Bruno LASSERRE en correctionnel
A partir de ce lundi 28 octobre, et durant trois jours, le tribunal judiciaire de Paris va audiencer une affaire hors-norme. La singularité du procès à venir ne provient pas du délit suspecté – le harcèlement moral – mais de l’une des personnalités dont la responsabilité est recherchée : Bruno Lasserre.
Un « intouchable » de l’Etat
Bruno Lasserre représente jusqu’à la caricature tout ce que l’oligarchie républicaine a produit de plus formaté, standardisé et omniprésent dans le paysage institutionnel. Enarque, ancien président de l’Autorité de la concurrence, ancien « premier fonctionnaire de France » en tant que vice-président du Conseil d’Etat, proche du président de la République, la poitrine recouverte de décorations, Bruno Lasserre est ce que l’on appelle un « intouchable » de l’Etat. A ses yeux certainement et aux yeux d’une caste parisienne assurément, il est parfait, génial, surdoué, cultivé. Il est de ceux dont on pressent qu’ils sont irremplaçables au point même qu’après avoir fait valoir ses droits à la retraite en quittant la vice-présidence du Conseil d’Etat, Bruno Lasserre a été nommé président de la commission d’accès aux documents administratifs. Pas de retraite pour les serviteurs aussi irremplaçables et essentiels pour le fonctionnement des institutions !
La complicité de harcèlement moral
Ce personnage omniprésent va donc être au centre d’un procès en correctionnel pour complicité de harcèlement moral. Le séisme a eu lieu en 2014 avec la mort soudaine d’un agent de l’autorité de la concurrence. Cette mort était le point final d’un mal être au travail qui s’est déroulé sur de nombreuses années. La première étape de la reconnaissance de ce mal être au travail provoqué par un comportement fautif de la hiérarchie a été la reconnaissance, par l’Etat, du caractère de maladie professionnelle dont a été victime l’agent. Le 17 mars 2016, le tribunal administratif de Paris a reconnu le management constitutif de harcèlement moral au sein de l’Autorité de la concurrence. Jugement qui n'a pas été frappé d'appel. Dans quelques jours, le tribunal judiciaire de Paris va désormais se pencher sur les responsabilités personnelles des deux agents donneurs d’ordre à l'époque des faits : le président de cette autorité et le chef du service juridique de cette entité.
Bruno Lasserre, paré de toutes les vertus dans la presse et sur sa fiche Wikipédia ; Bruno Lasserre, « légende » du droit de la concurrence et personnage sans qui rien de bien ne se fait ; Bruno Lasserre a déclaré qu’il ne savait rien du mal être de ses agents. On peut douter de cette allégation car il est étrange que M. Lasserre n’est pas su que la moitié des effectifs du service juridique de l’Autorité de la concurrence a été placé en burn out, alors même que ce service était situé à quelques mètres du bureau du président omniprésent. Précisons que l’Autorité de la concurrence a pour mission de faire appliquer le droit de la concurrence. La force de frappe permettant cette application du droit est le service juridique, service vital et essentiel dont on imagine qu’il est surveillé comme le lait sur le feu. Pourtant, Bruno Lasserre ne savait pas que tout allait mal mais alors que faisait M. Lasserre et où était-il ? Les incongruités, les zones d’ombre, les incohérences des déclarations avec les faits, tout cela dans ce dossier semble bien propice pour cacher du harcèlement moral et noyer les responsabilités.
Un procès essentiel
Bruno Lasserre va donc devoir s’expliquer au cours des prochains jours. Ce procès par la personnalité du mis en examen, par le fait que ce drame social se soit déroulé au sein de l’une des administrations les plus brillantes du pays et par la fin tragique d’un agent constituera une source d’informations très riche pour ceux qui s’intéressent à la problématique du harcèlement moral au travail et du difficile combat pour faire reconnaître ce harcèlement.
Certains diront qu’il ne faut rien attendre de ce procès, que la justice est sous influence des puissants et que M. Lasserre est un puissant au sein de la République. Une telle position est une méprise sur le travail des juges et leur impartialité. Le seul fait que M. Lasserre soit amené à s’expliquer en correctionnel est le signe d’un bon fonctionnement de la justice et d’une relative puissance de M. Lasserre.
Marianne évoque ce procès en faisant référence à David contre Goliath. Il est vrai, face à ce haut fonctionnaire de l’Etat, se trouve une dame âgée qui veut savoir pourquoi son unique enfant a vécu une souffrance indicible au travail. Pourquoi une telle situation a pu se produire dans une administration présidée par un homme « exceptionnel » et tellement « surdoué » qu’il n’a rien vu et rien su. La vérité, on l’espère, sortira des salles du palais de justice et avec elle une plus juste appréciation des hommes qui, bien qu’occupant les plus hautes fonctions, restent des hommes avec leurs défauts, leur défaillance et leurs coupables faiblesses.