Les armes policières à létalité réduite en question
« Monsieur le Premier Ministre, Depuis le 17 novembre dernier, plusieurs Français ont été gravement mutilés lors de tensions entre nos services et des manifestants gilets jaunes au cours d’opérations de maintien de l’ordre. Mes collègues se sont engagés dans la police nationale pour protéger la vie de leurs compatriotes. Malheureusement, des citoyens ordinaires, comme nous policiers, vont désormais devoir vivre avec un œil ou une main en moins. Ces mutilations permanentes semblent avoir été causées par les LBD et les GLI-F4. Jamais sous la cinquième République nous avions fait un usage aussi intensif de telles armes contre la foule. (...) Toutefois, il appert que les victimes mutilées sont généralement de simples manifestants pacifiques s’étant retrouvés au milieu des casseurs. (...) S’agissant des Gilets jaunes mutilés, alors que certains dommages corporels s’apparentent à des blessures de guerre, je m’étonne que personne, ni dans la classe politique ni chez les people, ne s’en émeuve. S’il est indéniable que les Gilets jaunes sont régulièrement infiltrés par des casseurs ultra-violents et déterminés, cela ne peut en rien justifier les victimes collatérales innocentes. (...) Notre organisation France Police – Policiers en colère, cinquième force syndicale du ministère de l’Intérieur vous avertit et vous met en garde sur les conséquences possiblement dramatiques de votre gestion de la sécurité de la Nation ».
Il n'y a pas d'armes non létales ! Les armes à létalité réduite ou sublétales ont été conçues pour entraîner la mise hors de combat de l’individu. C’est en quelque sorte l'équivalent du KO des adeptes des arts martiaux ou sports de combat, résultat plus difficile à obtenir qu’il n’y parait. Une octogénaire est décédée le 2 décembre 2018 à Marseille, en fermant les volets de son appartement situé au quatrième étage, atteinte par un élément d'une grenade lacrymogène projetée par un lanceur !
Le maintien de l’ordre a ses spécificités et sa doctrine, il s’agit de contraindre une population composée de civils réunis dans l’espace public à refluer en adaptant le niveau de la force requise à l'opération. La limite de la force nécessaire ? éviter de blesser gravement un manifestant. L'arme contondante est un objet à usage dual pour se défendre ou attaquer. Le bâton blanc des gardiens de la paix apparait avec la circulation au XIX° (Sous François I°, les pestiférés circulant dans les villes devaient porter un bâton blanc). Dans les années cinquante, les CRS et les compagnies de district sont dotées d'une matraque en bois, certaines possèdent un anneau de rupture. En 1966, le bâton blanc est remplacé par le Moyen Individuel de Défense, une matraque en caoutchouc dur.
Le MO prend un nouveau tournant après mai 1968. Le Bâton de Police à Poignée Latérale (tonfa) fait son apparition en 1985, suivi du Bâton Télescopique de Défense (port dissimulé) pour le personnel en civil de la BAC & BRI. Les armes contondantes sont désormais classées en catégorie D (nouvelle classification), port et transport interdit pour le citoyen. Le 6 décembre 1986, un étudiant de 22 ans décède par arrêt cardiaque après s'être fait matraquer par deux policiers du Peloton des Voltigeurs Motoportés, une unité créée en 1969. Un policier dirige la moto, son collègue à l'arrière armé d'un long bâton (bidule) de 1.10 m, « cueille » les individus qui croisent leur itinéraire. Des manifestants avaient envisagé de tendre des « câbles » et d'ôter les grilles et les plaques en fonte au sol pour « casser » les charges... Un ancien fonctionnaire de la PP a rapporté l'idée d'un manifestant de tendre un câble entre deux véhicules fonçant sur les CRS et GM pour les faucher !
