Peuple, réveille-toi ! à la télé on s’étripe en ton nom
" Nous en sommes venus au temps où l'humanité ne peut plus vivre avec, dans sa cave, le cadavre d'un peuple assassiné " - Il y a un siècle...Jean Jaurès.
Il y a une semaine, les chiens de garde de la "bonne pensée" de notre chère dictature light néo-libérale se sont acharnés sur les derniers écrits de Michel Onfray, philosophe qui se réclame de la gauche radicale et anti-libérale et que l'on accuse de faire le jeu du Front National en se faisant le défenseur de "ce peuple qui n’a pas de pouvoir mais sur lesquels le pouvoir s’exerce".
Michel Onfray "filerait un mauvais coton "d'après le journal Libération, il jouerait avec le feu en réhabilitant un peuple " old school" qui aujourd'hui serait séduit par les propos de Marine Le Pen.
Michel Onfray a commis ces lignes :
"C’est à ce peuple que parle Marine Le Pen. Je lui en veux moins à elle qu’à ceux qui la rendent possible. Ce peuple old school se voit marginalisé alors que les marges deviennent le souci français prioritaire, avec grandes messes cathodiques de fraternités avec les populations étrangères accueillies devant les caméras du 20 heures. Si ce peuple pense mal, c’est parce que nombreux sont ceux qui l’aident à mal penser. Qu’un paysan en faillite, un chômeur de longue durée, un jeune surdiplômé sans emploi, une mère seule au foyer, une caissière smicarde, un ancien avec une retraite de misère, un artisan au bord du dépôt de bilan disent : « et qu’est-ce qu’on fait pour moi pendant ce temps-là ? », je n’y vois rien d’obscène. Ni de xénophobe. Juste une souffrance. La République n’a pas à faire la sourde oreille à la souffrance des siens."
Qu'en est-il donc de ce petit peuple de France pris en otage par le Front National et que Michel Onfray prétend défendre ? Et où serait donc passé ce " peuple de gauche " acteur principal de notre grande et riche histoire sociale ?
Le prolétariat, le mouvement ouvrier, ce peuple des campagnes comme celui des quartiers populaires a disparu, satellisé, désintégré dans une mondialisation sans retour. Comme le précise Michel Onfray à l'émission d'ONPC du samedi soir, le prolétariat c'est aujourd'hui aussi bien l'étudiante qui se prostitue que le livreur de pizza qui est encore sur son scooter à onze heures du soir. Le problème est que ces deux là ne font plus peuple et ont peu de chance de se rencontrer si ce n'est que furtivement. Dans ce monde où tout est marchandise il n'y a plus place à la connivence et au partage, à ce sentiment d'appartenance à un groupe ou à une classe sociale. Au fil du temps l'individu a été réduit à l'unique condition "d'unité de consommation " que l'on sonde régulièrement pour mieux le gaver ensuite, condamné qu'il est à la seule réussite qui compte : la réussite financière suffisante pour participer au " grand marché".
