Protection rapprochée : « tu vas en prendre plein la gueule »
Mardi 8 juin 2021, le Président Emmanuel Macron quitte le lycée hôtelier de la commune de Tain-l’Hermitage (Drôme) vers 13h15 et s'apprête à remonter dans le véhicule présidentiel. Acclamé par des personnes, il se décide d'aller serrer quelques mains. Un jeune homme présent au premier rang semble lui saisir le bras droit (l'homme est donc droitier, genre de détail qui a son importance en protection) et de crier : « Montjoie Saint-Denis (cri de ralliement lors de la bataille de Bouvine), à bas la Macronie ! » avant de gifler le Président et se retrouver plaqué au sol par les officiers de sécurité.
A l'issue de sa garde-à-vue, l'auteur fut jugé en comparution immédiate et condamné à 18 mois de prison dont quatre ferme, peine assortie d'un sursis probatoire de deux ans, d'une obligation de formation, d'un suivi psychologique, privé de tous droits civiques pendant trois ans avec interdiction d'exercer la moindre fonction publique, et incarcéré à la prison de Valence. Dans son réquisitoire, le parquet a estimé que : « ce geste n'était pas qu'une volonté de frapper, mais de l'humiliation. Il a traité son interlocuteur comme un enfant à qui on voudrait mettre une claque ». Christian Prouteau a écrit à propos du Président François Mitterrand : « Pour lui, perdre la face était pire que perdre la vie. Il ne craignait pas de recevoir une balle. Mais une tomate ou un œuf pourri, il ne l’aurait pas supporté ».
Le jeune homme de 28 ans n’a pas renié son geste, d'expliquer aux enquêteurs avoir « envisagé de lancer un œuf ou une tarte à la crème » sur Emmanuel Macron, mais : « Quand j’ai vu son regard sympathique et menteur qui voulait faire de moi un électeur, j’étais rempli de dégoût. (...) L’acte est regrettable, mais je n’ai aucunement envisagé de le commettre. (...) Macron représente très bien la déchéance de notre pays. La colère a pris le dessus. Je pense que ma réaction était un petit peu impulsive, mais que mes paroles ont eu un impact pour Macron, tous les Gilets jaunes, et les patriotes ». Son ami lui aussi présent, de préciser sur RMC : « Il y a beaucoup de Français à sa place qui auraient voulu faire pareil ».
Cet épisode a autant choqué qu'amusé. Isabelle Balkany : « J’ai mal à ma France… Parce qu’un Français gifle le Président, parce que le Président est confronté brutalement à la réalité de l’exaspération citoyenne ! Bon, après, il s’agissait d’une « déambulation » à Tain sur le thème de la gastronomie française… Normal de célébrer la si réputée tarte Tatin ! Ok, je m’en vais… ». Pour Éric Zemmour : « Il a ce qu’il mérite si j’ose dire. (...) C’est horrible à dire, et je condamne cet acte, comprenez ce que je veux dire. Mais il a ce qu’il a provoqué ». Pour Jean Messiha : « Emmanuel Macron a voulu un système de président tactile, à faire des selfies… donc quand on est un président totalement ouvert, on ne peut pas être ouvert qu’au positif ». Emmanuel Macro avait déjà essuyé le « baptême du feu ». Le 6 juillet 2016, alors ministre de l’Économie et des Finances, il avait reçu un œuf en plein face lors de la mise en circulation d'un timbre commémorant l'anniversaire du Front Populaire. Le 1 mars 2017, rebelote au Salon International de l'agriculture Porte de Versailles pour le candidat à l'élection présidentielle.
Le coup de pied au cul va-t-il devenir l'« électrochoc du pauvre » ? Tout peut être prétexte à un accroissement des risques et venir remettre en cause les mesures de sécurité. Les différents verbaux qui représentent la majorité des incidents, sont susceptibles de dérapages et de constituer une menace réelle. Dans les années quatre-vingts, la ministre de l'Agriculture, Édith Cresson, s'était retrouvée encerclée et bousculée par des paysans mécontents, au point qu'elle dût quitter la zone à bord d'un hélicoptère...
