« Echec de l’assimilation » : éléments idéologiques d’une crise majeure
Le refrain n’est pas nouveau mais, mine de rien, nous dansons plus que jamais sur un volcan. Retailleau et Darmanin, taïaut-taïaut et baratin, font le spectacle. En attendant, derrière le rideau, la marmite est en ébullition. Toutes soupapes ouvertes, elle menace quand même d’exploser. C’est en tout cas ce que murmurent des gens bien renseignés. Alors, devant les centaines de zones de non-droit armées jusqu’aux dents, kalach en bandoulière et splif aux lèvres, on fait quoi ? Avant d’en venir aux mains, rapide plongée dans la psyché du client...
Le Tout-Paris se triture l’esprit devant cette énigme digne du Sphinx : « Pourquoi l’immigration est-elle en échec d’intégration, alors que les générations précédentes se sont assimilées ? »
Et les deux grandes explications de fuser :
Explication numéro 1 : « Le nombre », le « grand remplacement », « la submersion ».
Explication numéro 2 : La distance civilisationnelle, liée notamment à la religion, en l’occurrence, en France en l’an de grâce 2025, l’islam : an 1446 pour le calendrier musulman, soit plus d’un demi-millénaire d’écart. Tandis que les plus rigoristes de nos contemporains entendent en revenir tout bonnement au VIIe siècle.
Le fameux choc des civilisations, qui est aussi, et peut-être surtout, un choc de chronologies…
Archéologie de l’assimilation
Bien sûr, à l’école ou au collège, un petit immigré seul dans la classe parmi trente petits Français de souche ou assimilés, quelle que soient leur race ou leur religion, s’imprégnera de culture et de manière d’être françaises de façon incomparablement plus efficace que s’il est scolarisé exclusivement avec des petits immigrés. Il y a même pas mal de chance, pour peu que son milieu familial l’y encourage et l’accompagne, qu’il devienne un parfait petit Français. Le nombre est donc, évidemment, un facteur majeur.
Mais pour autant, il n’est pas un facteur absolu. Pas plus que la civilisation ou la religion.
Les indépendances néocolonialistes imposées par De Gaulle, en paupérisant dramatiquement l’Algérie et l’Afrique noire, ont provoqué au fil des décennies des vagues d’immigration en direction de l’ancienne métropole. Suivant un constant crescendo.
Auparavant, depuis le XIXe siècle, la France avait connu bien des vagues d’immigration, essentiellement européennes… Mais dès le XIXe siècle, quelques Arabo-Berbères s’établirent en France. D’abord en très petit nombre, puis de plus en plus nombreux au fil des décennies. Ces Arabo-Berbères se sont parfaitement fondus dans le corps français. La remarque vaut pour les Africains subsahariens. Pendant des décennies, l’écart civilisationnel, le choc des civilisations ne s’est pas manifesté.
On est frappé, lorsqu’on regarde les documentaires de l’INA des années 1960, 1970 ou même 1980, de constater que les Algériens étaient beaucoup plus francisés à l’époque que ne le sont, dans bien des cas, les jeunes Français d’origine maghrébines de nos jours. Car une contre-culture s’est constituée depuis ces époques révolues.
Un fou nommé Boualem Sansal
Dans notre monde défrancisé, un Boualem Sansal, d’ailleurs récemment naturalisé, fait figure de fossile.
« Qu'on ne se raconte pas d'histoire ! Les musulmans, vous êtes allé les voir ? Vous les avez regardés avec turbans et djellabas ? Vous voyez bien que ce ne sont pas des Français. (...) Essayez d'intégrer de l'huile et du vinaigre. Agitez la bouteille. Au bout d'un moment, ils se sépareront de nouveau. Les Arabes sont des Arabes, les Français sont des Français. »
La prophétie autoréalisatrice de De Gaulle se fracasse sur le cas Sansal. L’écrivain ne porte ni turban ni djellaba. Exemple de vinaigre qui tend à rejoindre l’huile. Irrésistiblement et profondément. Comme tant d’autres avant lui. L’habileté de De Gaulle aura été de mettre en place une vaste mécanique, une immense broyeuse qui fasse qu’il n’y ait plus de Sansal. Et que tout ceux qui aurait dû l’être ne le soient jamais.
Sous cet angle, la seule place censée pour Sansal, idéologiquement cohérente, historiquement pertinente, politiquement rigoureuse, conforme à l’époque, est en prison. Dans un cul-de-basse-fosse à Alger, ancienne somptueuse deuxième ville de France, capitale dévastée du FLN que De Gaulle fit tyran d’Algérie. A défaut, pour Sansal le fol, d’une camisole de force en asile psychiatrique…
Boualem Sansal est une métaphore inversée de la défrancisation, en particulier de celle de l’Algérie. Il incarne la francité interdite, la francité enfermée, la francité internée, la francité refoulée. Il reflète l’assassinat de la France et la façon dont elle meurt, proscrite et abandonnée…
Contre-culture programmée
Cette contre-culture, ou plutôt cette opposition culturelle radicale, est le contrecoup du reflux civilisationnel français. Un reflux voulu par l’alliance gaullo-communiste.