Il y a longtemps que la gauche dite de gouvernement ne s'adresse plus à la classe sociale qui l'a portée au pouvoir. A la défense de la classe ouvrière et de tous les victimes du capitalisme total on a substitué la défense des minorités en tout genre, pour que chacun, quel que soit son genre, sa couleur de peau ou sa religion, puisse prétendre participer pleinement à la vie économique de la cité. Face au déferlement dans tous les domaines de la doctrine libérale, la gauche progressiste a rendu les armes en refusant de prendre à bras le corps la lutte contre les inégalités sociales pour ne s'occuper que de la lutte contre les discriminations en tout genre, raciales ou sexuelles. Face à une droite réactionnaire, elle est devenue le chantre de la liberté des moeurs et de la liberté individuelle. En s'occupant du volet culturel du libéralisme, cette gauche à la Jack Lang et DSK, avec Macron en guest star, parachève depuis trente ans le travail de la droite libérale qui a toujours des difficultés à rompre avec son vieil électorat paternaliste, perclus de principes moraux qualifiés d'obsolètes. Être de gauche aujourd'hui se réduit trop souvent à se mobiliser en toutes circonstances pour défendre ce droit libéral de chaque individu isolé à choisir de vivre sa vie comme il l'entend, sans se préoccuper du fait qu'une grande majorité de la population n'a pas les conditions matérielles élémentaires de vivre pleinement cette liberté. En cassant peu à peu tous les liens de solidarité élémentaires entre les individus, en réduisant le périmètre de la protection sociale, la philosophie libérale a désarmé la grande masse de ceux qui ne peuvent compter que sur cette solidarité du collectif pour exister face au rouleau compresseur de l' économie mondialisée qui impose le marché et ses centres commerciaux réels ou virtuels comme seuls instances de socialisation. Suivant le dogme libéral, dans ce nouveau monde "libéré" de tout principe philosophique ou moral, chacun doit pouvoir "vivre comme il l'entend" sous la houlette d'un Etat uniquement soucieux d'administrer harmonieusement les choses et de dire le droit. Mais "La privatisation de la morale est une indication de l'effondrement de la communauté." avertit C. Lasch dans "La révolte des élites et la trahison de la démocratie "- page 116.
Sous la pression des médias chacun est condamné à réussir mais les conditions économiques et sociales imposées à la grande masse des citoyens ne les autorisent pas à "vivre comme ils l'entendent" ; les frustrations sont énormes. C'est un peuple anéanti, trahi par cette gauche bien pensante, dite "progressiste", gauche qui a vendu son âme au grand marché et a laissé les classes sociales les plus fragiles de la communauté nationale se dépatouiller dans une cohabitation contrainte avec tous les particularismes et singularités en tout genre. Ainsi le peuple de gauche "sympathique, fraternel combatif et progressiste" a explosé en vol avec la montée des inégalités et la marginalisation croissante d'une part de plus en plus grande de la population. Il s'est transformé peu à peu en une horde d'invisibles et de silencieux, égoïstes et frustrés, reclus dans de lointaines banlieues. Peureux face à l'avenir, étranger dans son propre voisinage, livré à lui-même dans "une guerre de tous contre tous", il n'est plus capable de se manifester que par de violentes jacqueries sans lendemain. Et, comble de l'horreur, par dépit, il est prêt à confier son sort à un parti d'extrême droite qui dresse les travailleurs les uns contre les autres et ne manquera pas demain de les trahir à son tour.
Face à cette "bête immonde" qu'elle a contribué à créer, la gauche gouvernementale et ses relais médiatiques, drapés des vertus du progressisme et du multiculturalisme, au lieu de se remettre en cause en tirant le bilan de trente années de cohabitation avec le capitalisme mondialisé, ne trouvent rien de mieux que de fustiger tous ces gens qui "refusent les réformes"et qui, devant un horizon fermé, dans un repli nationaliste, souverainiste, manquent aussi de bonne volonté dans le "partage des richesses" avec tous ceux, venus d'ailleurs, que les inégalités et les guerres causées par le propre système libéral ont jeté sur les routes et les mers du monde pour venir alimenter un marché de la main d'oeuvre de plus plus dérégulé. On n'hésite pas à mettre à l'index, comme au temps de l'Inquisition, ceux et celles qui osent se mettre du côté de ces gens qui refuseraient ce progrès et ces réformes ainsi que d'ouvrir le pays aux étrangers, parce qu'ils n'auraient pas su, d'une manière ou d'une autre s'adapter, aux nouvelles conditions du "monde moderne". Contrairement au peuple de gauche fantasmé, avec ses conquêtes historiques que l'on s'ingénie à détricoter, ces hordes et leurs manifestations, selon ces accusateurs, ne peuvent conduire qu'à la régression. Être de leur côté c'est être inévitablement du côté de la réaction. Libération titre logiquement à propos d'Onfray : " Le « souverainisme de gauche » dont se réclame le philosophe finit toujours par dériver pour devenir une machine de guerre, non contre la droite mais contre la gauche."
( Voir aussi l'article de Laurent Bouvet dans Le Monde " non au bûcher médiatique").
