jeudi 10 mars 2011 - par Paul Villach

Incroyable ! Des titulaires des Palmes académiques accèdent à la conscience !

Existerait-il une conscience chez les titulaires des Palmes académiques ? On pouvait en douter. Or, à la suite de 47 d’entre eux qui, dans un geste théâtral ont renvoyé à l’envoyeur ministériel leur décoration pour protester contre la casse programmée du Service public d’Éducation, d’autres en font autant. Le 1er mars 2011, Le Monde dénombrait 128 protestataires (1).

On s’en réjouit. L’éclosion d’une conscience est, comme toute naissance, un heureux événement. A-t-on songé pour le fêter à distribuer des dragées ? Il ne faut pas toutefois trop vite s’enthousiasmer ni se leurrer : un mouvement de révolte aussi inattendu au sein d’une clientèle de cette espèce ne doit pas être surestimé. Il suffit pour cela de le replacer dans son contexte. 
 
L’audacieuse rébellion de certains artisans du désastre
 
Qui sont donc ces titulaires des Palmes académiques en général, même s’il y a forcément des exceptions ? Dans sa réprimande, le ministre, fort mécontent, rappelle que ce sont des « concitoyens dont on a reconnu le mérite  » et le journal Le Monde, peu au fait comme toujours de la vie interne de l’institution, les qualifie de « membres de la communauté éducative qui se sont distingués pour leur action en faveur de la jeunesse  » (1).
 
Ces gens distingués appartiennent, en effet, à l’élite telle que du moins la définit le ministère de l’Éducation nationale. Ne peuvent, en effet, prétendre à la décoration que ceux et celles dont la hiérarchie, tous échelons réunis, a reconnu les éminents mérites, selon la représentation toute personnelle qu’elle s’en fait. Ces mérites à vrai dire se limitent à deux qualités :
 
1- l’une est l’excellence dans la transmission des savoirs prescrits par les instructions officielles, fussent-elles sources d’erreurs grossières comme dans l’enseignement du Français ;
 
2- l’autre est la soumission aveugle à l’autorité, quelques violations de la loi qu’elle commette avec constance. Cette soumission résulte de l’intériorisation de trois attitudes étudiées par Stanley Milgram (2) :
 
- La première est « la syntonisation  », cet état de réceptivité maximale face à la parole de l’autorité, à l’exclusion de tout autre point de vue.
 
- La deuxième, ou « état agentique  », implique une réorientation du sens moral qui confie à l’autorité le soin de définir seule le Bien et le Mal, et cantonne le subordonné dans l’exécution des ordres reçus avec loyauté et conscience professionnelle ;
 
- La troisième attitude, enfin, corollaire des deux autres, est l’abandon de toute responsabilité personnelle du subordonné pour les conséquences que peuvent entraîner des actes nuisibles exécutés sur ordre.
 
Ainsi, ces décorés ont-ils été pendant leur carrière - à quelques exceptions près, a-t-on déjà dit - les artisans inconscients les plus zélés du désastre que connaît l’Éducation nationale depuis au moins 1996, date de parution du rapport de l’OCDE, intitulé de façon codée pour ne pas être compris des non-initiés : « La faisabilité politique de l’ajustement  ». « L’ajustement », c’est la privatisation progressive de l’éducation, et « la faisabilité politique  » est le mode d’emploi sournois avec ses leurres appropriés pour que les usagers se détournent d’un service public devenu répulsif et accueillent la privatisation comme une délivrance. 
 
De bons serviteurs rompus à l’art d’avoir le beurre et l’argent du beurre
 
On ne doit pas oublier non plus que la procédure d’octroi des Palmes académiques a exigé de son titulaire une démarche humiliante : contrairement à ce que prétend l’appel « Ras les palmes !  », on n’ « accepte » pas les Palmes académiques, on les demande  ! Nuance ! L’intéressé doit donc préalablement procéder à un examen de conscience pour vérifier s’il les a méritées aux yeux de l’autorité chérie en ayant satisfait à toutes ses exigences, afin d’éviter la seconde humiliation d’un refus, comme en essuie un le malheureux Topaze de Marcel Pagnol qui, selon son voyou de chef d’établissement, ne se les voit accorder que moralement !
 
