Danser encore ; le chant des opposants
Pour Gilles Deleuze, Créer c’est résister ! « Quel est le rapport de l’œuvre d’art avec la communication ? Aucun. L’œuvre d’art n’est pas un instrument de communication. L’œuvre d’art n’a rien à faire avec la communication. L’œuvre d’art ne contient strictement pas la moindre information. En revanche, il y a une affinité fondamentale entre l’œuvre d’art et l’acte de résistance. Alors là, oui. Elle a quelque chose à faire avec l’information et la communication, oui, à titre d’acte de résistance. Quel est ce rapport mystérieux entre une œuvre d’art et un acte de résistance, alors même que les hommes qui résistent n’ont ni le temps ni parfois la culture nécessaire pour avoir le moindre rapport avec l’art ? » (Extrait de la conférence « Qu’est-ce que l’acte de création ? » Donnée dans le cadre des Mardis de la fondation Femis, 17 mai 1987.)
S’il fallait illustrer ce texte par un exemple remarquable, alors on penserait immédiatement au phénomène actuel que représente le succès d’une chanson diffusée dans les manifestations contre le passe sanitaire, dont le nombre de vues dépasse les cinq millions et qui du reste a été reprise dans nombre de pays européens, chantée en espagnol ou en allemand et reprise maintes fois en flash mob. N’ayant pas trop d’affinité avec la chanson française mais plus avec le prog européen, j’ai eu l’occasion de l’entendre distraitement dans les manifestations organisées les samedis à Bordeaux et puis cette mélodie et ces paroles se sont imprimées dans ma tête et même ma conscience ; pourquoi ? Il est probable que mon intellect (plotinien) était branché à l’inconscient historique. J’ai assez vite capté en quoi cette chanson représente bien plus que des paroles chantées et se situe dans un autre registre qui n’a rien de commun avec un tube diffusé à la radio à des fins commerciales pour égayer et divertir. Cette chanson, si légère, si enjouée, raconte des choses graves, elle invite à prendre conscience d’une dérive prise par les régimes en place et plus particulièrement, le régime en marche en France. J’ai capté ce rapport mystérieux entre cette chanson et les résistances face à la politique sanitaire. Il est possible que cette chanson soit un phénomène historique comme le fut le chant des partisans, composé sur un texte russe il y a 80 ans, en 1941, par la franco-russe Anna Marly, qui rejoignit la résistance à Londres. Cet hymne devient l’indicatif d’une émission de la France libre diffusée par la BBC avant d’être habillé de paroles écrites en français par Maurice Druon et Joseph Kessel.
Danser encore s’inscrit dans une toute autre époque, marquée par de nouvelles menaces, la tonalité joyeuse et les paroles pacifistes traduisent bien l’état d’esprit de ces mouvements contre les politiques sanitaires, les peines, les tourments et les aspirations à vivre autrement, retrouver le sens du partage, de l’amitié, la gaîté, la joie de vivre, bref, de restaurer un peu de cette France éternelle, ce « pays où les gens au creux des lits font des rêves, où chacun sait ce qu'il veut, ce qu'il fait quand il passe ». Danser encore est une chanson du chanteur HK (nom d'artiste de Kaddour Hadadi) sortie en décembre 2020. Alors qu'il devait présenter un spectacle avec son groupe à Avignon, celui-ci est supprimé durant la crise sanitaire car jugé « non-essentiel ». C'est alors que vient l'idée de créer une chanson.
« HK, se souvient précisément du soir où il l'a composée : « C'était au moment de l'annonce du deuxième confinement, je répétais un spectacle dans une résidence à Avignon avec des amis et, de fait, notre spectacle a été annulé, car nous n'étions pas considérés comme essentiels. Nous, on pense au contraire qu'on est tous essentiels. C'est un message terrible qui nous est envoyé, comme si, en France, on ne pouvait que travailler et consommer. Et c'est faux de dire qu'on ne peut pas faire autrement : il y a des pays européens, comme l'Espagne ou l'Allemagne, pendant un certain temps, qui ont fait autrement. » a-t-il déclaré pour LCI » (Wikipédia).
