Du rififi chez les couteaux à pain
Ils ne vont pas y couper.
De tout temps jusqu'alors, le couteau à pain a su se montrer très utile pour couper le pain en tranches fines ou épaisses grâce à sa lame crantée. C'est ainsi qu'il trônait, posé sur une planche à pain au milieu de la grande table de cuisine et s'accordait l'insigne honneur de n'être utilisé que par le maître de maison. Depuis, les choses ont bien changé !
Mais pour les béotiens de la pratique, il convient de revenir sur l'usage qu'on faisait jadis de cet ustensile qui symbolisa lui aussi l'art de vivre à la française. La caractéristique principale de ce couteau résidait dans sa lame puissante et longue avec un fil dentelé qui permettait alors de couper le pain sans effort et sans l'écraser.
Ce geste ancestral était parfois précédé d'un rituel cultuel à l'entame de la miche ou de la boule. L'ancien retournait le pain pour y tracer une croix lors d'un moment de recueillement collectif. Du reste, il convient de préciser à tous ceux qui ignorent tout du culte que l'on portait jadis au pain, qu'il eut été inconcevable de le poser sur la table comme sur sa planche à l'envers. Nul autre que le bourreau avait droit à cette infamie.
De nos jours, quand il n'est pas de forme triangulaire ou de toute autre figure géométrique incongrue, il se fait baguette molle, flasque, incertaine au point qu'un député fort mal avisé mais soucieux de faire parler de lui à longueur d'antenne, désire l'inscrire au patrimoine immatériel de l'humanité. Crime de lèse gastronomie que cette campagne pour un pain qu'on nomme baguette parisienne, tant elle a perdu toute authenticité régionale. Le Jacobinisme en tête pour le chantre supposé de la ruralité.
Le malheureux couteau à pain est d'aucune utilité avec ses mollassonnes qui plient à la moindre humidité dans l'air, s'effondrent au premier orage et surtout, tombent en miette sur les dents d'un couteau digne de ce nom. Même rompue, l'indigne baguette fait de la bouillie à moins qu'elle ne soit tout juste sortie du fournil. C'est alors quelques heures plus tard, qu'elle se fera flasque sans qu’on n’en ait jamais l'idée ni même le désir d'en faire des mouillettes.
Par ailleurs, il a désormais un redoutable rival qui tranche singulièrement avec la tradition. La terrifiante trancheuse de nos boulangeries contemporaines, double à plaisir la queue et propose de manière sournoise de vous coller toutes les tranches pour peu que le pain soit encore chaud. Profitant alors des vertus d'un hammam sous sachet en plastique, vous aurez la surprise de retrouver votre pain parfaitement reconstitué et désormais incoupable.
Le couteau à pain, condamné à l'inemploi trouve parfois des usages qui sortent de son cadre traditionnel. Il est à ce titre remarquablement efficace pour éplucher un ananas mais le reste du temps, il se casse les dents sur d'autres fonctions qui ne seront jamais siennes. Il se morfond dans un tiroir de cuisine, se demandant quand enfin, il retrouvera cette pleine lumière qui en faisait le symbole de la maison.
Les maies ont disparu à tout jamais. Le four à pain n'existe plus dans nos demeures et comble de blasphème, le pauvre pain, lui-même, sort du congélateur ou d'un sachet en cellophane. Ce pays sacrifie sa culture sur l'autel d'un consumérisme de pacotille qui ne laissera que des miettes à ce qui faisait jadis la grandeur de cette nation.
Il serait grand temps que les couteaux à pain lancent la grande révolte du retour aux valeurs et au saveurs d'antan. C'est là l'espoir que je formule en ce billet qui prendra son temps pour lever l'esprit de révolte qui sied à un juste et nécessaire retour à une grande tradition française.