lundi 7 juin 2010 - par Emile Mourey

Allianoi, site antique

Allianoi est un fabuleux site archéologique d’Asie mineure, en Turquie, récemment découvert et pourtant déjà menacé par un projet de lac artificiel. Arte  lui a consacré, en 2008, un documentaire en forme d’appel au secours ; retransmission ce samedi 5 juin à 13h05. Et parce qu’Allianoi est un site antique, il peut nous apprendre beaucoup sur nos sites gaulois, Bibracte et Gergovie. Ce texte est une reprise de mon article du 20 mai 2008.

Allianoi existait au deuxième siècle de notre ère ; le célèbre rhéteur et sophiste grec Publius Aelius Aristide, qui vivait à cette époque, venait y chercher la guérison de ses maux mais on ignorait où se trouvait l’endroit. Le doute est aujourd’hui levé. C’est à Pacha Ilicasi - les bains chauds du Pacha - que les fouilles ont mis au jour l’importante ville thermale. Le lieu correspond à l’Hadrianuteba de la carte de Peutinger, première station sur une importante voie antique, à 18 kilomètres (VIII lieues) de Pergame, capitale du royaume aux deux tours symboliques (Pars X ). Position fortifiée, Pergame - aujourd’hui Bergame - est perchée sur une hauteur remarquable, comme Gergovie que je situe au Crest, comme Bibracte que je situe sur le horst de Mont-Saint-Vincent (voyez mes précédents articles, tous les arguments que j’ai présentés et l’absence de contradictions sérieusement argumentées).

Allianoi était la ville d’eau de Pergame - cela me semble évident - comme Vichy l’était pour Gergovie/Le Crest, comme Bourbon-Lancy l’était pour Bibracte/Mont-Saint-Vincent. Ces eaux sont des eaux guérisseuses et parce qu’elles sont guérisseuses et bienfaitrices pour la santé, elles attiraient les touristes romains, ce qui développait l’urbanisme et enrichissait les cités qui les possédaient. La carte de Peutinger les indique, en général, par une vignette caractéristique.

Les Galates, autre nom pour dire Gaulois, sont arrivés en Asie mineure vers l’an – 278. Alors que les Romains ne dominaient pas encore la région, alors que les bains n’avaient pas encore connu leur essor, que s’est-il passé entre les Grecs installés à Pergame et les Galates conquérants venus de la Gaule ? Comment s’est faite la rencontre entre une culture de pure tradition grecque et une culture celte que ni le judaïsme, ni le christianisme n’avaient encore touchée ?

La réponse se trouve dans le Grand Autel de Pergame. La construction de cet imposant monument célèbre, vers l’an - 167, la fin d’une guerre que Pergame remporta sur les Galates. Il est aujourd’hui exposé dans une grande salle du musée de Berlin. Les frises, monumentales, représentent une Gigantomachie, iconographie bien connue par les poteries grecques dont les décorations mettent en scène les combats des géants contre les dieux de l’Olympe.

Soyons logiques ! Si, dans le symbolisme de la représentation, les guerriers victorieux de Pergame se projettent dans les dieux et déesses de leur culture grecque, les géants vaincus sont les Galates, alias Gaulois, et s’ils sont vaincus, c’est dans les symboles de leur culture celtique.( Photographies des frises sur le site Artserve de la Australian National University, chargement très long).

Les Gaulois étaient-ils symboliquement des géants ? Descendants du puissant Héraclès, fondateur de cités lors de sa course errante en Gaule selon Diodore de Sicile, Tite-Live attribue à l’un de leurs hérauts une taille fabuleuse ; et le prince celte de la tombe de Hochdorf ne mesurait-il pas 1 mètre 87 ?

Alors que les Grecs se projetaient dans un univers de dieux célestes, les géants celtes sont nés de la terre. À Mont-Saint-Vincent/Bibracte, c’est le horst en forme de lion couché. À Gergovie/Le Crest, c’est la forme reptilienne de la montagne de La Serre. Voilà pourquoi les géants de la frise sont représentés, certains avec des membres d’anguipèdes, d’autres en compagnie de lions (ces lions et anguipèdes pouvant à l’occasion se mordre, illustrant par là la concurrence qui existait entre Bibracte et Gergovie, concurrence qui existait encore au temps de César. Il s’agit là de mon interprétation personnelle).