La chanson est enregistrée en live le 11 décembre 2020 dans les rues d'Avignon, et publiée ce jour-là sur les réseaux sociaux, en guise de protestation face aux mesures sanitaires prises par le gouvernement durant la pandémie de Covid-19.
Quelle portée historique ? Une chose est certaine, cette chanson est devenue le symbole d’une minorité agissante contestant les excès des régimes autoritaires et sanitaires, dont le combat est quelque peu brouillon et manque de cohérence et de vision philosophique ou historique. Les résistants à l’ordre sanitaire sont des gens du peuple, des gens de peu, des travailleurs souvent qualifiés, des saltimbanques. Les intellectuels et les catégories sociales influentes n’ont pas adhéré au mouvement, tout au plus elles ont exprimé une sympathie. Sans doute ces Français bien comme il faut pensent-ils à une passade sanitaire et à un retour des affaires courantes une fois l’épidémie maîtrisée. Mais les gens du peuple ont autant d’intuition que les gens aux affaires et parfois savent pressentir les nuages sombres provenant d’un futur devancé. Cela dit, le mouvement de résistance sanitaire n’a rien de comparable avec la résistance de 1940. Il n’y a pas d’armée de libération ni d’alliés prêts à débarquer, ni d’une armée d’occupation. C’est simplement la résistance de gens qui ont du cœur et un minimum d’intelligence pour comprendre les abus de pouvoir du régime. Il est possible d’élargir et de transcender ce mouvement à une échelle supérieure. Possible mais difficile, les grandes œuvres ne se sont pas faites dans la facilité. Transcender, avec les enjeux intellectuels, moraux, spirituels, civilisationnels. S’il s’avérait que par un miracle de la conscience les Français, surtout les jeunes, puissent s’éveiller, alors cette chanson pourrait figurer comme le troisième hymne national, après la Marseillaise et le Chant des partisans. Les penseurs visent le monde des Idées, bien trop haut, mais la réalité fait que l’Histoire ne va pas forcément dans le sens des Idées et s’abime dans la matière. Il ne faut pas s’illusionner, notre époque est sans doute traversée par les mirages et les illusions, dans nombre de sujets de société. Danser encore n’aura peut-être été que le chant crépusculaire de citoyens pénétrés par la lumière de l’espérance. Cette lumière ne s’éteindra pas mais pour que la flamme des valeurs, des vérités et les libertés, puisse se propager, il faudra bien plus pour réveiller cette société française minée par les égoïsmes.
Aux résistants, ne lâchez rien, salut et fraternité !
DANSER ENCORE (HK - © Epicerie des Poètes 2020)
Clip tourné à Avignon - Cloître des Carmes le 10/12/2020.
Avec :
HK - Chant
Jacotte Recolin - Violon
Mathilde Dupuch - accordéon
Martin Choquet - saxophone
Raphaël André - trombone
Saïd Zarouri - guitare
Thibault Delbart - guitare
www.facebook.com/hksaltimbanks
Refrain :
Nous on veut continuer à danser encore
Voir nos pensées enlacer nos corps
Passer nos vies sur une grille d'accords
* * * * * * *
Refrain x2
Nous sommes des oiseaux de passage
Jamais dociles ni vraiment sages
Nous ne faisons pas allégeance
À l’aube en toutes circonstances
Nous venons briser le silence
Et quand le soir à la télé
Monsieur le bon roi a parlé
Venu annoncer la sentence
Nous faisons preuve d’irrévérence
Mais toujours avec élégance
Refrain x2
Auto-métro-boulot-conso
Auto attestation qu’on signe
Absurdité sur ordonnance
Et malheur à celui qui pense
Et malheur à celui qui danse
Chaque mesure autoritaire
Chaque relent sécuritaire
Voit s’envoler notre confiance
Ils font preuve de tant d’insistance
Pour confiner notre conscience
Refrain x2
Ne soyons pas impressionnables
Par tous ces gens déraisonnables
Vendeurs de peur en abondance
Angoissants, jusqu’à l’indécence
Sachons les tenir à distance
Pour notre santé mentale
Sociale et environnementale
Nos sourires, notre intelligence
Ne soyons pas sans résistance
Les instruments de leur démence
Refrain x2
https://www.youtube.com/watch?v=SyBEMRyt6Qg