Vue sous cet angle, même s’il est heureux que des inconscients accèdent enfin à la conscience, fût-ce tardivement, la rébellion de ces bons serviteurs est celle de gens habitués à ne pas prendre de risques et à accaparer le beurre et l’argent du beurre. Sans doute renvoient-ils leur palmes, mais, pas fous, ils gardent précieusement le masque et le tuba qui vont avec, c’est-à-dire la promotion Hors-classe réservée à l’élite telle que la voit la hiérarchie.
 
Cette échelle complémentaire qui s’ajoute aux onze échelons normaux rythmant une carrière de la Fonction publique, a été inventée par M. Jospin, ministre de l’Éducation nationale à la fin des années 80. Il s’agissait, au dire de l’intéressé, de revaloriser la profession enseignante. Une très faible minorité se voit ainsi chaque année, après avoir atteint le 11ème échelon, promue à une échelle Hors-Classe avec l’intéressant supplément de rémunération correspondant. Il existe sans doute un barême de points, mais le recteur est seul juge de l’octroi ou non de la promotion : il peut très bien la refuser à un professeur qui a les points requis, s’il juge qu’il ne montre pas les qualités attendues de sa hiérarchie, rappelées ci-dessus. Si les Hors-classe ne sont pas tous palmés, on imagine bien que les palmés sont en général aussi Hors-classe. Or, on ne sache pas que les palmés en révolte se séparent d’autre chose que de la médaille et de son ruban, un symbole qui ne coûte pas cher.
 
C’est donc bien gentil de renvoyer la décoration qu’on a demandée, après l’avoir bien méritée en s’étant gardé de protester contre la démolition de l’Éducation nationale qui est en cours depuis une quinzaine d’année, et en empochant le surplus de rémunération que cette servilité a justifié.
 
On aimerait bien cependant se joindre à ces courageux combattants. Mais on n’en a pas les moyens : à la place des palmes académiques, c’est un blâme académique qu’on a reçu. Lui, on s’en doute, on ne le demande pas, on le reçoit. On se l’est vu infliger pour s’être de plus en plus vigoureusement opposé pendant des années à la casse de l’École qu’on voyait organisée avec de plus en plus de cynisme. On n’a vu alors aucun titulaire des Palmes académiques ni de la Hors-Classe s’en émouvoir. Il n’y a que le Tribunal administratif à s’en être indigné et on n’en est toujours pas revenu, vu l’état de désolation de la justice en France ! Il a annulé ce blâme comme illégal : les trois fautes de service alléguées par la hiérarchie n’existaient pas, a-t-il jugé, couvrant de honte chef d’établissement, inspecteur d’académie, recteur et ministre qui les avaient concoctées ! On ne peut donc même pas aujourd’hui envoyer à la figure de l’institution ce blâme honteux qui la déshonore : le tribunal l’a déjà fait (3). Mais, qu’on se rassure, ça n’a rien changé au désastre en cours : les administrateurs-voyous coupables et sans doute palmés continuent de servir et de sévir. On suppose qu’il en sera de même après que les palmipèdes académiques auront renvoyé leurs palmes, en prenant bien soin de garder le surplus d’émoluments que leur a valu leur servitude. Du moins auront-ils acquis une bonne conscience à pas cher pour leurs vieux jours ! N’est-ce pas là l’essentiel ? Paul Villach
 
(1) Nabil Wakim,
« 47 titulaires des Palmes académiques rendent leur décoration contre les suppressions de postes  », Le Monde.fr, 15 février 2011.
« Education : le mouvement de renvoi des Palmes académiques s'amplifie  », Le Monde.fr, 1er mars 2011.
(2) Stanley Milgram, « Soumission à l’autorité  », Éditions Calmann-Lévy, 1974.
(3) Pierre-Yves Chereul, « Un blâme académique flatteur  », Éditions Lacour, 2008.


14 réactions


  • Yohan Yohan 10 mars 2011 11:07

    Le spécialiste des leurres nous en gratifie d’un beau avec sa photo. On ne se refait pas smiley


  • Bill Grodé 10 mars 2011 11:08

    J’apprécie presque toujours vos articles, Paul Villach, mais je crois que dans celui-ci vous partez d’un postulat faux : vous sous-entendez qu’un titulaire des palmes académiques les a un jour demandées lui même , or je peux vous assurer qu’il n’en est rien.
    Elles peuvent avoir été demandées pour lui par une tierce personne , sans qu’il en ait été jamais informé.
     C’est d’ailleurs une surprise telle qu’on pense à une blague quand ça vous arrive.
    Sur le fond , vous avez raison : ces renvoyeurs de palmes sont courageux.


