mercredi 5 novembre 2014 - par ZEN

Tablettes en question

 Vers un ordre digital, un tsunami numérique à l'école ?
  Récemment, E.Davidenkoff se penchait dans l'Express sur l'impasse de la tablette, en contestant le plan pour le numérique annoncé par F.Hollande. Il signalait que les pontes de la Silicon Valley inscrivent leurs bambins dans des écoles privées hors de prix où "ils ne toucheront pas un clavier avant l'âge de 13 ans", persuadés que "le bon usage du numérique découle de compétences qui s'épanouiront mieux loin des écrans."

 Et s'ils avaient tout compris ?
 L'Etat va dépenser 700 millions d'euros pour le plan numérique à l'école. Un nouveau Gross Plan, qui risque d'être un fiasco.
 Une aubaine pour les fabricants de tablettes...Hollande, comme Président de conseil général, avait naguère lancé un plan Ordicollège, très critiqué à l'époque par l'inspection générale de l'EN.
 Mais on peut reprocher à Davidenkoff de manquer de cohérence et de critiquer aujourd'hui ce qu'il vantait hier, allant jusqu'à défendre les mérites du e-learning généralisé :
 « Là où vous devez aujourd’hui payer chaque année des enseignants pour délivrer des cours magistraux à des amphis de quelques centaines d’étudiants, vous pourrez demain pour le même prix délivrer ces cours à un nombre potentiellement infini d’étudiants. Le coût de production de la matière première va chuter. Il en va de même pour une autre tâche chronophage : la correction et l’évaluation. […] Il va falloir admettre qu’une machine peut réaliser de manière autonome un travail qui requiert, de l’avis commun, une intervention humaine. »
   Et voilà, clairement exprimé, le rêve utopique d'une technologie miraculeuse au service d'une industrie très rentable, qui n'avoue pas ses objectifs : faire d'abord son beurre...

 Les moocs devaient même servir à repenser le secondaire :
« Imaginez un instant les formidables gains de productivité qu’elles pourraient permettre. Si, dans un collège ou un lycée , les savoirs classiques étaient massivement délivrés via les MOOC au lieu d’être transmis face à des classes d’une trentaine d’élèves mobilisant, à chaque fois, un enseignant, le temps ainsi libéré pourrait être intégralement dédié l’accompagnement des élèves et à des activités qui requièrent un enseignant en chair et en os – des travaux pratiques aux sorties scolaires, des exercices oraux aux travaux en petits groupes […], des pratiques artistiques aux activités sportives. » 

   Là, c'est déjà moins déraisonnable... malgré la langage technocratique utilisé. Le langage entrepreneurial a contaminé les pratiques scolaires. 
 Il est sûr que l'école digitale, intelligemment menée, peut représenter un progrès dans la transmission plus efficace de certains savoirs et un moyen de résoudre en partie la démotivation constatée des élèves.
 Mais quand le numérique tend à devenir une quasi-religion, le saint  Graal qui va régler les problèmes, alors là...
 L'évangélisme digital a ses limites et l'idée de programmation pour tous , nouvelle marotte en vue rue de Grenelle, est discutable, parce que largement irréaliste.
         L'illusion technologique risque de nous mettre sur la voie de l'abandon des missions essentielles de l'école (qui devrait rester centrée sur la maîtrise de la langue), victime de la technolâtrie ambiante. 
 « L’e-learning valorise certaines formes sur d'autres, les élèves les plus autonomes, les enseignements dont les acquis peuvent être validés par des exercices simples et progressifs et ceux qu'on peut le plus facilement mesurer. Ce qui ne représente pas toute la palette éducative. »
 Il faut savoir raison garder :
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                       " ...L'e-learning a 'également d'autres) limites : il nécessite entre autres que l'ensemble du territoire soit connecté et bénéficie du haut débit. De plus, les méthodes d'enseignement en ligne ne sont pas adaptées à tous les élèves : 
 « L’e-learning valorise certaines formes sur d'autres, les élèves les plus autonomes, les enseignements dont les acquis peuvent être validés par des exercices simples et progressifs et ceux qu'on peut le plus facilement mesurer. Ce qui ne représente pas toute la palette éducative. »
 Un avis que partage Jean-Michel Fourgous, ancien député des Yvelines, et auteur du rapport « Apprendre autrement à l'ère numérique : » « Le risque est d’accentuer les inégalités entre les étudiants et de favoriser ceux issus des milieux les plus favorisés qui possèdent ces « compétences de base.