Les années quatre-vingt-dix marquent un très net durcissement lors des manifestations contre le contrat d'insertion professionnelle (1994), l'année suivante, les pontes de la Préfecture de Paris ont envisagé l'usage de quads avant d'y renoncer (au XIX° siècle on envoyait la cavalerie). Les armes « non létales » font leur apparition : canon à eau - Flashball - Lanceur Balles de Défense - Dispositif Balistique de Défense (DBD 95) ou grenade de dés-encerclement qui projette 18 plots en caoutchouc semi rigide de 9 grammes à 126 km/h (énergie de 80 Joules), rayon d'efficacité d'une quinzaine de mètres. L'usage de la grenade offensive (OF 1F) a été interdit après le décès de Rémi Fraisse survenu le 25 octobre 2014.
L'évolution de la violence modifie les techniques du maintien de l'ordre et influe directement sur la tactique et les techniques policières. Les techniques de mises à distance sont privilégiées afin d'éviter le contact direct avec les manifestants, principalement les gaz lacrymogènes et l'usage du canon à eau qui peut être additionnée de gaz et/ou colorant pour « marquer » les individus... Les premières grenades suffocantes (éther bromacétique) ont été utilisées en 1913 pour déloger les anarchistes retranchés. De nouveaux gaz chimiques : chlore, dérivés arsenicaux (CN-chloracetophenone), adamsite (DM) furent expérimentés durant la première Guerre mondiale (CN et DM ne sont plus en dotation en MO). Les gaz peuvent être dispersés par un aérosol (gazeuse), par épandage, par une grenade à main, grenade projetée par un fusil lance-grenades (FLG), arme dérivée des lance-fusées, ou un lanceur qui permet de projeter une grenade (diamètre 40 ou 56 mm) jusqu'à 200 mètres de distance.
Le CS-CB, dix fois plus efficace que le CN, est un gaz irritant découvert en 1928 par Corson & Stoughton, et utilisé par l’armée américaine à partir de 1958. A l'état pur, il s'agit d'une poudre (orthochlorobenzalmalonitrile) qui doit être diluée dans un liquide afin de pouvoir être dispersés. Les incapacitants chimiques, lacrymogènes provoquent chez les individus normaux une incapacité provisoire réversible. Pour le CS : difficultés à respirer - toux réflexe - sensation d'oppression dans la poitrine - fermeture involontaire des yeux. Les effets peuvent être aggravés chez des enfants, les personnes âgées ou en mauvaise santé (notamment asthme). Si l’exposition est longue ou la concentration trop importante, cela peut entraîner des nausées et l’apparition de dermatites, vésication et d'un œdème. Une personne alcoolisée ou droguée peut présenter une résistance aux gaz, et une personne ayant été « gazée » à plusieurs reprises, ne dramatise plus, a développé une « accoutumance », et l'adrénaline lui permet de riposter.
Pour définir les effets lacrymogènes, on utilise 3 paramètres :
Le seuil d'irritation, % de la substance dans l'atmosphère qui cause l'irritation en 1 minute (CS 0,05 - 0,1 mg/m3)
Limite de tolérance : % de maximum dans l'atmosphère qu'un sujet peut tolérer pendant 1 minute (CS 1 - 5 mg/m3 ).
L’indice de létalité : valeur constante (% dans l'air par la durée d'exposition en minutes, qui entraîne la mort).(CS 40.000 à 75.000 mg/m3)
Le terme incapacitant est utilisé en raison du rapport entre la dose létale et la dose incapacitante. Une substance peut n'être non létale qu'en dessous d'un certain seuil. Le seuil de tolérance pour le CS est de 20 secondes à 16 mg/m3 - intolérable, 2 minutes à 6 mg/m3 - concentration mortelle, 10 minutes au-delà de 140 mg/m3. La concentration de CS varie selon le type de grenade, entre 7 à 20 %, et le volume délivré peut couvrir une aire de 1.000 m2.