  • SATURNE SATURNE 10 mars 2011 12:07


    C’est vrai, ça...
    Pourquoi donc une photo en forme de leurre d’appel sexuel pour illustrer cet articaillon ?


  • Hadj Ahmed 10 mars 2011 12:15

    Et évidemment, la fille de la photo est majeur smiley


  • srobyl srobyl 10 mars 2011 14:09

    Il paraît qu’un boucher, qui pratiquait des prix défiant toute concurrence pour fournir une cantine scolaire, avait obtenu les palmes académiques...pour ses bons et (a)loyaux services !
    Dingue, non ?


  • srobyl srobyl 10 mars 2011 21:37

    Bon, j’en vois qui ont pensé que c’était juste l’occasion de sortir une« fiente de l’esprit » selon Totor,
    Ben...ils ont tout faux. Cette histoire est authentique
    Et d’ailleurs l’obtention de ces palmes dans ce cas est parfaitement dans l’esprit des textes cités dans l’article ; 
    Il n’en reste pas moins que le mode d’attribution de cette décoration relève soit de la peigne-culterie, soit de procédés mafieux. C’est donc d’emblée, et sans attendre des mesures restrictives, qu’il faudrait la rendre, rien que pour ces raisons !


  • robespierre55 robespierre55 11 mars 2011 07:51

    Notre spécialiste du leurre commet une bouse de plus. Et en plus il ment : les palmes académiques ne sont pas attribuées à la demande de l’intéressé. Je suis bien placé pour le savoir.

    Par ailleurs, je connais personnellement une certain nombre de ces individus que vous semblez mépriser et au regard de vos capacités intellectuelles, votre avis à leur égard est un compliment qu’ils ne manqueront pas de déguster avec un plaisir de fin gourmet.

    Prenez vos gouttes.


  • kéké02360 11 mars 2011 09:32

    à propos de bouse !!!! 


     http://www.bastamag.net/article1411.html  smiley


  • kéké02360 11 mars 2011 09:39

    et celle -ci qui ressemble tellement à la raie publique mérite bien la légion d’honneur

    http://www.dailymotion.com/video/xb4rai_le-vrai-nicolas-sarkozy-devant-dany_news  smiley


  • Alain 12 mars 2011 17:48

    Monsieur Villach

    Je suis très touché par ce que je viens de lire et je pense que l’auteur de ce courrier n’a pas essayé de comprendre. Il frappe avec un gros marteau vindicatif (pourquoi ?) sur un ensemble en confondant les éléments en une même bouillie acerbe. Cela ne peut que nuire à un combat qui a besoin de tous, avec leurs grands et petits moyens d’exprimer leur désespoir et leur espoir... C’est dommage ! 

     Je ne redirai pas les termes de ma lettre de renvoi des Palmes Académiques, simplement ma fierté de les avoir acceptées : oui, j’ai accepté de signer la demande lorsque j’ai pris ma retraite, après deux refus pendant mon temps d’activité. Oui, c’est porté par toute une communauté scolaire que je l’ai fait, celle qui m’a accompagné dans et autour de notre école pendant tant d’années ! Oui, c’est toute cette communauté qui aurait dû être décorée ! Oui, j’ai éprouvé beaucoup d’émotion lorsque c’est des mains d’une collègue impliquée toute sa vie dans le service aux autres, (à 75 ans elle œuvre toujours pour les enfants et les familles) ! Oui, en 40 ans l’Ecole m’a donné beaucoup et j’espère lui avoir donné le plus possible ! Oui, tant que je le pourrai, j’accompagnerai la vie scolaire et éducative là où je me trouve… Oui, j’ai agi, rempli au mieux mes fonctions, manifesté aussi, crié… le blâme, désolé je n’ai fait que le frôler… Oui quitter l’école fut un déchirement…

    Un jour, j’ai écrit, un livre qui ne me rendra ni riche, ni célèbre, mais nécessaire pour mon équilibre : en son début, un enseignant se fait brûler, désespoir et cri d’éveil… Roman de société où je rêve d’un grand mouvement d’où renaît l’Ecole… Me fallait-il en faire autant, en autodafé ? Qu’auriez-vous dit alors ? Non j’ai préféré brûler cette médaille qui pour moi représentait tant et tant de moments importants, douloureux parfois, heureux souvent.