 Autre limite majeure de l’’e-learning : il ne peut en aucun cas devenir une alternative au présentiel, notamment dans l'enseignement supérieur qui nécessite des professeurs de haut niveau et des compétences plus facilement transmissibles lors d’une relation professeur/élève dans une salle de classe  : 
« L'e-learning est devenu un lieu commun qui fait oublier un élément essentiel : ce que c'est qu'apprendre, en particulier à l'université » explique Bruno Duvauchelle, formateur-chercheur au Centre d'études pédagogiques sur l'expérimentation et le conseil. 
 Ce à quoi Serge Soudoplatoff, enseignant, chercheur, entrepreneur, responsable de la rubrique politique2.0 à Fondapol, ajoute :
«  Rien ne remplace un bon enseignant. La formation de haut niveau nécessite des professeurs de grande qualité et des interactions proches. »
L'e-learning doit donc s’appréhender comme un outil dont il est impératif que les méthodes, adaptées à l'apprentissage à distance, se conjugue avec un enseignement en classe, et une relation humaine. Comme l'explique François-Afif Benthanane, fondateur de la Web@cadémie : 
 « L’éducation reste avant tout une affaire d’échanges interpersonnels. La qualité des relations humaines entre les professeurs et les élèves reste le moteur central de l’apprentissage. »
Michel Dupuis, professeur des universités à l'Université de Lille Nord partage le même avis : 
 « Les outils numériques d’enseignement ont l’immense mérite d’abolir les distances physiques, mais ils ne doivent pas creuser un fossé relationnel entre les individus. 
L’e-learning est une chance et offre donc des opportunités considérables pour un meilleur apprentissage. Mais il faut agir vite :
 « Le monde éducatif ne peut pas vivre en dehors de la société et subir éternellement la modernité. Des tas de trains sont passés à quai et on se gargarise de grands mots et de plans » raconte Alexis Mons, directeur général d'Emakina.fr.
Devant l'immense chantier qui attend l'éducation pour s'adapter au 21ème siècle, Dominique Sciamma, Directeur adjoint du Strate College Designers, en appelle même à dépasser le concept d'e-learning pour innover davantage :
 « Il y a un danger réel à voir les anciennes pratiques se vêtir d’habits nouveaux pour survivre. La E-Labelisation est de ce point de vue un danger mortel qui voit des acteurs et des modèles dépassés se remettre en selle en se numérisant en façade, en se contentant de mettre un nouveau nom sur un vieil objet. E comme « Emplatre » sur une jambe de bois ? ».


13 réactions


  • hans 5 novembre 2014 20:00

    Bonsoir Zen, intéressant, petite anecdote un peu en rapport avec votre article, on m’a offert une tablette pour lire au lit après mon passage à la retraite, je re-lis des livres que j’ai en papier et bien j’ai l’impression de ne pas lire du tout le même livre, c’est très curieux , surement mon age, j’en ai parlé à plusieurs personnes et toutes ont la même « impression » sauf sauf ... celles qui n’ont jamais lu de livres, bonne soirée.


    • Mmarvinbear Mmarvinbear 6 novembre 2014 02:25

      C’est juste un effet pervers de la mémoire humaine.


      Je connais cela aussi. En fait, après la lecture, nos souvenirs du livre commencent déjà à se modifier en fonction des autres lectures faites et des films vus par exemple.

      Le tout se mélange et on se créé un autre livre, une autre histoire dans la tête, en ne gardant que la trame de base, les détails étant modifiés.

      En relisant le même livre des années ensuite, on se rend compte de tout ce qui a été modifié par la simple action de notre mémorisation imparfaite.

    • ZEN ZEN 6 novembre 2014 08:33

      gros macho, le bien nommé
      Non, tout va mal...au niveau de votre compréhension


    • Mmarvinbear Mmarvinbear 6 novembre 2014 19:04

      En même temps, les « intellectuels » se plaignent de la baisse de niveau depuis le milieu du XIXè siècle... 


      Si cela était vrai, nous ne serions nous même plus capables de parler autrement qu’en grognant, vivant dans des grottes, vêtus de peaux de bêtes.

      Ce qu’ils ne comprennent pas, c’est que les pédagogies évoluent, s’adaptent. Le contenu se met au diapason de ce qu’il faut apprendre pour évoluer correctement dans la société.

      Le temps n’est plus à savoir par coeur la liste des sous-préfectures du pays. il faut savoir réfléchir par soi-même, s’organiser dans ses recherches et construire son argumentaire.

  • ZEN ZEN 5 novembre 2014 20:28

    Bonsoir hans
    Oserais-je le dire ? J’ai une tablette Amazon Kindle fire
    Je m’y suis habitué, sans renoncer aux livres papier
    Je ne ressens pas la même chose que vous
    Très utile non seulement au lit, mais en voyage, chez le médecin, etc...
    Ce qui me chagrine c’est la dictature d’Amazon dans le monde du livre électronique
    Mais mon billet parle d’autre chose...
    Bonne soirée


    • Fergus Fergus 6 novembre 2014 09:41

      Salut, Zen.

      Personnellement, j’ai opté, pour mes voyages, pour un mini-ordinateur Packard-Bell dont l’écran est une tablette détachable (que je n’ai jamais utilisé comme telle !). Le tout pour... 236 euros chez Rue du Commerce (pack-office compris). C’est infiniment plus utile qu’une simple tablette car je dispose de toutes les fonctionnalités d’un ordinateur.

      Pour ce qui est de la lecture, je ne me résous pas à passer au numérique, le contact du papier m’étant indispensable.

      Bonne journée.


