mercredi 24 octobre 2018 - par ZEN

Neurosciences en question

Les neurosciences sauveront-elles l'école ?
 

                 Après l'article stimulant de Clément Dousset sur la question il y a quelques jours, voici quelques éléments de réflexion de niveau plus modeste, qui s'inspire d'une ancienne pratique pas tout à fait oubliée, celle d'un ancien enseignant qui se désole de l'état dans lequel on a plongé le système scolaire, sous prétexte de modernité et d'adaptation au monde ambiant.

            La nomination de Stanislas Dehaene auprès du ministre de l'EN pose problème, surtout si ce nouveau venu, quelque intelligent qu'il soit et compétent dans son domaine propre, est appelé à jouer un rôle important.

 

   Comme si les neurosciences, disciplines intéressantes en soi, malgré ses immenses lacunes (la méconnaissance de la complexité du cerveau et de son fonctionnement reste encore abyssable) devaient devenir les auxiliaires majeurs du travail enseignant.

 

  Apprendre, grâce à ces études vagissantes, sortir des difficultés de l'école à l'aide de cette nouvelle approche, voilà un projet qui laisse songeur.

 

    Un vieux rêve scientiste refait surface. La conscience, l'apprentissage deviendraient objet de sciences rigoureuses et l'éducateur ne serait plus, à la limite, qu'une sorte d'ingénieur-formateur des esprits.

    Une néo-pédagogie dont s'inquiètent certains spécialistes des sciences de l'éducation, les mal nommées. Car l'éducation est tout sauf une science au sens strict, comme toute discipline qui relève de ce que l'on classe dans les sciences humaines. Elle est d'abord un savoir faire, qui s'apprend et se perfectionne, une pratique largement empirique et individualisée, au cas par cas, presque un artisanat. Même si elle peut être épaulée par des données venant de la psychologie, de la sociologie...

   Considérer les enfants comme des superordinateurs ferait sourire si on ne voyait pas là un fantasme droit issu de la Silicon Valley. On est en droit de faire des analogies, mais il y a une différence de nature entre le complexité vertigineuse du système neuronal et celle de l'ordinateur le plus élaboré, qui est fondamentalement un computer, produit de l'intelligence humaine. Un esprit humain ne fonctionne pas selon une logique binaire et ne peut se dissocier d'une vie affective, source de motivations, notamment pour des apprentissages multiformes et permanents.

   Vouloir donner la prééminence à l'aspect neuronal, dans l'esprit de l' Human brain project, c'est passer à côté de ce qui fait l'essentiel de la formation des jeunes esprits, qui n'est pas qu'intellectuelle, c'est négliger un certains nombre d'expériences faites pour donner ou redonner aux "apprenants", selon la langue de bois d'aujourd'hui, le goût de s'ouvrir sans limites assignables, aux connaissances et aux pratiques. Freinet, Montessori... et tant d'autres ont ouvert des voies nouvelles, largement redevables à l'intuition fine et à la pratique réfléchie
   Le projet de Dehaene, promu par Blanquer, n'est-il pas un feu de paille et une illusions manifeste, rue de Grenelle, qui n'est pas le Collège de France avec ses super-spécialistes ?

  La transposition d'un savoir pointu, mais en gestation, dans le domaine éducatif ne fera pas avancer d'un pouce le problème multicausal, historico-culturel, familial... qui est au coeur de la difficulté d'apprendre aujourd'hui, d'un rapport au savoir et à l'autorité qui a changé, sur lequel il serait long de s'étendre.

   Mais il est si commode de se référer à une science, surtout si on n'en connaît ni les limites, ni les défaillances. Le médias emboîtent le pas par mimétisme.

   Comme le signale à juste titre André Giordan, .. ; La crédibilité des neurosciences n’est pas assurée sur le plan de l’éducation, les preuves de leur efficacité sont souvent fragiles ou même absentes. Les arguments avancés reposent sur des études rarement corroborées sur le terrain et comportant nombre de biais conceptuels et méthodologiques.

