Agoravox, jusqu’où peut-on supporter la voix du peuple ?
Je souhaite ici céder à mon tour à un petit exercice formel, le billet d’humeur traitant d’Agoravox, auquel d’autres rédacteurs se sont déjà livrés à maintes reprises. Car cette volonté affichée d’être le média citoyen pose un certain nombre de questions qui méritent d’être débattues.
J’ai découvert Agoravox assez récemment et en pleine campagne présidentielle. L’ambiance était, comme plusieurs rédacteurs et commentateurs l’avaient fait remarquer, particulièrement chaude. Certains semblaient le regretter, évoquant un temps que je n’ai pas connu et où les échanges étaient plus policés, où l’esprit le disputait au verbe et si l’on joutait, c’était à fleuret moucheté. J’exagère ici peut-être un peu, mais on ne manquera pas de me corriger.
Lorsque j’ai débarqué, j’ai effectivement trouvé dans les fils des échanges virils mais fair-play , mais aussi d’autres, plus "bruts de décoffrage", un peu rugueux. C’est un peu la même différence qu’entre un rugby de gentlemen, sensibles au beau jeu, et le rugby plus instinctif des clochers. Les deux ont leur charme.
C’est ce joyeux bordel qui m’a attiré, qui m’a fait me prendre au jeu d’Agoravox. J’ai, comme beaucoup je suppose, fait mes armes sur les fils de commentaires où j’ai pu jouter intellectuellement (pas toujours) avec des "contradicteurs", confronter des idées, chercher la faille dans l’argumentaire de mon "adversaire", usant de temps en temps du soupçon de mauvaise foi nécessaire pour pimenter le jeu.
Des amitiés, des inimitiés virtuelles tenaces se créent parfois, des alliances se font et se défont au gré des sujets. On s’empoigne parfois virtuellement par le col en s’abreuvant (moins virtuellement) de noms d’oiseaux.
S’il est un reproche, à mon sens, qu’on ne peut pas faire à Agoravox, c’est le manque de diversité. On peut effectivement déplorer, à l’instar de la Taverne des Poètes, une surreprésentation masculine (il y a toutefois des rédactrices qui contribuent brillament à alimenter Agoravox), mais la plupart des opinions y sont représentées dans les articles ou les commentaires. Diversité de sujets aussi, même si les sujets politiques prédominent. Logiquement chacun se sent sous-représenté, certains le sont sûrement de par le média utilisé (ruraux, personnes âgées, réfractaires à l’informatique, classes populaires). Ceux qui sont proches de l’UMP trouvent qu’Agoravox est, au choix ou alternativement, Modem, PS, gauchiste ; les gauchistes que c’est un repère de fachos, de néolibéraux et/ou de néo-cons. Les classes populaires (où ceux qui s’en réclament) fustigent les bobos. On peut aussi trouver des articles sortant des sentiers battus qui sont de petites bouffées d’air souvent bienvenues.
La diversité se ressent aussi dans la forme. Certains maîtrisent nettement mieux cet aspect que d’autres, il m’arrive souvent d’en jalouser secrètement quelques-uns. Mais il est primordial que des rédacteurs moins aguerris puissent être publiés. D’autant que parmi ceux qui persistent, il me semble que le style devient plus assuré au fur et à mesure des publications. On apprend aussi en faisant. C’est d’ailleurs à ce sujet que j’émettrai mon seul vrai coup de gueule : les commentaires condescendants (pour rester poli) sur l’orthographe ou la qualité d’expression du rédacteur. En général il est vrai que certains commentateurs ne manquent pas de renvoyer le cuistre dans ses cordes. Mais franchement je ne vois rien de plus humiliant et méprisable et c’est pour moi la seule cause fondée (d’un point de vue strictement moral) de censure. Je comprends que des rédacteurs puissent s’en trouver profondément humiliés et préfèrent cesser d’écrire.
Ceux qui estiment que le niveau rédactionnel n’est pas assez élevé trouveront facilement leur bonheur dans d’autres médias (il n’y a que l’embarras du choix) tenus par des professionnels. Si on cherche de l’information bien formatée, Agoravox ne me semble pas le lieu le plus indiqué et c’est son principal intérêt.
Pour en revenir aux commentaires, d’aucuns ont fait remarquer que des commentateurs, souvent protégés par une IP anonyme, venaient "lâcher leur petit étron" sur un fil en évitant soigneusement de revenir sur les "lieux de leur forfait". C’est vrai que c’est parfois agaçant, mais ça fait partie du jeu. Ce genre de commentaires est facile à déceler, on peut selon l’humeur passer dessus en vitesse ou y répondre. Mais nul n’est tenu de les lire et puis si ça peut soulager celui qui s’y est livré...
Finalement la communauté agoravoxienne fait un constat que d’autres avaient fait avant elle. La parole au peuple c’est un beau principe, mais des fois ça sent fort. J’ai moi-même des aspirations politiques qui m’ont fait réaliser ces contradictions. C’est le travers des idéologies de "gauche", qui veut le bonheur du peuple et qui souhaite lui donner la parole mais qui découvre ainsi que les aspirations du "peuple" sont parfois contradictoires avec celles qu’elles lui avaient prêtées. Quand mon collègue ouvrier vote Sarkozy ça me fout les boules, mais dois-je ne souhaiter la démocratie que quand le peuple pensera comme moi ?
Laisser la plus grande liberté d’expression possible permet aussi d’ébranler des certitudes et cela amène parfois à des remises en question dont on aurait préféré se passer mais qui sont salutaires. Bien sûr on peut sortir aigri, frustré d’un échange. Souvent parce qu’on a le sentiment de ne pas avoir gagné la partie, de ne pas avoir été écouté puisque pas compris, puisque l’autre a campé sur ses positions. Pourtant, il suffit de s’interroger quelques instants pour s’apercevoir que chacun, sans forcément le reconnaitre, a fait un pas vers l’autre. Souvent, les choses se policent d’elles-mêmes et, à défaut d’un accord, un respect mutuel (qui sera peut-être transgressé parfois) finit par s’établir.
Tout ça pourquoi ? Pour tuer un dimanche après-midi et flatter un peu mon ego. Et puis pour dire que même si je m’énerve parfois, je trouve mon compte sur Agoravox.