    • Garance 6 novembre 2014 15:19

      Fergus


      Ce besoin du contact du papier vous prive de la possibilité d’étendre plusieurs fois au centuple le champ de vos lectures

      Sans compter que sur le plan écologique l’usage du numérique devient un acte militant

       ( Il doit bien rester à Dame Duflot quelques Légions d’Honneur à distribuer) 

      C’est une habitude à prendre

      Une liseuse pèse 350 g avec son étui , elle peut emmagasiner 1800 livres environ et se glisse dans la poche intérieure d’une veste

      Moi même ai depuis toujours l’amour des livres , quand le format des « Livres de Poche » est sortie tout mon argent de poche passait dedans

      Mon premier « Livre de Poche » : « La mer à boire » de Michel de Saint-Pierre

      Voir mon Père plier en deux les livres qu’il lisait était pour moi une véritable torture qui me faisait quitter la pièce immédiatement

      Malgrés cela je me suis mis à la lecture numérique 

      Quand j’éprouve le besoin de sentir l’odeur et le touché du papier je garde de par devers moi quelques bouquins classiques de la Pléiade

  • Donbar 5 novembre 2014 20:39

    Zen,
    Peut-on dire, selon vous, que tout ce qui est digital est numérique et que tout ce qui est numérique est digital, e-learninguement parlant ?


  • ZEN ZEN 5 novembre 2014 21:20

    Réponse de normand...


  • ZEN ZEN 5 novembre 2014 21:25

    digital : dérivé de digitus, « doigt ». C’est parce que l’on comptait sur ses doigts que de ce nom latin a aussi été tiré, en anglais, digit, « chiffre », et digital, « qui utilise des nombres (1/0/1...)


  • bakerstreet bakerstreet 6 novembre 2014 09:46

    La forme d’intelligence développé par cette méthode est en flaque,comme l’outil lui même : Une autre forme d’intelligence se met en place, superficielle et rapide, comme le dit le fait de surfer, qui dit bien sa valeur, une glissage infinie, fœtale, au creux de la vague.


    Tant pis pour la concentration, l’approfondissement.
     Des valeurs qui ne semblent ne plus avoir de sens, que dans l’exploitation du gaz de schistes. 

    Les expériences qui ont été faites, en labo, montrent bien que cette mémoire séquentielle, fragmentaire, et rapide d’utilisation, en tout cas, n’est pas qu’une peur irraisonnée, mais une réalité.

     Du reste on peut la vérifier soi même ; combien d’articles survolés sur l’ordinateur, qu’on lirait dans un livre ?

    Le malheur fait que malheureusement nous sommes tous un tant soi peu formatés, maintenant.

    Regardez le magazine littéraire : Il s’est fait aux goûts de l’époque, et ses articles, bien plus courts, n’ont plus rien à voir avec leur contenu, dans le passé proche. Et ce n’est qu’un exemple, de ce qui arrive aux meilleurs revues, pour ne pas parler du reste, chatoyant comme les pages d’un magazine porno, vous invitant à construire votre menu : Blondes, masos, coquines..... ?

    Que peut faire l’école ?

    Présenter ce que le numérique ne fournit pas : La chaleur humaine, le contact, l’encouragement, l’empathie, la lutte contre la bêtise et le formatage, l’ouverture à la critique, le travail en groupe.....
    Des éléments, que l’éducation nationale, tendant historiquement toujours à privilégier l’individualisme, la réussite des meilleurs, ne fournit pas toujours....

  • ZEN ZEN 6 novembre 2014 09:58

    Bonjour bakerstreet
    Il est vrai que l’usage commun immodéré de l’outil numérique produit les effets que tu signales. Le formatage est partout, avec ses conséquences sur les modes de pensée, l’appréhension des savoirs et la sensibilité
    Mais à l’école telle qu’elle est, tout en ne ménageant pas mes critiques sur certains usages imposés de haut, je reste prudent et je signalais avec nuances :
    Il est sûr que l’école digitale, intelligemment menée, peut représenter un progrès dans la transmission plus efficace de certains savoirs et un moyen de résoudre en partie la démotivation constatée des élèves.
    Question de dosage et d’accompagnement, qui rendra toujours la présence du professeur incontournable.


    • bakerstreet bakerstreet 6 novembre 2014 10:20

      Zen


      D’accord avec vous. 
      Travaillant en psychiatrie, c’est fou le nombre de « geek » que j’ai croisé. 
      Souvent brillant intellectuellement.
       Pour l’émotion et l’empathie, c’est une autre histoire.

       Il semble bien que l’outil informatique vous enferme dans un mur de pensées, qui bien qu’en trois D, vous offrent que des portes et des fenêtres factices, quoique incroyablement, c’est vrai, bien faites. 

      Ce monde est cruel à beaucoup, et la tentation de cette forme d’ouverture en leurre, comme ces peintures mimesis, nous faisant croire qu’une dimension peinte, s’apparente à la réalité, est bel et bien un piège confortable.

      Toutefois, si vous êtes réveillé par une grenade offensive, éclatant à vos pieds
      Tranquillisez vous : Votre vie est bien un combat, et les ombres noires qui s’agitent autour de vous, l’expression d’un monde hostile, mais vrai. 

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