Derrière De Gaulle, les Anglo-Saxons. Derrière les communistes, les Soviétiques. Dans les deux cas, au gré d’idéologies différentes et officiellement opposées, portée par des puissances étrangères elles-mêmes impérialistes, la conclusion était la même : la France devait larguer l’Algérie et le reste, car en aucun cas Algériens et Africains n’étaient français, ne devaient être français. Il convenait plutôt de les renvoyer à leur culture d’origine. A force de le leur répéter, les uns et les autres ont fini par retenir la leçon.
Franchement, n’est-il pas un peu hypocrite de s’étonner que tant de jeunes Français issus des anciens départements d’Algérie et territoires subsahariens haïssent la France, alors qu’on leur répète depuis des décennies que la France est haïssable ?
Comment s’étonner que ces jeunes et moins jeunes ne se sentent pas Français, alors qu’on ne cesse de leur raconter que leurs parents voulaient tellement ne pas l’être qu’ils ont mené une guerre héroïque pour chasser la France et les Français de chez eux ?
Comment pourraient-ils aimer un pays qui s’est comporté comme une puissance impérialiste, criminelle à des échelles inouïes, dans un déchaînement de violence, de mépris et d’oppression, leur répète-t-on comme à plaisir, pour la plus grande douleur de leurs aïeux ?
Comment pourraient-ils se sentir d’un peuple, le peuple français, qu’on leur dit héritier de cette civilisation obscène et ensanglantée, peuple, par-dessus le marché, perclus de racisme jusqu’au trognon ?
Il faut une lucidité à toute épreuve pour résister à pareil bourrage de crâne.
Et une force de caractère hors du commun pour s’affranchir du groupe que l’Etat, sur les deux rives de la Méditerranée, pousse par tous les moyens au rejet absolu d’une France abominable…
La déesse et le monstre
Tout à l’opposé, les générations d’immigrés précédentes, qu’elles aient été européennes ou non, voyaient la France comme une splendeur extraordinaire. C’est pour cette raison qu’elles se sont si facilement assimilées. On embrasse plus facilement une déesse qu’un monstre.
En Algérie française, où les immigrés européens venus d’Espagne étaient très nombreux et parfois majoritaires, l’assimilation à la France se fit néanmoins efficacement. En dépit du nombre. Parce que ces gens s’identifiaient à un pays grandiose, fier de lui-même, de son histoire et de son avenir. Dans ce contexte, et là encore malgré le nombre, bien des Arabo-Berbères tenaient, eux aussi, la France pour leur patrie. Beaucoup d’ailleurs moururent pour elle sur les champs de bataille des deux guerres mondiales. Mais l’image que la France d’alors se donnait d’elle-même n’avait pour ainsi dire rien à voir avec celle que certains s’emploient à lui donner depuis des décennies. Elle était l’exact contraire du visage tuméfié, couvert de crachats par ses dirigeants et ses médias, que la France présente depuis des lustres aux Français issus de l’immigration, en particulier aux plus jeunes d’entre eux. Avoir vingt ans en 2025, c’est être né en 2005, année des émeutes, mais aussi de la loi sur les aspects positifs de la présence française outre mer. Finalement abandonnée…
A mesure que disparaissent les générations, les souvenirs réels de la période coloniale, période vécue et regrettée amèrement par les vieux Africains (longtemps ils répétèrent : « Quand la France va-t-elle revenir ? »), ne peuvent plus agir comme un bouclier idéologique. Les générations sans mémoire, les jeunesses endoctrinées, persuadées que les souvenirs de haine sont la vérité exclusive, que l’histoire d’amour n’a jamais existé, en font la matrice de leur rapport à la France et de leur comportement à son égard et à l’égard des Français.
Au regard de cette propagande cyclopéenne qui a emporté plusieurs générations, concassé les mémoires, effacé et remplacé les souvenirs, l’échec de l’assimilation tient bien moins à une civilisation en soi, quelles qu’en soient les spécificités et les écueils, qu’au destin qu’on a bien voulu lui donner. Les pétrodollars ayant simplement mis cinq sous à la musique.
Pas sûr que notre époque puisse encore le comprendre, quand les rejets parfois épidermiques provoqués par d’insupportables situations bouleversent les consciences et faussent les jugements. Pas sûr qu’on échappera à une nouvelle guerre d’Algérie.