de favoriser prioritairement une éducation relativisant les aspects matériels et consuméristes de notre société, meilleur rempart contre toute acquisition frauduleuse.
L’apocalypse selon Saint Olivier
La réprimande ça ne suffit pas, il faut faire peur au pékin moyen. Le journaliste Alsacien décide par conséquent de sortir l’artillerie lourde pour mieux raffermir son imprécation : 450 000 téléchargements de films par jour, 170 millions par an, 37% d’internautes délinquants. Bigre, et pour enrober le tout des sentences tombées du ciel le tout dans un roulement de tonnerre : on tremble à l’idée que plus d’un internaute sur trois transgresse les interdits en dépit de l’offre des sites légaux … les Français, rois de la débrouille, sont pratiquement des champions du monde à ce petit jeu… A ce rythme, combien de temps les industries du 7ème art et du disque pourront-elles encore résister ?
Résister à qui ? Aux hordes méphitiques les encerclant et menaçant leur survie : c’est-à-dire le propre public des auteurs !
Passons sur les chiffres qui sortis ex nihilo (aucune source citée bien entendu) ne sont là que pour effrayer le paisible lecteur Alsacien déjà en état de stress intense par l’imminence apocalyptique annoncée (tiendrons-nous finalement jusqu’en 2012 doit-il vraisemblablement se lamenter).
En revanche aucune piste de réflexion sur tout d’abord la qualité et la quantité des offres légales citées. Ensuite, rien non plus sur les incroyables errements des ayant-droits (censés pourtant défendre les intérêts des cédants de droits d’auteur) leur ayant fait manquer la révolution technologique d’Internet par leur refus obstiné de s’adapter à un nouvel environnement économique (celui du numérique).
Bien entendu on pourrait aussi derechef évoquer (bien que très rapidement évacué par le journaliste) la question du prix des produits, souvent disproportionné par rapport à un support déjà ancien, dépassé, et surtout mal optimisé alors qu’amorti depuis de nombreuses années, sans omettre l’emballage du produit lui-même manquant souvent de… glamour.
Pour enfoncer le clou : quid de ceux qui ont téléchargé illégalement mais qui n’auraient pas acheté pour autant l’œuvre ? Quid aussi de ceux qui ont téléchargé illégalement et qui en définitive auront acheté le produit contrefait ?
Défendre le droit d’auteur et ses revenus légitimes afférents est une noble et juste cause, en revanche est-ce véritablement lui apporter une aide salutaire que d’éluder si ce n’est galvauder les causes d’un problème réellement complexe ?
Tout va bien Madame la Marquise…
Heureusement pour notre ami éditorialiste, rien de grave dans ce projet de loi car pourquoi s’insurger contre eux [les mécanismes de repérages et de sanctions] au motif de conjurer Big Brother, quand les réseaux permettent déjà des indiscrétions bien plus choquantes ?
Chacun appréciera le raisonnement par l’absurde qui part du principe que si atteinte préexistante à la liberté il y a, pourquoi se soucier d’une nouvelle ?
On se demande comment aurait pu prospérer le métier de journaliste avec de tels personnages car après tout, quelle broutille que la liberté d’informer sans le spectre de la censure et des autorisations administratives préalables ?
A tout seigneur tout honneur, je laisse le journaliste conclure : La liberté mérite aussi d’être protégée. La laisser sans défense, c’est la livrer aux barbares des temps nouveaux. Fermez le rideau : la commedia è finita…
[1] Maître Eolas dans son blog juridique avait souligné fort à propos cette contradiction.