Et, en effet, c’est bien en Gaule que se trouvent en nombre non négligeable ces étonnants Jupiter à l’anguipède où je vois, en ce qui me concerne, un dieu du ciel chevauchant le cheval gaulois (la Gaule) que soutient un dieu de la terre. Non ! ce dieu de la terre dont le bas du corps se termine en queue de reptile ou de poisson n’est pas écrasé comme s’il était le diable. Il s’agit du Dis pater dont parle César dans ses commentaires, du dieu qui fait naître.

Ce symbolisme animalier a survécu dans les sculptures de maintes églises romanes, mais souvent avec une différence, évolution oblige. Ce n’est plus pour évoquer le dieu ou les dieux des profondeurs, ni les forces telluriques de la terre, ni les nymphes des bois, des sources ou des eaux, mais le péché qui animalise l’homme. Voyez le tympan de la cathédrale éduenne d’Autun ! Observez bien le bras de ce damné qui s’animalise en salamandre de Gergovie ! N’’est-il pas le bras jumeau de ces bras gaulois de Pergame qui se prolongent en têtes de serpent ou de lion mourant ? (il s’agit, là encore, de mon interprétation personnelle).

Bibracte au Mont-Saint-Vincent, Gergovie sur la hauteur du Crest, voila, selon moi, les deux sources de la culture celte qui a rayonné jadis jusqu’en Asie mineure, une culture héritée de l’hellénisme mais qui avait évolué dans un sens druidique alors que celle de Pergame était restée très proche des temps athéniens (relisez les articles que j’ai consacrés à ces deux sites gaulois. Admirez les chapiteaux aux lions de l’un et les chapiteaux à la salamandre ou aux serpents de l’autre. C’est absolument fantastique !).

Les Gaulois voulaient conquérir le monde. Les Romains le voulaient aussi. C’est bien là le drame. Par Pergame interposé, allié et tête de pont, Rome l’a emporté, non sans mal toutefois. En - 88, des Romains se trouvaient à Pergame, dans le temple d’Asclépios, le dieu grec de la médecine. Ils y furent massacrés par les troupes galates de Mithridate VI. Venus "en voisins" de Galatie (capitale Ancyre, aujourd’hui Ankara), ces Galates, autrement dit Gaulois, acceptaient mal le protectorat romain qui pesait sur eux depuis Pergame. Vercingétorix lui aussi, en Gaule, en - 52, ne voulait plus de "l’amitié" romaine.

Et puis, les esprits se sont apaisés grâce à la "pax romana". Presque un siècle après la mort du rhéteur Aristide qui avait rendu célèbre l’école de Pergame, un rhéteur éduen de la Gaule profonde portait le nom d’Eumène, un des plus célèbres rois qu’avait connu la cité qui inventa le parchemin (Pergame -> parchemin). Un siècle plus tard, le comte éduen, ami de l’Arverne Sidoïne Apollinaire, portait celui d’Attale, un autre de ses rois. Etonnant ?

Car si Pergame était célèbre pour son école de rhéteur, elle l’était aussi pour sa bibliothèque qui rivalisait avec celle d’Alexandrie en Égypte, se disputant avec elle – je cite Wikipedia - les meilleurs manuscrits et les meilleurs spécialistes, dans deux visions divergentes. À Alexandrie se pratiquait l’étude du lexique, des textes vers par vers, mot par mot. L’établissement de conclusions se faisait par des confrontations de textes abordés de manière scrupuleuse. À Pergame au contraire, on cherchait le sens profond des textes - voire caché - considérant ainsi que ce qui était écrit et ce qui était véritablement signifié ne correspondait pas systématiquement (c’est ce que j’essaie d’expliquer dans mes articles, malheureusement sans beaucoup de résultats).

Célèbre, Pergame l’était aussi par ses sculptures, notamment de Gaulois mourants. Or, il me semble évident que les sculpteurs aient été des Galates vaincus et prisonniers. Ainsi s’expliquerait que, par delà le canevas imposé par les vainqueurs, ils aient néanmoins réussi à exprimer dans leurs œuvres, la force, le courage, la dignité et la grandeur de leur culture celte.