Certaines pédagogies dites d'avant-garde, à effet de mode manifeste, risquent de décevoir, faute de revenir à quelques règles de bon sens essentielles, dont ne manquaient pas beaucoup de vieux hussards de la République.

   L'enfant est de nouveau au coeur d'une bataille, qui fait abstraction de certaines données essentielles, qui relèvent dans une large mesure de son éducation première, de son environnement. Apprendre, dès la prime enfance, est sans doute l' un des actes les plus mystérieux qui soit.

   Une éducation hors-sol serait-elle en train de naître, qui semble ne pas connaître grand chose de l'enfant et de la complexité de l'acte d'apprendre, qui ne relèvera jamais du domaine des sciences dures. La pédagogie ne peut être une science appliquée.

   Oui à la pédagogie éclairée, qui a toujours besoin de se repenser. Non aux oukazes de certains scientifiques de laboratoires et à certaines de leur prétentions irréalistes et dogmatiques.

    La pédagogie est une pratique trop sérieuse pour être laissée aux spécialistes auto-proclamés.



11 réactions


  • Nicolas_M bibou1324 24 octobre 2018 10:36

    Vous avez lu les liens que vous citez ? Je cite Stanislas Dehaene :


    « La psychologie est au centre des questions d’éducation, pas les neurosciences. »

    « Ce ne sont pas tellement les outils des neurosciences qui vont servir les méthodes éducatives »

    Quelques journaux font des titres racoleurs en tirant quelques mots de leur contexte, rien d’inhabituel. Aujourd’hui, grâce à la neuroscience, on sait par exemple que bien dormir et grandir dans un environnement sans trop de stress favorisent l’apprentissage. La neuroscience ne dit rien de plus : il ne s’agit pas de mettre plein d’électrodes sur nos enfants pour les dresser. Il s’agit d’étudier le fonctionnement du cerveau pour déterminer les conditions idéales d’apprentissage et ensuite prendre les mesures éducatives les plus adaptées aux enfants.

    Je ne vois pas où est la polémique ici.

    • ZEN ZEN 24 octobre 2018 10:47

      @bibou1324

      En dehors de ces remarques de bon sens, les neurosciences ont d’autres prétentions, qui confinent à l’utopie périlleuse parfois. Notamment, celles qui sont importées de l’univers anglo-saxon, entichéesde psychologie comportementaliste.
      Il n’est pas question d’électrodes implantées
      Je dénonce moi aussi les déformations et dérives journalistiques.
      Dehaene sera ce soir l’invité de l’émission littéraire sur France 5.

    • velosolex velosolex 24 octobre 2018 13:37

      @bibou1324
      Effectivement, les neurosciences n’ont d’autres prétentions que de voir comment fonctionne au mieux le cerveau, à travers une visualisation fine des interactions. Stanislas Dehaene, ce matin sur inter pointait justement les mérites de l’école Montessori, et disant que l’usage du violon développait tout autant les synapses que des logiciels d’apprentissage. Les sciences cognitives n’ont rien de sectaire, et établissent une sorte d’état des lieux, une expertise utile dans un domaine où justement les doctrinaires régissaient, tel Piaget. 

      Leur grand mérite est d’avoir montré que les interactions, les émotions, le soin, les échanges, la patience la bienveillance sont des acteurs de premier ordre dans l’apprentissage. Certains s’en doutaient un peu à vrai dire, mais ne rencontraient que mépris auprès d’autres, infatués de leurs certitudes, et de leurs expériences, pour ne pas dire arthrose.

    • JC_Lavau JC_Lavau 24 octobre 2018 13:41

      @velosolex. « doctrinaire, Piaget » ?


  • gaijin gaijin 24 octobre 2018 10:37
    la question de l’école exige de poser les questions de l’humain et du sens ....
    deux choses que notre société est incapable de faire
    par exemple pourquoi continuer cette manie prussienne de faire avancer les enfant par tranches d’âge ?
    un système de cours par niveau serait infiniment plus efficace .....

