Comment dénommer l’adversaire ?
Chaque fois qu'un auteur ou un locuteur utilise le mot terroriste, il délaisse une face cachée informationnelle et contribue à laisser chez le lecteur à l'esprit cartésien un goût d'insatisfaction voire de tromperie. En disant d'un assassin de masse qu'il s'agit d'un jihadiste islamique ou salafiste fondamentaliste, non seulement on désigne l'adversaire, mais on nome le « mal ». Si on le qualifie de terroriste, nous omettons des éléments d'information sur son origine et sa nature, c'est comme nous dire qu'un Français a décapité son employeur, nous obligeant ainsi à lire entre les lignes...
Si nos pensées nous appartiennent, ce n'est pas le cas des faits, il nous faut comme le géomètre borne un terrain, définir le vocable si on veut délimiter l'interprétation que l'auteur nous en propose. Je peux écrire le mot « OR » cela ne donnera aucune once de métal précieux. Aucune transmutation ne peut se faire et seul votre imaginaire est capable de s'enflammer. Un fait, une chose, n'existe que parce que nous pouvons le nommer dans une langue. Les mots renvoient à des concepts et non à la chose même. Le mot arbre n'aura pas la même évocation pour : le bucheron, le poète, le mécanicien ou l'ornithologue. La langue n'est rien d'autre qu'une convention, ce qui nous explique qu'il existe près de 6 000 langues à travers la planète. Un mot dans une langue n'aura pas forcement son équivalent. Le mot laïcité par exemple, ne peut se traduire en arabe puisque l'islam ne connaît pas ce concept. Le mot n'a de sens qu'au sein d'une communauté langagière. « Nous pensons un univers que notre langue a d'abord modelé. » Ferdinand Saussure.
Terrorisme est devenu un mot-valise, on parle de terrorisme : culturel, alimentaire, intellectuel, etc. C'est presque déjà émettre un jugement de valeur au point qu'aucun État n'est parvenu à s'accorder sur une définition commune du terrorisme. Il y a presque autant de définitions que l'on compte de pays, chacun d'invoquer ses intérêts nationaux. Quant aux étymologistes, ils ne parviennent toujours pas à un consensus sur l'origine du mot, pour certains il serait issu de tremorem (secousse) ou de tremere (trembler) dans le sens d'un tremblement involontaire (tressaillement) qui aurait donné terreur vers la fin du XIV° siècle. Le Colonel Larcheroy préférait pour sa part utiliser le mot « terrorisation » pour désigner les actions dirigées contre la population, vocable qui semble plus conforme à l'action et à son intention.
« La peur est souvent un faible de la machine pour le soin de sa conservation, dans l'idée qu'elle a du péril. La frayeur est une épouvante plus grande et plus frappante. La terreur est une passion accablante de l'âme, causée par la présence ou l'idée très-forte de l'effroi. » Louis de Jaucourt (1775 ) un contributeur d'exception de l'Encyclopédie. Pourquoi ne pas placer le suffixe yeur, ce qui donnerait « effroyeur », comme fossoyeur, mot en adéquation avec l'acte et son ressenti.
La grille de lecture que l'on nous propose est figée, celui qualifié de terroriste s'attribue des prérogatives régaliennes avec le droit de haute-justice comme un seigneur féodal d'antan. Il revendique une souveraineté au nom d'un jugement de valeur sociétal. Le terrorisme peut alors s'apparenter à la Vendetta, système dans lequel la justice est rendue par le justiciable au nom du clan ou famille et non par un corps social rendant la justice au nom de la société. Adieu l'image de Saint-Louis rendant la justice sous un chêne.
Le monde du terrorisme est composite, on y trouve des criminels, des malades mentaux, des idéalistes, des « justiciers », des patriotes, etc., qui ont pour ambition de détruire ou de refondre la société et son système. La planète compte plus 1 500 mouvements violents et chacun de ceux-ci a sa spécificité. Le vocable terroriste sous tend généralement un jugement de valeur, des préjugés alors qu'il s'agit d'une forme de lutte, d'une tactique de combat, voire d'une « arme » opérative qui s'inscrit ou non dans une vue stratégique. Le terroriste ou « civil en arme » (Gambetta) opère hors-cadre des armées classiques contraintes à respecter les lois de la guerre.
Chaque gouvernement, institution, y va de son couplet, aussi je vous propose de commencer par repérer les principales composantes caractéristiques de ce recours à la force qui implique une valeur : morale / amorale - droit : légal / illégal - politique : légitime / illégitime - cible : discriminée / indiscriminée (attentat aveugle) - psychiatrique : responsabilité / irresponsabilité. On peut pour chaque catégorie prendre en compte des critères, par exemple, pour le couplet légitime / illégitime : la gravité de la situation - proportionnalité de la réponse (asymétrie) - absence d'une autre alternative (élections démocratiques).
Le mot terrorisme est devenu le vecteur d'une idéologie jusqu'à créer une pseudo-réalité qu'il entend décrire. Il exclut plus qu'il explique. Les actions ne sauraient se résumer à une somme d’actes violents. La résistance à l'occupation étrangère est un droit reconnu par les Nations-Unies, par contre, « la résistance doit s'inscrire dans le respect de règles d'humanité, ce qui exclut les actions dirigées à l'encontre des populations civiles. » Une faction populaire qui lutte contre un gouvernement légal peut parfaitement être considérée comme légitime par une autre partie de la population et au regard de l'histoire. La parfaite illustration de ce couplet légal / légitime nous en est fournie par l'action de la résistance en France contre les autorités inféodées à un occupant étranger. J'aurais même tendance à y adjoindre l'aspect moral, n'est-il pas amoral de céder à l'occupant et l'acte de résistance légitime ? Cela soulève la question de qui est le traître, le patriote ou le félon qui pactise avec l'occupant ou une puissance étrangère ? Nous voilà en mesure d'affiner notre jugement sur un acte fut-il violent et ne plus se laisser dominer par des affects sociaux, médiatiques ou tout simplement par une sensiblerie outrancière.
