samedi 26 octobre - par Régis DESMARAIS

Bruno LASSERRE en correctionnel

A partir de ce lundi 28 octobre, et durant trois jours, le tribunal judiciaire de Paris va audiencer une affaire hors-norme. La singularité du procès à venir ne provient pas du délit suspecté – le harcèlement moral – mais de l’une des personnalités dont la responsabilité est recherchée : Bruno Lasserre.

Un « intouchable » de l’Etat

Bruno Lasserre représente jusqu’à la caricature tout ce que l’oligarchie républicaine a produit de plus formaté, standardisé et omniprésent dans le paysage institutionnel. Enarque, ancien président de l’Autorité de la concurrence, ancien « premier fonctionnaire de France » en tant que vice-président du Conseil d’Etat, proche du président de la République, la poitrine recouverte de décorations, Bruno Lasserre est ce que l’on appelle un « intouchable » de l’Etat. A ses yeux certainement et aux yeux d’une caste parisienne assurément, il est parfait, génial, surdoué, cultivé. Il est de ceux dont on pressent qu’ils sont irremplaçables au point même qu’après avoir fait valoir ses droits à la retraite en quittant la vice-présidence du Conseil d’Etat, Bruno Lasserre a été nommé président de la commission d’accès aux documents administratifs. Pas de retraite pour les serviteurs aussi irremplaçables et essentiels pour le fonctionnement des institutions !

La complicité de harcèlement moral

Ce personnage omniprésent va donc être au centre d’un procès en correctionnel pour complicité de harcèlement moral. Le séisme a eu lieu en 2014 avec la mort soudaine d’un agent de l’autorité de la concurrence. Cette mort était le point final d’un mal être au travail qui s’est déroulé sur de nombreuses années. La première étape de la reconnaissance de ce mal être au travail provoqué par un comportement fautif de la hiérarchie a été la reconnaissance, par l’Etat, du caractère de maladie professionnelle dont a été victime l’agent. Le 17 mars 2016, le tribunal administratif de Paris a reconnu le management constitutif de harcèlement moral au sein de l’Autorité de la concurrence. Jugement qui n'a pas été frappé d'appel. Dans quelques jours, le tribunal judiciaire de Paris va désormais se pencher sur les responsabilités personnelles des deux agents donneurs d’ordre à l'époque des faits : le président de cette autorité et le chef du service juridique de cette entité.

Bruno Lasserre, paré de toutes les vertus dans la presse et sur sa fiche Wikipédia ; Bruno Lasserre, « légende » du droit de la concurrence et personnage sans qui rien de bien ne se fait ; Bruno Lasserre a déclaré qu’il ne savait rien du mal être de ses agents. On peut douter de cette allégation car il est étrange que M. Lasserre n’est pas su que la moitié des effectifs du service juridique de l’Autorité de la concurrence a été placé en burn out, alors même que ce service était situé à quelques mètres du bureau du président omniprésent. Précisons que l’Autorité de la concurrence a pour mission de faire appliquer le droit de la concurrence. La force de frappe permettant cette application du droit est le service juridique, service vital et essentiel dont on imagine qu’il est surveillé comme le lait sur le feu. Pourtant, Bruno Lasserre ne savait pas que tout allait mal mais alors que faisait M. Lasserre et où était-il ? Les incongruités, les zones d’ombre, les incohérences des déclarations avec les faits, tout cela dans ce dossier semble bien propice pour cacher du harcèlement moral et noyer les responsabilités.

Un procès essentiel

Bruno Lasserre va donc devoir s’expliquer au cours des prochains jours. Ce procès par la personnalité du mis en examen, par le fait que ce drame social se soit déroulé au sein de l’une des administrations les plus brillantes du pays et par la fin tragique d’un agent constituera une source d’informations très riche pour ceux qui s’intéressent à la problématique du harcèlement moral au travail et du difficile combat pour faire reconnaître ce harcèlement.

