jeudi 23 novembre 2006 - par Azür

Bergerac, a so politically uncorrected town !

Quand Edmond Rostand (1868-1918), s’inspirant de l’authentique écrivain (1619-1655) du même nom que son héros, fait dire à Cyrano Savinien de Bergerac dans sa fameuse tirade du nez : « Truculent : Ça monsieur, lorsque vous pétunez, / la vapeur du tabac vous sort-elle du nez / sans qu’un voisin vous crie au feu de cheminée ? », il ne se doute probablement pas que Bergerac deviendrait au fil des siècles un lieu saint des amateurs de tabac.

L’auteur du XVIIe siècle eut une jeunesse mouvementée. Entré comme cadet dans un régiment de gardes, il s’y distingua par sa propension aux duels et par des actes de bravoure. Se retirant de la vie militaire en en conservant de nombreuses blessures, il consacra le reste de sa vie aux lettres, et écrivit des œuvres comiques auxquelles Molière (1622-1673), Fontenelle (1657-1757), Voltaire (1694-1778) et Swift (1667-1745) ne dédaignèrent pas faire des emprunts. Il écrivit entre autres Histoire comique des États et empires de la Lune et du Soleil et Le Pédant joué.

Le personnage de la pièce du XIXe siècle apporta la gloire à son auteur et du coup remit son homonyme au goût du jour. La première, qui eut lieu au Théâtre de la Renaissance (28.12.1897), était pressentie par Edmond Rostand comme un futur fiasco. Il demanda pardon à la troupe de l’avoir entraînée dans une si pitoyable aventure, mais dès l’entracte la foule applaudit debout et un ministre vint lui épingler sa propre Légion d’honneur. La pièce qui fit un tabac fut traduite en plusieurs langues et eut un succès universel. Cyrano incarne la noblesse de cœur et la bravoure qu’un physique par certains côtés ingrat ne dessert pas autant qu’il le pense.

Bergerac, 28 000 habitants, grand prix des villes & villages fleuris de France, à 90 km à l’Est de Bordeaux, chef-lieu d’arrondissement du département de la Dordogne, capitale du Périgord jusqu’à la Révolution française et du second grand vignoble d’Aquitaine, a connu des heures sombres entre le XIIe et le XVe siècle, car elle est passée maintes fois aux mains des Anglais. Devenue bastion du calvinisme aux XVIe et XVIIe siècles, elle fut le lieu de signature de la Paix de Bergerac (17/09/1577) à l’issue de la sixième Guerre de religion (1576-1577). Place sûre protestante du fait de l’Edit de Nantes (1598), elle vit ses fortifications rasées en 1620 sur l’ordre de Louis XIII (1601-1610-1643), et la Révocation de l’Edit de Nantes (1685) par Louis XIV (1638-1643-1715) provoqua l’émigration de nombreux Bergeracois vers la Hollande... l’autre pays du cigare.

Bergerac, est également située au cœur d’une ancienne (XVIe siècle) et très productive région tabacole. En 1927, y fut créé l’Institut du tabac de Bergerac (ITB). C’est le seul centre de recherche européen qui se consacre entièrement à la plante, du semis au traitement après récolte. Ouvert au public, l’institut possède dans son jardin botanique une belle collection de 1000 variétés de nicotiniacées. Depuis 1995, des rencontres scientifiques y sont organisées tous les deux ans, au mois de septembre. Et depuis 1980, la Route de la tabaculture en Aquitaine est ouverte au public, de juillet à septembre. C’est surtout à partir de 1960 que l’ITB connut une renommée mondiale, car le mildiou frappant les cultures hexagonales, l’institut a développé des variétés résistantes à la maladie. Il a fallu attendre 1968 pour que soient mis à disposition des planteurs français le PB D6 (brun) et le BB 16 (blond) insensibles au mildiou. En 1975 furent créées les premières variétés à faible teneur en alcaloïdes, et en 1994, l’ITB obtint, pour l’ITB 1000 XO, la première autorisation européenne de mise sur le marché d’un végétal génétiquement modifié.