Protégé de son bouclier frappé aux armes de Bibracte (le lion) et de Gergovie (la Gorgone), le guerrier celte du Metropolitan museum of art de New York était parti sur son char d’apparat à la conquête du monde.



12 réactions


  • Internaute Internaute 7 juin 2010 12:30

    Bravo pour cet article et les excellentes photos qui l’accompagnent. Il est vraiment dommage que si peu de gens s’intéressent à notre propre histoire. Pourtant, si l’on veut créer un esprit européen, ce n’est pas par la culpabilisation des masses qu’on l’obtiendra mais par l’éclairage d’une histoire et de racines communes auquel vous contribuez si bien. Vos photos sont tellement belles ! On retrouve ces visages jusque dans les tableaux du siècle dernier. Il a fallu attendre les 30 dernières années et l’UE pour que nous soyons balayés du paysage. Il suffit de regarder l’emblême national que nous proposent les députés à savoir l’équipe de France de football.


    • Emile Mourey Emile Mourey 7 juin 2010 12:41

      @ Internaute

      Merci de m’avoir prévenu de cette retransmission. C’est une chose salutaire que de remonter aux sources de notre histoire et de notre pensée. C’est une bouffée d’air pur et un bain de jouvence.


  • LE CHAT LE CHAT 7 juin 2010 14:05

    merci pour cet article passionant , un peu de culture dans ce monde de brutes ! 
    J’ai visité  Ephèse qui entretenait des relations cordiales avec Pergame , je ne sais pas si on y a trouvé aussi des traces du passage des galates ?


  • COVADONGA722 COVADONGA722 7 juin 2010 14:20

    yep , comme toujours, un plaisir de vous lire mr Mourey


    covadonga « hi han »


  • vero87 7 juin 2010 16:24

    Vous parlez d’une « culture que le christianisme n’avait pas encore touché »
    Pourtant la 1° photo, celle des bains d’Allianoï, semble bien porter la signature du vandalisme chrétien tel qu’on le retrouve partout dans les sites archéologiques gréco-romains. : les statues féminines toujours mutilées à l’endroit du sexe.
    Quant à la bibliothèque de Pergame elle a subi le même sort que celle d’Alexandrie,
    le chrétino-judaïsme étant aussi passé par là !


  • jaja 7 juin 2010 19:49

    Très contente de vous voire revenir écrire Mr Mourey.
    J’ai pensé à vous lors d’une émission sur Jacques Testard qui disait avoir été censuré par l"


    • jaja 7 juin 2010 19:57

      erreur de transmission, par l’academie de médecine, et apparement vous par une autre académie, ce qui revient à un contrôle inquiétant par l’état des recherches , pas des budgets mais de leur axe et résultats, science et histoire sont donc controlées par d’obscures ronds de cuir.


  • octavien octavien 7 juin 2010 21:32

    Bonjour M Mourey

    Bon au moins vous êtes toujours égal à vous même : approximation, chronologie farfelue rapprochements sortis d’on ne sais où quelques exemples :

    - Mithridate le voisin de galatie était un prince d’origine perse (comme son nom l’indique) mais héllénisé et il était roi du pont (la cote nord de l’anatolie), pas de galatie ! bon il avait sans doute des mercenaires galates mais comme le roi de bythinie ou les cités grecques d’Asie

    - le massacres de -88 causé par Mithridate, les vépres d’Ephése était une révolte grecque (contre les romains) les galates ne sont intervenus dans cette histoireque comme des seconds couteaux ou des mercenaires à la solde de Mithridate ou des cités grecques révoltées.

    -ce n’est pas Pergame qui a vaincu les gaulois c’est Attale qui controlait pergame ce qui n’est pas la même chose

    Ce dernier point explique pourquoi les grecs d’asie ont si lourdement insisté sur le thémes du Gaulois mourront. En un mots attale et ses successeurs ont mis en place un grand programme de propagande politique qui dit en substance / Attale est trés fort il a vaincu les galates féroces et donc il faut que les grecs d’asie lui obéissent et lui paient leurs impôts.