"La gauche institutionnelle s’inquiète parce qu’elle a compris qu’elle allait se trouver aux prises avec une gauche nouvelle, apparue avec des auteurs comme Onfray, Jean-Claude Michéa, Jean-Pierre Le Goff, ou Laurent Bouvet. Un gauche qui, comme Orwell, se dit prête à bazarder les appareils politiques au profit de la proclamation de la vérité. Une gauche, qui n’est pas prête à sacrifier la laïcité, ni la libre circulation des femmes dans l’espace public aux toquades de la mode « multiculti ». Une gauche qui, pour l’instant, ne dispose pas de relais politique identifiable. Mais dire qu’elle « fait le jeu du FN » relève de la basse calomnie." souligne, très optimiste à mon goût, Brice Couturier sur France Culture ( lien ).
Parallèlement cette gauche "libérale et de progrès", à force de s'acoquiner avec tous les acteurs du libéralisme économique a perdu, comme la droite libérale et affairiste, sa vertu initiale et a sombré dans l'imposture, la trahison et la corruption. Elle est aujourd'hui totalement disqualifiée pour prétendre être porteuse d'un projet de sortie de ce capitalisme totalitaire.
Mais se démarquer de cette gauche compromise, par une radicalité du discours, ne suffit pas tant que les victimes du modèle libéral seront condamnés à être les spectateurs de joutes oratoires télévisuelles et tant que les électeurs ne seront séduits que par la gouaille d'un Bepe Grillo, comme en Italie, ou les bons mots d'un Michel Onfray ou d'un Jean Luc Mélenchon en France.
Malheureusement, il ne suffit pas non plus d'un beau programme ni d'une victoire électorale pour affronter la mécanique libérale. L'expérience douloureuse de Syriza en Grèce le montre. On sait aussi depuis 2005 qu'il ne suffit pas de dire non avec un bulletin de vote pour faire plier des instances dirigeantes. Des élus, sans la mobilisation active des électeurs, ne peuvent rien et sont vite obligés de ranger leur promesses dans leurs poches.
La critique radicale sur tous ses aspects du libéralisme et l'élaboration d'un programme politique qui va avec est nécessaire. Il faut démonter le dangereux programme du Front National tout en refusant la diabolisation de ses électeurs par une gauche bien pensante. Il faut pouvoir redonner espoir, réactiver les énergies, et conduire à la mobilisation patiente autour d'objectifs fédérateurs et réalistes de tous les perdants et les victimes de cette marchandisation du monde, qu'ils votent à droite, à gauche ou qu'ils s'abstiennent et quelles que soient leurs particularités. Il faut en terminer avec cette "guerre culturelle" où la mise en avant d'une identité prime sur les intérêts communs de classe. ( 1) Patiemment il faut trouver les mots capables de parler à tous les laissés pour compte et les victimes de ce marché mondialisé. Il faut retisser les liens de la solidarité, faire vivre une nouvelle culture sociale pour peu à peu se donner les moyens de pouvoir imposer un réel rapport de force dans un long combat pour l'émergence d'une société plus fraternelle et solidaire, respectueuses des personnes et des ressources de la Terre. Cette transformation radicale ne pourra pas malheureusement voir le jour sans l'engagement total de ceux qui n'ont plus grand chose à perdre pour imposer un autre modèle de société aux éternels gagnants du libéralisme.
Le chantier est immense pour que le combat social quitte les studios des médias dont il est l'otage pour réinvestir la rue. Malheureusement les forces politiques capables de relever ce défi manquent dramatiquement à l'appel et le petit peuple risque fort d'être condamné à être encore longtemps le spectateur de sa propre agonie.
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( 1) A lire :
- " L'insécurité culturelle" Laurent Bouvet - Fayard 2015.
- " Les Mystères de la gauche - de l'idéal des lumières au triomphe du capitalisme absolu" Jean-Claude Michéa - Editions Flammarion Climats 2013.
- " La révolte des élites et la trahison de la démocratie " Christopher Lasch - Editions Flammarion Champs Essais 2008.