La ligne infinie de notre être
Partons de ce que nous avons vu précédemment, à savoir que le cogito a trois dimensions :
1 - Cela est perçu donc cela existe.
2 - Cela échange donc cela vit.
3 – « Je pense donc je suis »
Descartes a conclu sa magistrale démonstration sur le plan suprême : la dimension la plus élevée, celle de l’être. Il a fait du reste la part la plus difficile et la plus noble. Le cogito est sans conteste la Révélation métaphysique, la révélation au sens ontologique mais pas religieux. Il n’en demeure pas moins qu’il ne nous faut pas négliger les deux autres dimensions du cogito : ses dimensions inférieures. Pourquoi ?
Je répondrai parce que la dimension pensante est ultra minoritaire, elle est l’exception qui n’appartient qu’à une espèce connue : l’être humain. Alors que les deux autres dimensions qui nous composent aussi sont partagées avec des millions d’espèces d’êtres (le Vivant) ou de choses (l’Existant). Il ne faut plus, par conséquent, les ignorer plus longtemps ni les laisser en dehors de la métaphysique.
J’ajouterai une raison supplémentaire, une raison de pure logique : seules les deux premières propositions sont vraiment probantes avec leur mot de liaison : le « donc ». Dans la troisième expression, celle du cogito, ce « donc » ne révèle pas de lien causal certain ni une déduction incontestable. Descartes lui-même en a pris conscience en supprimant ce mot dans ses "Méditations métaphysiques". La vérité du cogito est juxtaposition de deux dimensions : celle de la pensée et celle de l’être. Cette dimension est bien au-delà de la logique et le « donc » est un mot absurde à ce point de transcendance.
Voici les trois dimensions :
1 - Au cœur de l’existence, il y a la perception.
2 - Au cœur de la vie, il y a l’échange.
3 - Au cœur de la dimension pensante, il y a l’être, la conscience.
Les trois dimensions de la connaissance
A ces trois formes correspondent trois formes de connaissance :
- La connaissance perceptive : le jeu des apparences.
- La connaissance par les échanges physiques : la force et l’énergie jouent ici un grand rôle, l’éros y compris. La lutte pour l’accès aux ressources et les relations réelles qu’elle implique.
- La connaissance libre (« pure » dirait aussi Kant) : l’être se connaît lui-même par effort d’abstraction. L’être est soustrait de toutes ses contingences identitaires (le « je » est universel), sociales et politiques. Donc l’être sartrien entremêlée de politique et de déterminsime social n’a, à mon avis, pas de sens ici. Le "je" de Descartes est universel et trancende tout contingence individuelle tout comme celui de Montaigne dans son "que sais-je ?"
Cette triple définition correspond à peu près à la trinité que j’ai présentée dans mon essai philosophique, à savoir les trois formes d’intelligence : intelligence brute, conscience et pensée. L’intelligence inclut l’animalité voire la flore, la conscience est aussi partagée, la pensée est une spécificité humaine.
Ainsi qu’à la trinité des modalités de la vie que j’y ai énoncée : relations / liens / rapports.
La connaissance de relation se retrouve dans la perception.
La connaissance de lien dans la relation physique, l’affectivité et l’habitude.
La connaissance de rapport dans la conscience (rapport de la conscience à elle-même, au corps, aux autres, au temps et à la mort).
Cette triple dimension se subdivise en trinité des besoins et des droits
Trois formes de besoin :
besoin d’exister plus (exemple des réseaux sociaux),
besoin de vivre plus (recherche de l’intensité du vécu et de la vitesse grisante, d’une vie plus riche en termes de possession de choses),
besoin d’être plus : le savoir, la pleine conscience, la transcendance.
Trois droits : droit d’exister, droit de vivre, droit de penser. On peut sourire mais rares sont les endroits sur notre planète où ces trois droits légitimes et fondamentaux sont respectés dans leur plénitude.
Pas d’homme de Vitruve pour dessiner l’être mais une ligne qui tend vers l’Infini
Dans mon article précédent, j’ai parlé de l’idéal de l'être symbolisé par un dessin à formes idéales définitives à la façon de l’homme de Vitruve de Léonard de Vinci. Mais l’être n’est jamais fini, il ne peut par contre par se contenter de dimensions prédéfinies et fixes, fussent-elles harmonieuses. Ce qui vaut pour le corps ne vaut pas pour l’esprit.
La vie est dimensionnante. Le cours de notre vie fait fluctuer notre être. Si ce dernier ne peut être représenté dans un cercle au sein d’un carré, l’idée de la quadrature du cercle reste néanmoins un moyen utile pour représenter l’être dans sa progression et ses changements. On peut dès lors retenir la forme du tableau des décimales de Pi qui montre une ligne de fuite, une ligne médiane qui est le résultat constant des forces qui s’opposent dans la dualité. On en revient à l’idée de la trinité : le un et le deux en s’opposant font naître le trois (la force, la direction). On voit dans le tableau de Pi des symétries de dessins et de valeurs de part et d’autre de cette ligne médiane.