    Je crois en l’Ecole plus qu’en n’importe quelle institution et si mon geste, celui de nombre de personnes qui font le même, est insignifiant à côté de tous ceux que SAUVONS L’ECOLE nous relate chaque jour, considérez-le quand même comme l’une de ces gouttes d’eau qui finiront par faire déborder le raz-le-bol de la CASSE de l’Ecole. En toute conscience, et elle ne vient pas d’éclore, je revendique mon geste. Ne nous divisez pas plus Monsieur, au contraire, admettez la complémentarité des actions. Vous savez, ne pas bouger et garder notre décoration, c’était le plus facile.

    Sans rancune, mais avec amertume,

    Alain

     

     

      


    • Paul Villach Paul Villach 12 mars 2011 18:53

      @ Alain

      Ainsi, vous appartenez à ces exceptions que je n’ai pas manqué de signaler par deux fois dans mon article. Je vous en félicite.

      Il reste que mon expérience est très différente de la vôtre, sans être limitée pour autant à celle qui m’est purement personnelle, puisque j’ai été amené à défendre pendant nombre d’années nombre de nos collègues sur le territoire. Or, ce que j’ai observé, ce sont les mêmes violations de la loi en toute impunité par des adminisrateurs-voyous : il s’agissait de faire taire les indociles qui dénonçaient à leur façon la destruction méthodique de l’École sous leur yeux.
      Jamais je n’ai vu un palmé Hors Classe bouger le petit doigt sauf pour enfoncer la victime de cette administration-voyou !

      Je persiste et signe : si l’École à laquelle je crois comme vous, est dans cet état de désolation, on ne doit pas se leurrer, l’élite palmée y est pour quelque chose comme je l’ai analysé.

      Désolé de vous faire de la peine ! Du moins communions-nous dans la même peine devant cette école livrée aux mains d’une administration-voyou que j’ai vue à l’oeuvre et qui a gagné mon mépris ad vitam aeternam. Paul Villach


  • musculus 25 mai 2012 23:09

    Je suis choqué en découvrant cet article vindicatif ! L’auteur y dégorge sa bile contre tout ce qui à ses yeux mérite le mépris... 

    Qui, selon lui, mérite le mépris ? Le professeur qui n’est pas ponctuel ? le professeur qui débite un cours sans conviction ? le professeur qui corrige ses copies en 5 minutes quant il faut 20 à 25 minutes ? le professeur spécialiste de l’absentéisme ? 
    Rien de tout cela ! Non, l’auteur dénonce celui qui a respecté le programme, celui qui a consacré beaucoup de temps à ses élèves, celui qui n’a jamais cessé de se cultiver, celui qui n’a pas passé son temps à critiquer l’Institution... Certes l’Institution n’est pas parfaite, certes, il faut faire preuve de sens critique, et inculquer cet esprit critique aux élèves, mais avant tout, il faut leur donner le goût d’apprendre, le goût de l’effort, et leur faire partager l’amour que nous éprouvons pour la matière que nous enseignons. 
    On pourra bien sûr, critiquer telle ou telle nomination dans l’Ordre des Palmes académiques ; il n’en demeure pas moins vrai que les collègues que je connais, titulaires de cette décoration, sont des gens honorables, qui ne méritent pas d’être insultés ! 
    Enfin, permettez moi d’aborder un dernier point : l’auteur affirme que celui qui est nommé chevalier dans l’Ordre des Palmes académiques, en a fait la demande. C’est absolument faux et mensonger ! Le récipiendaire n’en a aucunement fait la demande ! Ce serait, faut-il le dire, une démarche pour le moins malvenue ! 


  • candide candide 13 septembre 2016 18:45

    Bonjour,

    il se trouve que je viens de recevoir aujourd’hui même cet insigne et c’est la raison pour laquelle je me documente sur internet. Je m’interroge sur les compétences de la personne qui a écrit cet article. Je lis au moins trois erreurs. La première est que j’ai reçu un courrier du recteur m’informant de cette attribution alors que JE N’AI JAMAIS RIEN DEMANDE à ce sujet. La deuxième erreur est liée à l’argent. Cette nomination n’est absolument pas rémunératrice. Etre chevalier dans l’Ordre des Palmes Académiques ne donne droit à aucune prime ou augmentation de salaire ou émoluments comme dit l’article. La troisième erreur concerne le lien entre la « hors classe » et les palmes. Je suis hors classe depuis 5 ans et cette nomination arrive cette année. L’obtention des palmes ne peut donc pas être un tremplin pour l’obtention de la hors classe. Je ne développerai pas davantage.

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