Pierre Laval incarné par Patrick Chesnais : une excellente surprise
Le téléfilm est passé sur France 3 en ce début de mois de novembre 2021. Réalisé par Laurent Heynemann, Laval le collaborateur est un biopic qui évite les poncifs et les leçons de morale. Je vous l'avoue, je comptais passer ma soirée dans ma maison de campagne autrement que devant la TNT, et les oeuvres sur la deuxième guerre mondiale produites en France me sidérent par leur sottise politiquement correcte. Le méchant Pétain, souvent incarné par des guignols grimés d'une moustache réglementaire sans ressemblance physique, l'affreux Laval, les horribles collabos, les bisounours de la résistance, les libérateurs communistes, le tout sans réalisme ni mise en perspective, cela donne des navets comme le film sur la rafle du vel'd'hiv, entre autres.
Donc, j'ai mis mes préjugés de côté pour me laisser porter par cette excellente fiction où Patrick Chesnais crève l'écran par son talent et la justesse de son interprétation du ministre maudit de Vichy. Dans la lignée du Bunker où Bruno Ganz campait un Hitler déprimé et psychotique, Chesnais nous présente un Laval dépassé par les évènements, maladroit, à côté de la plaque et prisonnier de sa logique. Homme de gauche, ex-maire d'Aubervilliers, avocat des syndicalistes ouvriers de la banlieue nord, il appuie en 1940 les pleins pouvoirs donnés au maréchal Pétain par l'assemblée issue du front populaire.
Laval sera en conflit permanent avec Pétain, notamment sur le statut des juifs. Sa fuite en avant dans la collaboration avec les nazis, la création de la milice, ses relations cordiales avec Otto Abetz (extrait ci-dessous), tout est rappelé. On voit aussi un homme soucieux du petit personnel, perplexe sur le sort des déportés, attentionné envers son entourage. Ce n'est pas un monstre, mais un homme fourvoyé par la tournure des évènements.
La partie sur le procès est la plus prenante. Les avocats gaullistes de Laval refusent de sièger, dénoncent une procédure expéditive, inégale et illégale, dont l'issue est jouée d'avance. Les insultes fusent durant l'audience. L'homme de Pétain doit payer pour l'ensemble de son oeuvre, et finira fatalement fusillé en criant "vive la France !" face à ses bourreaux.
Le réalisateur mentionne l'hypocrisie du procès : un procureur adoubé par le régime de Vichy et toujours en poste, les tentatives d'explication de Laval repoussées par des cris et des insultes, l'exécution de Mandel dont il se dédoine. L'accusé finira par quitter la salle d'audience en envoyant balader ses juges, montrant ainsi une attitude courageuse face à l'inévitable.
Ce n'est pas un ignoble assassin que nous montre le réalisateur, mais un homme dévoyé et dépassé par le cours de l'histoire. Une grande nouveauté dans le très conformiste cinéma français, tout n'est pas noir ou rose. Un homme peut se montrer courageux à un moment de sa vie, puis lâche et servile à un autre : toute la destinée d'un Pierre Laval.
Il y a quelques années, j'ai parcouru le bouquin édité à partir des notes de Laval en prison. Laval parle tentait d'expliquer les raisons des mesures prises contre les juifs, les franc-maçons et les communistes, avec une logique qui revenait : l'auteur pensait la victoire des nazis acquise, et il voulait composer pour éviter le pire. A partir de 1942, il n'y avait plus de retour en arrière possible.
N'hésitez-pas à vous procurer en DVD ou en téléchargement cette fiction par ailleurs agréable à visionner : tournage en extérieur, atmosphère de l'époque bien reconstituée, acteurs très bons avec pour une fois un Pétain réaliste (une première depuis la prestation de Jacques Dufilho). Du cinéma pédagogique et réaliste. Pour une fois que France télévision nous propose autre chose que du moralisme convenu...
Extrait du téléfilm :