Affaire Depardieu : un président insultant, un acteur libidineux
Depardieu : un « grand acteur » versus un « gros dégueulasse » : telle est en substance la tonalité des propos qui sont échangés dans les médias entre les rares personnalités qui soutiennent le comédien, et celles, très nombreuses, qui le vouent aux gémonies pour cause de beauferie graveleuse et de harcèlement sexuel compulsifs. Et cela dans le cadre d’une polémique très largement attisée par les propos irresponsables de Macron…
Lorsqu’il s’est exprimé le 20 décembre, dans le cadre d’un entretien diffusé dans l’émission C à vous de France 5, sur le cas Depardieu – alors au centre d’une polémique montante liée à ses récurrentes dérives comportementales de nature sexuelle –, Macron a cru marquer des points dans l’opinion publique en volant au secours de cet acteur populaire, de facto formidable dans la plupart des rôles qu’il a interprétés, à l’image de sa prestation dans les habits de Cyrano.
À l’évidence, il s’agissait moins pour le chef de l’État de soutenir le comédien, confronté à de virulentes dénonciations des actes obscènes et des paroles graveleuses dont il semble être coutumier depuis des décennies – pas seulement sur les plateaux de cinéma – que de ramasser la mise d’une prise de position clairement dictée par un calcul politique démagogique.
En affirmant haut et fort que Depardieu « rend fier la France » et en dénonçant la « chasse à l’homme » dont il serait l’objet, le président de la République est gravement sorti de son rôle. Certes, il a eu raison d’en appeler à la « présomption d’innocence » de l’acteur, mais celle-ci ne vaut que pour les plaintes pour viol qui ont été déposées contre lui par la comédienne Hélène Darras et par la journaliste espagnole Ruth Baza.
Sur ces deux affaires, il appartiendra à la Justice, et à elle seule, de statuer le moment venu. Ce qui ne sera pas le cas pour ce qui concerne les multiples dérives comportementales auxquelles Depardieu s’est manifestement livré au cours de sa longue carrière si l’on se réfère aux faits que nous révèlent de très nombreux témoins depuis des années, et non depuis quelques semaines comme cela est affirmé par certains pour minimiser la portée des accusations.
De la nature de ces dérives, Macron n’a rien dit, ce qui relève incontestablement d’une faute. Son épouse Brigitte elle-même aurait été très gênée par ce silence, nous rapportent les éditorialistes. Et pour cause : fût-ce de manière générale, son président de mari n’a pas eu le moindre mot de compassion pour les victimes de harcèlement et d’agressions sexuelles.
Dès lors, comment s’étonner que la parole de Macron ait été perçue comme une « gifle », comme une « insulte », comme un crachat à la figure » – autant de mots lus et entendus dans les médias – par toutes celles qui ont eu à subir, non seulement de la part de Depardieu, mais de tous les prédateurs sexuels qui sévissent dans notre société, des mots obscènes, des palpations répugnantes, et parfois pire encore.
Actrices, figurantes, costumières, maquilleuses, combien de femmes ont été victimes des agissements de Depardieu, décrit par de nombreux témoins comme un beauf libidineux, longtemps resté intouchable du fait de son statut de « star » ? À cet égard, les mots, parfois très crus, de personnalités comme Isabelle Carré, Vahina Giocante, Anouck Grinberg ou Sophie Marceau sont accablants pour l’acteur.
Ma signature a été un autre viol !
Face à ces actrices, respectées pour leur discrétion et leur humilité, ainsi qu’aux signataires des protestations virulentes du collectif #MeToo Media – lequel rappelle à l’oublieux Macron « qu'il est aussi le président de toutes les victimes de Gérard Depardieu et, par extension, de toutes les femmes qui sont victimes de violences sexistes et sexuelles » –, la tribune publiée le 25 décembre dans Le Figaro par 56 personnalités du show-biz en soutien à Depardieu ne pèse quasiment d’aucun poids, n’en déplaise à ces bons apôtres.
D’une part, parce que les signataires de cette tribune exonèrent de facto Depardieu de ses comportements de goujat au seul motif qu’il est un grand acteur qui disposerait à ce titre de tous les droits, y compris celui, hérité de détestables pratiques d’un passé que l’on souhaiterait révolu, de harceler et d’agresser des femmes. D’autre part, parce que l’homme qui a rédigé ce texte n’est autre que le manipulateur Yannis Ezziadi, un acteur et éditorialiste d’extrême-droite connu pour son soutien indéfectible à Roman Polanski et Gabriel Matzneff !
Nombre des signataires de la tribune du Figaro ont, depuis, fait machine arrière en prenant prétexte de l’identité sulfureuse de l’initiateur de cette tribune, et cela alors que cette identité était pourtant connue dès le départ ! Étonnant, non ? Mais le pire restait à venir pour Depardieu et les rares personnes qui lui restent fidèles malgré les nombreuses révélations de ses frasques : une contre-tribune publiée dans Le club de Médiapart le 30 décembre a, d’emblée, été signée par 600 artistes.
Un nombre qui n’a fait que croître au fil des jours pour dépasser désormais la barre des 8 000 signataires, écœurés par la coupable complaisance dont les milieux professionnels ont fait preuve si longtemps à l’égard de ce « monstre sacré » aux mœurs dégoûtantes à l’égard des femmes, non seulement sur les plateaux de cinéma, mais également dans les coulisses.
Ces gens-là participent-ils à une « chasse à l’homme » ? à un « lynchage » ? Certainement pas ! Pas plus que les 150 artistes de renom qui ont signé dimanche une autre tribune dans Libération en fustigeant celles et ceux qui ont apporté leur soutien à des « comportements intolérables ». Tous demandent simplement que l’on cesse de se voiler les yeux pour en finir avec des pratiques d’un autre temps !
Faut-il pour autant interdire de diffusion les films dans lesquels Depardieu a tenu la tête d’affiche ? C’est ce qu’ont acté différentes chaînes de télévision en Belgique, au Canada, en France et en Suisse. Une décision absurde car elle revient à établir un lien indissociable entre l’artiste et l’œuvre qu’il a servie avec un talent très largement reconnu. Absurde également car nul téléspectateur n’est captif d’un programme : il appartient à chacun de faire son choix en connaissance de cause.
En conclusion, écoutons Jacques Veber, l’un de ceux qui a retiré sa signature de la tribune du Figaro en soutien de Depardieu : « Je mesure chaque jour mon aveuglement. J’ai par réflexe d’amitié signé à la hâte (...) en oubliant les victimes et le sort de milliers de femmes dans le monde qui souffrent d’un état de fait trop longtemps admis. » Reconnaissant avoir lui-même toléré « des comportements inacceptables sur les plateaux de cinéma et de théâtre », l’ami de Depardieu va encore plus loin dans la contrition : « Ma signature a été un autre viol ».
On aurait aimé que Depardieu ait des mots d’excuse à l’égard de toutes les femmes qu’il a humiliées, agressées, et possiblement violées, lui qui, dès 1978, se vantait dans un média américain d’avoir « participé à de nombreux viols » et affirmé que les femmes victimes « voulaient être violées ». Rien de tel n’est venu de sa part, hélas ! Quant à Macron, en restant silencieux sur les victimes, il a conforté tous ceux qui l’accusent de mépris.