Certains diront qu’il ne faut rien attendre de ce procès, que la justice est sous influence des puissants et que M. Lasserre est un puissant au sein de la République. Une telle position est une méprise sur le travail des juges et leur impartialité. Le seul fait que M. Lasserre soit amené à s’expliquer en correctionnel est le signe d’un bon fonctionnement de la justice et d’une relative puissance de M. Lasserre.

Marianne évoque ce procès en faisant référence à David contre Goliath. Il est vrai, face à ce haut fonctionnaire de l’Etat, se trouve une dame âgée qui veut savoir pourquoi son unique enfant a vécu une souffrance indicible au travail. Pourquoi une telle situation a pu se produire dans une administration présidée par un homme « exceptionnel » et tellement « surdoué » qu’il n’a rien vu et rien su. La vérité, on l’espère, sortira des salles du palais de justice et avec elle une plus juste appréciation des hommes qui, bien qu’occupant les plus hautes fonctions, restent des hommes avec leurs défauts, leur défaillance et leurs coupables faiblesses.



21 réactions


  • leypanou 26 octobre 10:53

    Le seul fait que M. Lasserre soit amené à s’expliquer en correctionnel est le signe d’un bon fonctionnement de la justice et d’une relative puissance de M. Lasserre

     : le bon fonctionnement de la justice est une opinion subjective.

    Des milliers de Français ne sont pas de cet avis et il y a plusieurs types ainsi que de niveaux de blocage.

    Bill Gates ainsi que d’autres sont traduits au tribunal aux Pays-Bas : a-t-on vu pareil en France ?


    • Com une outre 26 octobre 15:21

      @leypanou
      Surtout qu’être amené à s’expliquer, c’est toujours ce qu’il se passe avant un non-lieu, ou une peine ridicule, comme souvent pour ce type de personnage.


    • V_Parlier V_Parlier 26 octobre 18:36

      @Com une outre
      En fait, ça dépendra de son éventuelle indocilité, dans le cas où on souhaite se débarasser de lui pour toute autre raison (on se souvient de Matzneff soudainement accusé de ce qui était de notoriété pendant 30 ans).


    • Régis DESMARAIS Régis DESMARAIS 28 octobre 10:22

      @leypanou
      Bonjour, je comprends et partage votre réflexion. Ce procès arrive 10 ans après le décès de la victime ; C’est tard, mais au regard du personnage mis en examen : actuel président de la CADA, ex VP du Conseil d’Etat, ex président de l’Autorité de la concurrence, ex président de pléthore d’organismes, multi décoré de la légion d’honneur et très grand serviteur du président actuel, l’existence même de ce procès relève presque du miracle. 


    • Régis DESMARAIS Régis DESMARAIS 28 octobre 10:23

      @V_Parlier
      C’est pour cela que le déroulement de ce procès, et les propos tenus en audience, seront très éclairants sur le système actuel.


  • Tolzan Tolzan 26 octobre 12:34

    Je ne retiendrai qu’une phrase de votre article : « il ne faut rien attendre de ce procès, que la justice est sous influence des puissants et que M. Lasserre est un puissant au sein de la République. »

    J’ajouterai que le somment de l’Etat est partagé depuis des dizaines d’années par plusieurs castes endogènes qui détiennent tous les leviers de commande et que seuls de graves événements internationaux pourront un jour les éliminer.

    Mais le monde et les rapports de force sont en train de changer.


    • Régis DESMARAIS Régis DESMARAIS 28 octobre 10:28

      @Tolzan
      Votre citation déforme mes propos, j’ai écrit « Certains diront qu’il ne faut rien attendre... », moi je ne dis pas cela. Certes, je pourrais le penser mais très honnêtement le simple fait que ce procès voit le jour est inespéré tant M. Lasserre est un élément archétypale de la classe qui sert le pouvoir. Pour autant, quels seront les résultats de ce procès ? Je l’ignore. Une chose est certaine nous verrons comment une personne qui prétend tout savoir et sans qui rien ne se fait pourra prétendre qu’elle ne savait rien, n’avait rien vu, rien entendu, rien lu de ce qui se passait à quelques mètres de son bureau et dans un service qui appliquait les priorités et demandes de M. Lasserre....