  • velosolex velosolex 24 octobre 2018 13:48
    Voici quelques temps que les sciences cognitives ont montré que le développement neuronal du cerveau d’un enfant de six ans, est incompatible avec la méthode globale. 

    Un système qui peut créer de vrais dommages, et que certains enseignants continuent à décliner, sous de multiples euphémismes ( semi globale, etc...) malgré les recommandations du ministère, car ils gardent le choix de leur méthode d’apprentissage. Ce qui aboutit à développer par rebond moultes cabinets d’orthophonistes, notre pays établissant à ce sujet une sorte de record. Pourtant les troubles s’y rapportant sont liés davantage à la dysorthographie. 

    Méthode globale : incompatible avec notre cerveau ? - France Culture

  •  C BARRATIER C BARRATIER 24 octobre 2018 20:29

    Bon article, ce sera utile de mieux connaitre le fonctionnement d’un cerveau, ce qui ne signifie pas que les autres fonctionnent de même.
    BMANQUER tounne autour du pot et ne s’en prend pas à l’essentiel

    Ecole,projets reforme Blanquer examen critique http://chessy2008.free.fr/news/news.php?id=296

  • Vudenbas 24 octobre 2018 22:56
    Au cours de mes pérégrinations sur le net, un commentaire sur un blog a pointé vers ceci :


    En fait ce sont les parents qui réduisent à néant si je comprends bien, tous les efforts de nos pédagogues, quel qu’ils soient. Nos enfants ont des monstres pour parents.

    • chantecler chantecler 25 octobre 2018 07:10

      @Vudenbas

      Ben voilà une idée qu’elle est bonne : déclarer la violence illégale , écrit noir sur blanc .
      C’est sûr qu’une loi , des décrets vont tout arranger ....
      Le souci c’est que la violence est partout et croissante (plus on avance plus nos sociétés semblent violentes et cette violence est de plus en plus polymorphe). :
      Le néolibéralisme , avec son individualisme ,ses déréglementations ,son culte du« que le meilleur gagne » (sans préciser ce qu’est le meilleur, mais apparemment les plus givrés , antisociaux ,accapareurs en font partie .)
      La société sous-jacente .
      Les institutions .
      La famille .
      L’école . (évidemment chacun sait que pour devenir enseignant il faut au départ une grande perversité ).
      L’élève : chacun sait que l’enfant , l’élève sont naturellement bon .
      à Zen :
      Bien d’accord avec toi .
      Les neurosciences sont la nouvelle martingale, le nouvel eldorado .
      Ca vaut le coup de financer exclusivement ses recherches .
      Quand les neurosciences disent que le sommeil est réparateur, indispensable c’est révolutionnaire non ?

  • ZEN ZEN 25 octobre 2018 09:44

    Quand les neurosciences disent que le sommeil est réparateur, indispensable c’est révolutionnaire non ?

    Oui, mais il faut être chercheur au Collège de France pour oser avancer cette thèse révolutionnaire. smiley
    Au secours Molière !

  • Krokodilo Krokodilo 25 octobre 2018 16:05

    Bonjour Zen, d’accord aussi. Justement il y a 2 jours sur France-culture, un chercheur de ce domaine (j’ai oublié son nom) présentait le thème et un livre, mais je dois dire qu’il reconnaissait bien volontiers que ces « sciences » n’en étaient qu’aux balbutiements. Et donc on peut déduire qu’elles ont fort peu d’applications pratiques, peu de choses qui puissent s’enseigner comme méthode. Et perso, ce qui m’agace aussi c’est quand on les interroge sur les langues étrangères, ils se basent sur une espèce d’âge limite en-dessus duquel on ne pourra avoir le même niveau que des natifs(vers 6 à 8 ans), justifiant ainsi l’anglais imposé à tous dès 6 ans et les films en VO ! Sans aucun débat sur la légitimité de l’anglais, ni sur les contre-exemples (j’en connais) de gens ayant un meilleur niveau des bien des Français, alors même qu’ils confirment que la fameuse plasticité cérébrale est grande jusqu’à la fin de l’adolescence ;


Réagir