    Voilà entre autres choses



  • Emile Mourey Emile Mourey 8 juin 2010 00:26

    @ Octavien

    Vous inventez. Je n’ai jamais dit que Mithridate était un Grec ou un Galate. Je n’ai jamais dit qu’il était roi de Galatie. En revanche, j’ai bien dit que le conflit s’était joué entre les Galates et les Grecs de Pergame, ce qui est l’interprétation généralement admise à partir des textes et de l’autel.

    Vous pensez qu’en réalité, le rôle des Galates a été monté en épingle dans la scène sculptée à des fins de propagande alors qu’ils n’étaient que des « seconds couteaux ». Permettez-moi de vous dire que cette thèse en faveur dans un certain milieu est complètement stupide.


  • octavien octavien 8 juin 2010 20:58

    M Mourey

    reprenons les choses dans l’ordre.
    Il ne faut pas confondre la confrontation entre grecs et galates qui a été illustrée sur l’autel de Pergame à l’initiative du petit dynaste futur roi Attale et non des ’grecs de pergame"
    et la grande révolte initié par Mihtridate qui a vu l’opposition de Mithridate et des grecs contre les Romains.

    Dans le premier Cas les galates tiennent effectivement les premiers rôle dans le second cas ils ne sont que des second couteaux.

    Enfin vous rapprochez deux événement très éloignés temporellement : la victoire d’Attale sur les Galates (en 237 av JC) et les vépres d’Ephese (-88 av JC) qui est un des nombreux épisode de la lutte de Mithridate (qui utilse le mécontentement des grecs et non des galates) contre les romains.


    pour conclure je ne minore pas le rôle des galate au III siècle av JC je dis que leur défaite a été utilisé par Attale et ses héritiers pour se proclamer roi et justifier une domination (une protection il disait) sur les grecs d’Asie. Ce type de propagande a d’ailleurs été utilisé par d’autres en grèce comme Antigone Gonatas


  • Emile Mourey Emile Mourey 8 juin 2010 22:43

    @ Octavien

    Concernant votre premier alinéa, je suis bien d’accord que la victoire d’Attale sur les Galates dépasse le cadre de la simple polis de Pergame. Il n’empêche que lorsqu’il remporte la victoire décisive de Caïque, il en est le roi depuis déjà quelques années. Et comme il faut bien situer les événements sur le terrain, je ne pense pas qu’il soit faux de dire que le bras de fer s’est joué entre les Galates et Pergame en première ligne. Or, à ma connaissance, Pergame était alors une cité grecque.

    Concernant la grande révolte de Mithridate contre les Romains, je n’ignore pas qu’il était roi du Pont. Si j’évoque en - 88, à Pergame, le massacre des Romains par les Galates, c’est uniquement pour montrer que ces Galates sont toujours un ensemble de peuplades puissantes comme Strabon le dit lui-même et qu’ils sont toujours présents dans les combats avec leurs contingents de mercenaires. Quant à l’opposition des Galates aux Romains, le fait qu’ils aient fourni à Mithridate des contingents de mercenaires va dans ce sens.

    Concernant l’autel de Pergame, qu’il y ait dans cette réalisation une volonté de propagande, il serait absurde de le nier, même si, en même temps que le monument commémore une grande victoire contre les « barbares » gaulois, il fonde une dynastie.

    Il n’est pas besoin d’être un grand stratège pour comprendre que l’ambition des Galates était d’imposer leur domination sur toute l’Asie Mineure. Leur puissance militaire, leur habileté stratégique, notamment en soutenant par le mercénariat tel ou tel concurrent, leur permettaient tous les espoirs. La victoire d’Attale a stoppé cette ambition en la cantonnant à la Galatie. Il s’agit d’une victoire qui eut un grand retentissement. Rien d’étonnant à ce que les descendants d’Attale la rappellent.


  • Mmarvinbear mmarvin 9 juin 2010 01:51

    Après les rediff’ à la télé et les programmes d’été de la radio, les rediffs d’articles...


    On n’arrête pas le progrès...

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