La protection repose sur une série de cercles concentriques échelonnés dans la profondeur et adaptés à la nature de la menace. Le bain de foule appartient à celui de la protection immédiate. Sur la vidéo diffusée sur les réseaux sociaux, on aperçoit un officier de sécurité placé sur le côté droit du Président et un autre couvrant le secteur arrière ; le « fringant » Président a distancé les fonctionnaires en se précipitant à la rencontre des personnes présentes, et sans respecter les fameux gestes barrières... Tout garde du corps est sensibilisé à ce genre d'attaque et à ses variantes..., il apprend lors de son instruction a repérer des indices comportementaux suspects ou incongrus et le mouvement de « la Fenêtre ». Un officier placé à droite, l'autre à gauche (épaulettes) de la personnalité (ils l'encadrent) ; si un quidam saisi la personnalité, le mieux placé lui assène une « frappe » pour lui faire lâcher prise et s'interpose afin de réduire tout risque de contact (l'« idéal » restant la riposte concomitante), l'autre officier d'évacuer la personnalité et la mettre à couvert (la mise en sûreté prime sur l'arrestation).
Vendredi 11 mai 2021, le député de Loire-Atlantique, François de Rugy assis à la terrasse d'un café en compagnie de ses colistiers place du Bouffay, dans le centre de Nantes, est enfariné par une jeune femme qui lui hurle « rend les homards » ! Le lendemain, à 14 heures, Jean-Luc Mélenchon est enfariné lors de la marche contre l'extrême droite, à Paris. Selon le patron de la France insoumise : « Un acte "lâche" qui "aurait pu être pire ». Au mois d'avril 2018, le député Eric Cocquerel avait été entarté par des royalistes qui lui repprochaient son soutien à l'occupation de la Basilique Saint-Denis par des migrants.
Décembre 2016, Manuel Valls candidat à la primaire organisée par le PS est enfariné à Strasbourg par un homme, aux cris de : « 49.3 on n'oublie pas ! ». Le 6 avril 2012, toujours à Strasbourg, alors que François Fillon s'avance vers la tribune pour prononcer un discours, un jeune homme d'une trentaine d'années portant un t-shirt : « Les étudiants avec Fillon », déverse sur le candidat un paquet rempli de poudre blanche (ce n'était pas de l'antrax). Le 1 février 2012, François Hollande député et candidat à l'élection présidentielle se fait enfariner par une femme de 45 ans « mal logée », durant un colloque de la Fondation Abbé Pierre Porte de Versailles.
Jeudi 30 juin 2011, les fonctionnaires en charge de la sécurité du Président Nicolas Sarkozy entendent dans leur oreillette « Véga bousculé ! Véga bousculé ! » (nom de code attribué au président). Nicolas Sarkozy est venu à Brax (Lot-et-Garonne) pour assister à une assemblée générale des maires du département. Le président serre les mains de personnes contenues derrière les barrières de sécurité (barrièrage simple), lorsqu'un l'homme qui fait mine de vouloir lui tendre la main, l'agrippe par le col ! le tirant à lui pour le déséquilibrer avec la volonté de lui asséner un coup de poing... Le Président Nicolas Sarkozy, son équilibre recouvré et remis de la surprise, de poursuivre son « bain de foule ». L'individu, manutentionnaire au conservatoire municipal d'Agen et inconnu des services de police, se présentait, sur le site Copains d'Avant, comme un « glandeur de la fonction publique ». Placé en garde à vue, il déclara aux enquêteurs qu'il aurait voulu interpeller Nicolas Sarkozy sur l'intervention de troupes armées françaises en Libye après avoir lu « De la servitude moderne » de Jean-François Brient ; d'en citer : « mon optimisme est basé sur la certitude que cette civilisation va s'effondrer. Mon pessimisme sur tout ce qu'elle fait pour nous entraîner dans sa chute ». Si l’Élysée avait fait savoir qu'il ne déposait pas plainte, le Ministère public décidait de le poursuivre pour « violences sur personne dépositaire de l'autorité publique ». « En vous en prenant au Président de la République, c'est un tabou qui a été brisé, celui de l'intégrité physique de celui qui est la clé de voûte des institutions. (...) La base de la démocratie, c'est le respect et l'absence de violence physique, c'est un enjeu démocratique que vous avez mis en péril », de requérir une peine de trois mois ferme. Le Tribunal a condamné l'agent municipal à six mois de prison avec sursis, condamnation assortie d'une obligation de soins en milieu hospitalier et d'un stage de citoyenneté de deux jours (a-t-il conservé son emploi ?).