Ce moyen a des limites : la direction du vent - le port de lunettes - la date de péremption (cristallisation) - l'exposition de l'aérosol au soleil (risque d'éclatement) - délais de mise en service (retard, pression sur la valve) - déplacement du nuage vers l'individu. Le CS se présente sous forme d'un gaz ou en gel (consistance de la mousse à raser). Le jet est plus directif et la substance colle sur le visage. L’épandage du CS dans un lieu clos (pièce, voiture) rend celui-ci inutilisable et oblige à une aération pendant plusieurs heures. Les Groupes d'intervention utilisent une formule qui prend en compte la nature du gaz utilisé et du volume de la pièce. Pour le CS, coefficient moléculaire de 0,71, on détermine la concentration létale (DL 50) selon la formule : (H x L x l / masse en grammes) x .71). Si la pièce mesure, par exemple 10 mètres x 10 x 10 et qu'on y injecte 25 grammes de CS, au bout de 28 minutes on court le risque de 50 % de décès.
Les grenades assourdissantes produisent un bruit de 160 décibels à 15 mètres (retard 2 secondes). Le bruit est tellement puissant qu'il peut entraîner la rupture des tympans (casque anti-bruit ou bouchons protecteurs recommandés).
La grenade flash fut utilisée pour la première fois lors du détournement de Mogadiscio. Le flash produit un éclair de 5 millions de Candelas (retard 1,5 seconde) qui « aveugle » pendant un bref instant (protection lunettes aux verres colorés). Utilisée dans une zone sombre, l'éclair détruit l'accommodation de la vision nocturne. L’efficacité est réduite en plein air par une belle journée ensoleillée.
Les grenades combinées utilisent plusieurs effets, la GLI F4 qui agit par effets : lacrymal, de souffle et sonore, renferme 25 grs de TNT, 10 grs de CS, et projette des particules de plastique ainsi que son bouchon allumeur ! La France est le seul pays européen à en autoriser l'emploi. Lors de la manifestation des GJ du 1° décembre 2018, 10.000 grenades, tous types confondus, ont été tirées à Paris !
Le Taser® apparu dans les années 1970 a été étudié pour neutraliser un individu dangereux à bord d’un avion afin d'éviter l'utilisation d'une arme à feu (risque de dépressurisation). La pression sur une languette active une petite charge propulsive, soit libère un réservoir d’azote comprimé projetant deux mini harpons à la vitesse de 50 m/sec, dévidant derrière eux un câble très fin acheminant une tension de 50,000 volts sous une intensité de 2 mA jusqu’à une distance d’une dizaine de mètres. La décharge électrique « bloque le système nerveux central, provoquant une paralysie musculaire de quelques secondes. (...) le choc délivré réduit les fonctions cognitives d'un individu pendant environ une heure. Le plus dangereux étant le risque de blessures à la tête suite à une chute, ce qui a entraîné plusieurs décès ». Un modèle permet une utilisation en mode « contact » après en avoir ôté la tête. Pour obtenir un résultat maximum, il faut appliquer les électrodes au niveau du cou, sur le bas de la cage thoracique ou sous les aisselles (transpiration). Il faut privilégier les muscles aux masses graisseuses (Lorsque le courant électrique atteint un synapse relié à un muscle, il entraîne la contraction du muscle, pouvant même conduire à des spasmes).
La dangerosité d’un courant électrique varie selon : la tension (voltage) - l’intensité (ampérage) - la nature du courant (continu, alternatif) - la résistance de la surface d’application (peau, vêtement) - la quantité d'énergie libérée (en joules) - la durée d’application. Il est extrêmement difficile de fixer un seuil létal tant les paramètres sont nombreux et la résistance électrique et physiologique de chaque être humain différente. Un jeune Britannique est mort d'une crise cardiaque (2013) deux heures après avoir été atteint d'un tir de Tazer : « la décharge électrique pendant 9 secondes lui avait été fatale ». Les armes électriques sont conçues pour ne pas entraîner de lésions pouvant être à l'origine d'une défaillance cardiaque. Celle-ci pourra cependant se produire chez une personne cardiaque ou porteuse d’un pacemaker. Attention ! ne jamais utiliser une arme électrique dans une ambiance de vapeurs inflammables ou explosives ni sur une personne ayant sur ses vêtements des parties imprégnées de liquide inflammable. Elle risquerait de se transformer en torche humaine.