Bergerac abrite aussi un magnifique Musée d’anthropologie du tabac, créé en 1950 et réinstallé en 1982 dans la Maison Peyrarède, sous le nom de Musée d’intérêt national du tabac. Ce sont 600 m2 abritant des collections dans quatre salles thématiques (Usages & fonctions - Epoque XVIIe & XVIIIe - Les objets d’art du tabac - Artisanat du XVIIe au XIXe siècle) réparties sur deux niveaux retraçant 3000 ans d’histoire et de civilisation du tabac. En outre, le musée accueille régulièrement des expositions temporaires. Lors de la réinstallation s’est également constituée une bibliothèque thématique de plus de 3000 volumes. Chef d’œuvre architectural du XVIIe siècle, la Maison Peyrarède, du nom de son architecte et propriétaire initial, aurait donné asile une nuit à Louis XIII dit Le Juste (1601-1610-1643) qui y aurait décidé de faire abattre les fortifications de cette ville protestante, pour enfin la soumettre à son autorité. Richelieu (1585-1642) étant dans le coup, que pouvait-on bien en attendre d’autre ?

Issus d’un vignoble renommé, les vins de Bergerac obtinrent dès le XIVe siècle l’autorisation exceptionnelle d’apposer un griffon et une tour sur leurs fûts comme marque de reconnaissance. Appréciés par Henri III d’Angleterre (1207-1227-1272), Charles de Valois (1270-1325), François Rabelais (1483-1553), Michel de Montaigne (1533-1592) et Frédéric II de Prusse (1194-1220-1250), les crus de Bergerac se déclinent aujourd’hui en douze AOC : Bergerac, Bergerac sec, Côtes de Bergerac, Côtes de Bergerac blanc, Côtes de Bergerac moëlleux, Montravel, Côtes de Montravel, Haut-Montravel, Pécharmant, Rosette, Saussignac, Monbazillac. Essentiellement versé dans les blancs, le terroir bergeraquois produit aussi des rouges de qualité (Bergerac, Côtes de Bergerac et Pécharmant). L’appellation regroupe 58 communes où poussent plus de 10 200 ha de vignes.

Terroir de la vigne et du tabac, Bergerac est un endroit où il fait bon vivre. Alors, nunc est bibendum... y buena fumada compañeros !



11 réactions


  • schroen (---.---.175.112) 23 novembre 2006 11:58

    Très bel article sur une région qui ne l’es pas moins

    Mes félicitations à l’auteur


  • Bill Bill 23 novembre 2006 12:06

    Enfin un article sans morale outrancière ! Oui, Bergerac, quel joli nom pour une si jolie région qui produit de si bonnes choses...

    Merci à l’auteur.

    Bill


  • pingouin perplexe (---.---.120.146) 23 novembre 2006 13:25

    Article intéressant, consacré à une région vivante à souhait que j’ai beaucoup appréciée.

     smiley


  • (---.---.65.232) 23 novembre 2006 23:14

    Bien petit.

    Je te mets article intéressant


  • louis mandrin (---.---.45.205) 24 novembre 2006 10:15

    une région où je puise en partie mes racines, histoire oblige, entre une grand-mère jetée sur les routes de l’exode en 1940, une mère qui nait à Lauzun (Lot et Garonne), et des liens quasi-familiaux avec la famille chez qui tout ces malheureux, victimes silencieuses du nazisme, avaient été accueillies. C’est dans cette région que j’ai jeté des ponts par dela le temps, entre ma Moselle natale et ma Gascogne adorée (Marmande, Miramont de Guyenne, Razac d’Eymet...).


  • frederic9 (---.---.232.32) 24 novembre 2006 10:41

    Bergerac est ma ville de naissance, j’y suis donc très attaché, même si je n’y ait jamais vécu.