Le 9 avril 2011, la ministre Nadine Morano, accompagnée d'un officier de sécurité, effectue des courses avec sa fille de 14 ans dans une boutique de vêtements Kookaï sise au magasin du Printemps dans la ville de Nancy. Une vendeuse, aurait crié : « Il y a Nadine Morano dans le magasin, si quelqu'un veut aller lui casser la gueule ». Le lundi 30 mai, la vendeuse affirmait avoir été licenciée, de préciser : « J'étais avec deux collègues, et nous avons trouvé que la présence d'un garde du corps avec Mme Morano était exagérée. (...) L'un de mes collègues, de constitution frêle, a plaisanté en affirmant qu'il pouvait mettre le garde du corps par terre en deux minutes. Je lui ai dit que pour cela, il n'y avait qu'une seule solution : qu'il fallait casser la gueule à Mme Morano ».
Pendant la campagne présidentielle de 2007, la candidate Ségolène Royal a subi des attouchements... Des mains anonymes s'égaraient sur les fesses et la poitrine de la candidate jugée par certains, accorte. Le 16 juin 2006, un étudiant proche de la mouvance anarchiste lui avait jeté au visage une tarte aux fraises nappée de chantilly alors qu'elle se rendait à un meeting à La Rochelle. L'agresseur de justifier son « acte symbolique et humoristique » par la volonté : « d'avoir une emprise sur la politique spectaculaire »... Face à un attentat pâtissier, l’arme n’est d’aucune utilité, c’est d’un parapluie et d’une lingette dont l’agent de protection a le plus besoin. Ce genre d'action n'est pas une nouveauté, la saga a commencé le 11 novembre 1969 avec l’entartage de Marguerite Duras.
Le 13 avril 2002, François Bayrou, le candidat UDF à la présidentielle, était « entarté » par quatre jeunes, à Rennes. Le 17, le Premier ministre-candidat Lionel Jospin était aspergé de ketchup par deux adolescents alors qu'il remontait l'allée centrale du Parc des expositions de Rennes (Le service de sécurité avait heureusement prévu un costume de rechange). Au mois de mars, Noël Godin, 71 ans, agitateur anarcho-déjanté belge, entartait l’ancien ministre Jean-Pierre Chevènement venu au Salon du Livre, pour protester contre la loi relative au séjour des étrangers en France. Suite à la plainte de J.-P. Chevènement, le « Maître artisan de l’attentat pâtissier » a fait l’objet d’une condamnation pour violence par nature. Le même mois, Jacques Chirac en déplacement sur le thème de la sécurité était la cible de crachats aux cris de « Chirac voleur » (affaire des marchés publics d'Ile-de-France).
Bien entarter ne saurait souffrir la moindre improvisation, et Noël Godin de délivrer ses recommandations : « Premièrement, il ne faut pas lancer sportivement sa tarte, car on peut rater sa cible. Il faut déposer la tarte sur la figure de votre victime. Ne pas oublier le cri de guerre « Gloup-gloup ! ». Attention, sans images, un entartage n’existe pas. [...] Avec un certain budget, les coups les plus impossibles sont réalisables. [...] Avec au minimum un bras frappeur, un(e) photographe et un(e) vidéaste. Et puis, pour bien faire, un(e) auxiliaire dissimulant la tarte, une maquilleuse costumière, si besoin est, des guetteurs, des protecteurs et des tueurs à gags de rechange ».
En 2001, le trublion belge présentait la tartapulte. « Désormais, pour déjouer les protections policières, nous avons fourbi une arme secrète. C’est la catapulte de tartes géantes, conçue par José Bové lui-même et réalisée par le Théâtre royal de Nantes. Elle est munie d’un bras télescopique et peut déclencher un tir de précision de 35 m. Deux très grandes tartes à la crème partent à la fois. La tartapulte a déjà été expérimentée au Festival de la bande dessinée d’Angoulême ». Les non-bricoleurs peuvent acquérir un « mortier lance-bombes à eau » pour une trentaine d’euros et de remplacer l’eau par de la peinture, un produit caustique, de l'urine, etc.
Tout incident même s'il ne fait pas l'objet de poursuites judiciaires, ne reste pas sans conséquence. Lors d'une cérémonie de présentation des vœux dans la Manche, le 12 janvier 2009, à Saint-Lô (Manche), le cortège présidentiel avait été pris à parti (une vitre brisée), mais pas la personne du président. Le directeur de la police fut démis de ses fonctions et le préfet muté au Conseil supérieur de l'administration territoriale de l'État !
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