Ce n’est donc pas le compas de Léonard qu’il faut employer pour représenter l’être mais la ligne de fuite du nombre Pi ! La dualité crée la perspective. Quand on dit ligne de fuite, il ne saurait s’agir de la fuite de l’homme devant lui-même mais, au contraire, de la perspective qu’il dessine en ayant recours à la liberté de son être. La ligne vers l’Infini sera donc l’expression retenue ici, car plus appropriée, que celle de ligne de fuite.
Conseils de vie : le « Juste milieu » et la « voie droite » sont deux notions classiques dépassées
Les Anciens donnaient des conseils de sagesse et de vie juste. Ils parlaient de vertus cardinales, de juste milieu, de voie droite... La ligne vers l’Infini est ce que les Anciens appelaient le juste milieu ou la voie droite mais elle ajoute cette idée de tension de notre être vers l'Infini, tension qui engendre des formes belles et symétriques qui nous définissenent et nous servent de boussole. Cette ligne infinie, j'aime à la montrer sous la forme de la transversale qui traverse un tableau de décimales de Pi rangées dans un tableau de 9 sur 9 (voir un exemple de schéma dans cet article). Et voir en annexe de cet articles quelques autres exemples.
Il s’agit d'une voie dirigée plutôt que d'une voie droite. Il n’existe pas de ligne tracée à l’avance. Nous n'en donnons pas la direction (le sens nous est impossé) mais c’est nous qui la dirigeons au milieu des forces déchaînées et contradictoires de nos exitences : celles qui nous sont extérieures mais aussi celles qui oeuvrent en nous. C'est nous qui gardons ferme le cap donné, ce qui aboutit à une sorte de compromis en somme.
L’être est le lieu de la liberté absolue mais il ne peut faire tout ce qu’il veut : il est soumis aux contingences. L’être n’est pas seul (il y a trois dimensions du cogito) : la dimension du vivant joue un rôle important : le vivant agit autant qu’il est agi. Or, être agi n’est pas l’expression de la liberté. Dans sa dimension la plus basique, nous sommes existants parce que nous sommes perçus. Mais cette condition nous fait dépendre des autres, qu’on se souvienne de l’enfer dans "Huis clos" de Sartre. Si je ne me sens plus perçu, je ne me sens plus exister. Si je me sens existe alors j'aurai la sensation de vivre. Dans la pièce en question, les êtres sont morts mais ils s’en moquent car ce qui leur importe, c’est d’exister dans le regard et la mémoire des autres. On voit bien ici la ligne de séparation entre les deux dimensions de l’existant et du vivant.
En outre, la perception nous place à la merci des autres, elle peut faire de nous une proie. On ne peut échapper à la perception ni se rendre invisible (dans notre société de surveillance, cela deviendra bientôt totalement impossible). La dimension de la perception nous fait nous astreindre à toutes sortes de comportements et d’attitudes pour être perçu des autres de la manière que nous désirons : pour vivre en société, pour séduire, pour acquérir gloire et honneur, etc. Ces nécessités de paraître nous amputent d’une part de notre liberté.
Les deux attributs de l’Etre sont la liberté et l’espoir.
L’espoir seul peut quelquefois nous rendre heureux. L’abdication de la liberté revient à remettre son sort entre les mains des autres. Il peut en sortir de l’espoir mais cet espoir est fragile puisque ce sont les autres qui en sont les dépositaires.
La bonne ligne de fuite et la symétrie qui en découle sont normatives. Ce qui est normé fabrique le normal et la symétrie fabrique le juste. A nous de prendre soin que les normes ne nous soient pas imposées par des forces extérieures ou intérieures. Notre ligne doit, rappelons-le, être dirigée.
Pour nous garantir d’être heureux et libre, notre ligne médiane doit s’inscrire dans la symétrie. Pas de symétrie signifie déséquilibre et donc mauvaise voie. Le juste milieu est dans la symétrie. Je répète mon principe précédent : Si vous cherchez le juste, observez d'abord ce qui est symétrique.
La ligne vers l’Infini est une ligne dimensionnante de notre être. Le tracé de cette ligne doit jouer avec nos trois dimensions : celle de l’Existant, celle du Vivant, celles de l’Etre. Elle doit créer une harmonie entre ces trois voies qui permette de nous rendre heureux et libre.
ANNEXE A L'ARTICLE
La ligne de fuite ou ligne vers l'Infini des décimales de Pi (elle part du 14, passe par le 86 central et aboutit - provisoirement - à la valeur 84 en bas à droite). Cette ligne vers l'Infini dessine des rapports harmonieux, des équilibres, des symétries.
Pour épargner au lecteur des migraines, je n'ai pas repris les calculs qui expliquent toutes ces formes symétriques. Je peux les fournir à la demande en commentaires de cet article.
Voir aussi mon autre schéma qui met en valeur les palindromes dans mon article "Et si l'amour était un palindrome"