Prononcer le mot terroriste, c'est déjà émettre un jugement de valeur négatif ou préjuger. Le mot terroriste utilisé par les médias est parfois remplacé par celui : d'attaquants ; assaillants ; activistes ; militants ; ennemis ; rebelles, combattants ; bandits ; terro-gangsters, jihadistes, moudjhadines, etc., mots moins connotés et plus objectifs. Le terrorisme est une rupture et une négation du droit international. Tout « civil en arme » doit s'attendre à être traité comme un prisonnier de droit commun. Il ne peut être qualifié de prisonnier de guerre aux termes de la Convention de Genève. Pour qu'un combattant puisse être assimilé à une force irrégulière, il doit être encadré et commandé par un personnel auquel il est subordonné - être porteur de signes distinctifs et reconnaissables à distance - porter les armes ouvertement - conduire les opérations en accord avec les lois et les coutumes de la guerre.
La plupart de nos connaissances sur le terrorisme ou ce que nous croyons en savoir, relèvent presque exclusivement d'un jugement de valeur à l'origine d'une suite de malentendus et d'idées toutes plus fausses les unes que les autres. Le terrorisme reste avant tout une méthode de lutte mise en œuvre par des combattants en civil et qui tire sa spécificité du non-respect des conventions applicables aux armées en zone de guerre, de sa motivation, de son appartenance : terrorisme rouge, noir, d'État, religieux, ethnique, infra-étatique, identitaire, mafieux, affinitaire, fondamentalisme, etc., ou de son mode d'action : bioterrorisme, cyberterrorisme, écoterrorisme, hyperterrorisme, terrorisme maritime, etc. Cette confusion transparaît dans les propos tenus par certains experts et dans des thèses de doctorants. La raison en est simple, l'universitaire qui régurgite des connaissances formatées pense en homme de réflexion, le terroriste qui dispose des forces morales pense en homme d'action (opérateur).
Le recours au terrorisme est souvent condamné en raison de ses fins ou répercussions. L'élimination de soldats allemands par exemple, a longtemps divisé les réseaux de la résistance en raison des représailles parmi la population. La fin ne saurait justifier les moyens au risque de pervertir la cause. Entre la gloire du vainqueur et l'honneur du vaincu, il faut choisir. Quand bien même l'action terroriste serait-elle justifiée et légitime en réponse à une agression (cadre de la DOT par exemple, le territoire national ou une partie de celui-ci est considéré comme zone de guerre, art 36 de la Constitution), elle reste souvent illégale au regard du pouvoir en place soucieux de maintenir l'ordre. Durant la Seconde Guerre mondiale, le gouvernement et l'occupant allemand ne qualifiaient-ils pas de « terroristes » les combattants sans uniforme et sans signe distinctif, et pour cause ! Alors qu'une partie de la population bienveillante à leur égard utilisait les substantifs de : maquisards, résistants, patriotes, réfractaires, partisans, martyrs. Au sortir de la guerre, le mot terroriste sera porté comme un honneur. « Nous les terroristes » écrit en lettres couleur sang ornera la couverture d'un livre écrit par Marc Leroux retraçant l'histoire de la Section spéciale du sabotage.
Le terrorisme est un volet de la lutte du faible au fort qui vise la conquête des esprits, certains diront la soumission par la crainte. Il est une variante de la guérilla (petite guerre), qui elle, vise la conquête ou la libération de territoires. Cette tactique de harcèlement et de combats retardateurs reste réservée à de petites unités structurées disposant de bases et d'un soutien logistique tandis que le terrorisme peut tout aussi bien être la méthode opérationnelle de quelques individus isolés (cellule autarcique, cellule fantôme dans le cadre d'une résistance sans chef), voire d'un seul (loup solitaire), qu'une tactique de combat mise en œuvre par des réseaux de cellules dispersées. Le terrorisme se rapproche en cela plus de la guérilla urbaine que de la guerre révolutionnaire, ce qui explique en partie l'échec des intellectuels ayant opté pour cette forme de lutte qui appartient sans conteste à l'art militaire dont l'instruction en fut réservée aux combattants appartenant à certains régiments et aux opérateur des réseaux dits « Stay behind » à propos desquels les chaines ARTE et LCP ont diffusé au mois de janvier 2016 un reportage.
Le terrorisme peut ne pas avoir de cause uniforme et devenir une réaction de ceux qui n'étant rien aspirent à devenir quelqu'un ou à se singulariser. On verra probablement dans les années à venir cette forme de combat se transformer pour s'adapter dans le temps et l'espace à la société à combattre. Les places-fortes de factions intérieures qui rejettent en totalité les valeurs de la société ne revêtent aucun caractère, religieux, culturel, civilisationnel, ou même de valeurs affirmées. Leurs inféodés sont dans la société mais ils refusent d'en faire partie. La menace est d'autant plus pernicieuse que la politique politicienne ne semble attirer que des ambitieux égocentriques chacun pensant réussir là où d'autres ont échoué. Chaque parti de se renvoyer la « patate chaude » et d'user de la trilogie, tension - concessions - « solution », quand ils sont mis à mal, de passer du rôle de sauveteur à celui de persécuteur avant de se présenter en victime. L'un prônant la fermeté, l'autre, la bienveillance, tout en se gardant bien d'agir sur le point le plus en amont de l'arbre causal (la source du mal). Le but de tout parti politique est de conquérir le pouvoir et ensuite de s'y maintenir. L'effroi et l'assassina de masse en deviendraient presque une aubaine pour certains...