Les armes en calibre 12 (fusil de chasse, canon-piège, arme de poing, canne) peuvent être utilisée avec des projectiles de caoutchouc, cartouche qui contient 19 balles de caoutchouc de 8 mm, et cartouche au projectile unique de 6 grammes pour un diamètre de 18 mm. L'arme de poing, type « Gom cogne », se présente en deux chambrages, cartouche de 12/50 qui projette la balle de caoutchouc de 4,5 grammes à 280 m/s, et la 12/70 qui atteint la vitesse de 330 m/s. La 12/50 développe encore 15 kgm (les ergoteurs pourront convertir en Joules) à une distance de 3-4 mètres, tandis que la 12/70 est donnée pour 10 mètres. Cette arme ne doit pas être utilisée en dessous d’une distance de 3 mètres, des cas de décès (hémorragie interne) ont été rapportés. Taser France a proposé en 2007, un projectile en calibre 12 pourvu de trois ailettes qui traverse les vêtements jusqu'à une épaisseur de 25 mm (vitesse 100 m/sec) avant de libérer six « épines » qui délivrent un arc électrique de 50.000 volts !
Lors des émeutes de 2005 à Clichy-sous-Bois (93), les BAC étaient équipées de flash ball ® (Verney Caron), une arme d'une soixantaine de centimètres tirant un projectile de 28 grammes pour un diamètre de 44 mm, distance pratique d'utilisation une dizaine de mètres. Cette arme jugée inadaptée au MO (la valeur jugée comme le minimum pour incapacité une personne correspond à 15 kgm) fut remplacée par des Lanceurs Balles de Défense (dispersion de quelques centimètres). Lors des manifestations du 8 décembre 2018 à Paris, un journaliste du Parisien a rapporté qu'un officier d'une CRS lui avait tiré, dans la nuque, un projectile de LBD 40 d'une distance de deux mètres, endommageant son casque de moto !
La FIN justifie-t-elle l'emploi in-discerné de ces moyens ? L'usage d'armes sublétales délivre le policier de la crainte d'ôter une vie et certains fonctionnaires immatures vivent cela presque comme un jeu de rôle ou une partie de Paint-ball. « Mais voilà que les trois policiers lancent des grenades comme on lance des confettis, l’un d’eux tellement à son excitation qu’il en fait tomber sa moto » (Lætitia Monsacré). A Toulouse, un policier en civil portait une cagoule représentant une tête de mort ; étrange qu'aucun politique féru en histoire « brune & noire » n'ait fait de lien...
L'année 2019 risque de connaître de nouveaux durcissements en matière de MO. A entendre certain(e)s personnalités politiques, la République serait confrontée à une insurrection, assimilant une partie de la population à un ennemi intérieur. Si cela était le cas, il y a belle lurette que fabricants, stocks, etc., de ces armes auraient été pris pour cibles... La tentation est grande, chez certains, à vouloir considérer les villes de la contestation comme Zones Urbaines Sensibles et les transformer en villes liges. Luc Ferry a une solution radicale : que les policiers « se servent de leurs armes une bonne fois ! L'ancien ministre de l'Éducation nationale semble ignorer que plus d'une cinquantaine de signalements a été transmise à l'IGPN pour usage abusif ou disproportionnée de la force publique, les mises en garde de syndicats de police adressées à leur autorité, et la vingtaine de plaintes déposées par des reporters : « estimant avoir été pris pour cible par les forces de l'ordre lors de récentes manifestations de gilets jaunes ».
Les effets redoutés de ces armes amènent les manifestant à vouloir s'en protéger (certains portent un gilet d'activités nautiques en mousse sous leurs vêtements). En privant les manifestants de protections : lunettes, casque, masque de travaux, sérum physiologique pour soigner les yeux atteints, et en confisquant les appareils des photo-reporters, l'État entend bien se réserver, sous le fallacieux prétexte de légitimité démocratique (« charcutage » électoral - absence de la proportionnelle, prise en compte des non votants (fraude) - vote Condorcet), le monopole de la répression violente dirigée contre la partie de sa population civile non acquise !
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