  • Eric F Eric F 28 octobre 13:16

    ’’la moitié (!) des effectifs du service juridique de l’Autorité de la concurrence a été placé en burn out’’

    Faudra voir : du burn out dans des services administratifs publics ? sans doute voulait-on les faire travailler ! Taux d’arrêt de plus de 15% dans le public contre 11% dans le privé incluant les accidents de chantiers.

    Il peut évidemment y avoir des cas individuels, mais les syndicats veillent au grain sur les situations générales.


    • Régis DESMARAIS Régis DESMARAIS 28 octobre 13:28

      @Eric F
      Vos propos sont étonnants. Vous croyez vraiment que tous les agents publics ne font rien ? C’est sans doute ce que le système actuel veut faire croire pour justifier la privatisation des services publics et vous tombez hélas dans le piège d’une manipulation grossière.
      Dans tous les cas, ici on vous parle de personnes qui ont été maltraitées, avec des arrêts maladies et un agent qui en est décédé. Peut-être que pour vous un agent public qui décède en raison du harcèlement moral subi ne pèse pas lourd, mais je dois bien avouer que dans ce cas, votre morale et votre empathie pour autrui sont d’une légèreté qui risque de les porter là où le vent souffle c’est-à-dire là où on veut que vous pensiez donc au cœur des manipulations et loin du libre arbitre. Prenez garde à ne pas colporter des légendes. 


    • Eric F Eric F 28 octobre 14:06

      @Régis DESMARAIS
      Tout d’abord, je mentionne spécifiquement les administratifs pour lesquels il n’y a absolument pas de privatisation à la clé. Ensuite, il ne s’agit pas de dire qu’ils ne font rien, mais qu’il ne s’agit pas d’une activité d’intensité et d’efficacité exorbitante, la Cour des Comptes souligne le sureffectif global.

      J’ai évoqué la possibilité de cas particuliers, il peut y avoir harcèlement individuel ou chefaillon abusif.
      Dans l’entreprise (privée) où je travaillais, il y a eu un cas de suicide que les syndicats ont d’abord attribué à une pression professionnelle, qui s’est avérée être plus complexe incluant des problèmes privés. Le concept fourre tout de ’’burn out’’ n’existait pas il y a vingt ans, mais on parlait de surmenage


    • Régis DESMARAIS Régis DESMARAIS 28 octobre 15:52

      @Eric F
      Les administratifs pas de privatisation à la clef ??? Vous vous trompez lourdement. A votre avis les 42 milliards versés à Mckinsey par M. Macron c’était pour remplacer qui ? Des administratifs ! L’externalisation de la gestion, c’est pour remplacer qui ???? Oh... des administratifs ! 
      L’intensité d’une activité ne se mesure pas qu’à la charge physique. Il y a aussi la charge morale, psychologique et intellectuelle. Vous l’ignorez sans doute mais beaucoup de cadre A ou A + de la fonction publique font des semaines à 50 heures et travaillent même les week-ends. Evidemment, cela n’est pas raccord avec les mythes du fonctionnaire administratif qui ne s’use pas au travail.
      Au cas d’espèce, le burn out de la moitié des agents du service juridique allait au-delà du poids de la charge de travail : déconsidération de soi, de son travail, doute sur ses capacités etc...


    • Eric F Eric F 28 octobre 18:04

      @Régis DESMARAIS
      Les effectifs administratifs publics en France se sont multipliés depuis des décennies, alors qu’à l’époque l’économie était davantage administrée qu’aujourd’hui.
      Le recours à des cabinets de conseil relève d’une dérive idéologique très macronienne, il se méfie de l’administration jugée pas assez innovante, pas assez à l’américaine. Des grandes entreprises y ont similairement recours pour forcer la main à leurs propres services quand il s’agit d’imposer une ’’innovation’’.
      Il y a aussi les innombrables ’’agences publiques’’ où sont notamment recasées des politiciens sur la touche, quand il y a un sujet dans l’air on crée non plus une commission ou un groupe de travail provisoire, mais une agence pérenne.