    Rappelons quand même que Cyrano n’avait rien à voir avec Bergerac (malgré son nom !), une ville où il n’a jamais mis les pieds.

    A Louis Mandrin : Bergerac a été un refuge pour de nombreux proscrits du Nazisme pendant la dernière guerre mondiale : par exemple la jeune (à l’époque !) Juliette Gréco, ainsi que sa soeur, étaient réfugiées à Couze et ont été éduquées au Collège de Bergerac pendant l’occupation.

    Bergerac était située en zone libre, et la frontière avec la zone occupée n’était pas très éloignée.


    • louis mandrin (---.---.62.131) 28 novembre 2006 09:43

      ma grand-mère, qui venait de Forbach (3 km de la frontière allemande, près de Saarbrück) a eu le choix suivant à faire, lors de l’annexion de la Moselle et de l’Alsace : - soit être allemande, soit quitter sa maison, ses biens pour être jetée sur les routes de l’exode...c’est comme ça qu’elle a été expulsée, avec son père et sa mère (qui en est morte) et a été envoyée à Lauzun...les gens qui l’accueillait étaient aussi pauvres que ceux qui arrivaient de l’est, ces boches de l’est comme on nous surnommait...et ils ont tout partagé, dans cette solidarité de la misère, de la guerre aussi...ma mère est née là-bas. Nous sommes rentré chez nous, sur la terre de nos ancêtres, mais depuis cette époque, le lien a franchi les générations puisque mes fils, jeunes ados, continuent à perpétuer ce pont...jamais, nous, Lorrains, s’oublieront cet accueil pendant les heures sombres de notre histoire (française et familiale) cet accent roulant ponctué de « drôle » de « con », de ces parfums du sud ouest qui me sont si familiers, presque maternels...Le jour ou le grand-père est mort (mon grand-père, si je peux dire), j’ai traversé la France pour l’accompagner dans son dernier voyage, alors qu’aucun lien du sang ne nous unissait...


  • krokodilo (---.---.18.142) 24 novembre 2006 19:18

    j’ai eu beau chercher, je n’ai pas trouvé ce qu’un titre en anglais apportait à votre article : vous auriez pu, en somme, le dire de bien des façons, en chinois, en italien, voire en français !


    • louis mandrin (---.---.62.131) 28 novembre 2006 09:50

      il ne faut pas oublier que c’est une terre qui a connu l’invasion anglaise pendant la longue guerre de 100 ans, elle bénéficie aujourd’hui d’un attrait profond et certain de la part des britanniques, qui viennent s’installer en masse, pour les vacances ou pour y vivre définitivement...d’où parfois, dans notre terre française des ilots de « britanité » (épiceries anglaises, presse locale en anglais pour les membres de cette communauté florissante...)....la seule chose que je ne comprenne pas, c’est leur engouement pour un vin blanc absolument infect à mon goût, un breuvage acide à l’extrême, qui a la propriété de presque pouvoir faire éclater l’émail des dents à son simple contact (c’est la sensation que j’en éprouve lorsque je tente de le goûter...).


  • 28 novembre 2006 16:04

    A krokodilo (IP:xxx.x5.18.142) qui a écrit le 24 novembre 2006 à 19H18 : « j’ai eu beau chercher, je n’ai pas trouvé ce qu’un titre en anglais apportait à votre article : vous auriez pu, en somme, le dire de bien des façons, en chinois, en italien, voire en français ! »

    Ce titre en anglais était un double smiley à :
    - l’époque où la région eut à subir l’invasion britanique (Guerre de 100 ans).
    - le fait qu’il est devenu politiquement incorrect de parler du tabac d’une façon positive.


  • clymustre 22 mai 2007 11:18

    Il est a noter que aujourd’hui la ville (et toute la region) resubit une invasion britanique (bien necessaire pour l’economie morose).


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