      A propos de travail 50 heures de cadres supérieurs, sans doute y en a-t-il, mais pas la moitié du service. Que certains se posent la question de leur utilité est une indication.


  • Régis DESMARAIS Régis DESMARAIS 28 octobre 13:22

    En complément de l’article : la notation de cet article est très symptomatique de notre époque dépourvue de morale : des lecteurs attribuent une mauvaise note à un article qui fait état d’un procès qui débute 10 ans après le décès d’un homme, procès dont la finalité est d’établir les responsabilités dans ce décès. Je vais finir par croire que le sort et la mémoire des victimes sont de vilaines choses à évoquer et méritent de mauvaises notes !</p><p>Pour éviter tout malentendu, je me moque de la notation attribuée à cet article. La seule chose qui m’intéresse c’est ce que révèle cette pratique : une perte de repère sur ce que l’on doit à la volonté de savoir pourquoi un homme est mort en raison de son travail.</p>


    • Eric F Eric F 28 octobre 14:11

      @Régis DESMARAIS
      Vous extrapolez une signification morale aux appréciations ou remarques, mais dans votre article, vous donnez déjà un verdict avant le procès, et vous faites procès d’intention, pourrait-on dire, à la justice concernant cette affaire.


    • Régis DESMARAIS Régis DESMARAIS 28 octobre 15:42

      @Eric F
      Relisez vos écrits, je n’extrapole rien. Vos avez écrit « du burn out dans des services administratifs publics  ? sans doute voulait-on les faire travailler ! » : C’est assez méprisant pour ces agents et surtout très loin de la réalité. Sauf à être binaire et séparer systématiquement le monde en 2 camps : ceux qui travaillent et ceux qui ne font rien. Je n’extrapole aucune signification morale à vos propos qui sont très clairs.
      Je donne le verdict avant le procès ? Fichtre vous lisez des lignes invisibles entre les lignes visibles. Je fais un procès d’intention à la justice ? Là vos propos non argumentés sont comiques et j’observe que vous n’avez pas relevé que je donne aussi dans l’article la recette du moelleux au chocolat...
      Comique pas trop quand même car cette affaire fait suite à la mort d’un homme.


    • Eric F Eric F 28 octobre 18:14

      @Régis DESMARAIS
      Ma remarque était effectivement ironique, mais il y a bien une réalité de pléthore d’effectifs administratifs à tous les niveaux publics, ministères, territoires et aussi enseignement et hôpitaux, ce n’est pas une lubie de ma part mais un constat de la cour de Comptes.

      Je ne connais pas le fond de l’affaire ni la personne mise en cause, mais vous exprimez bel et bien un jugement à son encontre avant le procès. Par contre effectivement, vous ne mettez pas en cause la justice elle-même.


  • Seth 28 octobre 14:25

    Un procès en (audience) correctionnelle devant un Tribunal Correctionnel.


    • Régis DESMARAIS Régis DESMARAIS 28 octobre 15:35

      @Seth
      Merci de cette précision. Au cas d’espèce, « Bruno Lasserre en correctionnel » s’entend devant le tribunal correctionnel et non en procédure correctionnelle. Mais il est vrai, la forme la plus utilisée est correctionnelle au sens devant une procédure correctionnelle. L’important est de bien comprendre devant qui ou dans quelle procédure il se retrouve.


    • Seth 28 octobre 15:41

      @Régis DESMARAIS

      J’avais compris mais la forme m’a choqué. Ceci ne changeant bien sûr rien au contenu. smiley


    • Régis DESMARAIS Régis DESMARAIS 28 octobre 15:43

      @Seth
      Je vous l’accorde, la forme habituelle aurait été plus heureuse.


  • juan 28 octobre 16:03

    OUi il risque d’être jugé. Pourquoi pour servir de contre-feu à Macron ; pour faire oublier toutes les saloperies que ce triste sir à commis sur les Français depuis les gilets jaunes et la Covid (le bouquet !)


Réagir