Tremblement de terre : « la catastrophe du siècle »
Le 6 février 2023, une rupture de plus de 100 km survenue nuitamment entre les plaques anatolienne et arabe déclenche un tremblement de terre de magnitude 7,8 entraînant l'effondrement de 42.000 bâtiments et ensevelissant 44.000 personnes (bilan provisoire). Onze minutes plus tard un deuxième séisme de magnitude 6,7 ébranle la région, à 22 h 30 (heure locale) on enregistre déjà 30 répliques de magnitude 4,5 ! « Avec ces deux séismes, ce sont 400 kilomètres de faille qui ont été brutalement réactivées et qui ont libéré les tensions tectoniques auxquelles elles étaient soumises » (Mustapha Meghraoui). Le lundi 22 un troisième séisme d'une magnitude de 6,4 survient à 20 H 04, plus de 6.000 répliques ont été enregistrées depuis le premier tremblement de terre qui a dévasté le sud de la Turquie et la Syrie. Les autorités turques avancent les chiffres de milliers de disparus, 100.000 blessés et plusieurs millions de personnes sinistrées. La fédération des médecins estime le nombre de morts à 60.000.
Un séisme résulte de la libération de l'énergie accumulée entre la croûte terrestre et le manteau « semi-fluide » qui se déplace sous elle. Une partie de l'énergie interne de la terre est dissipée en permanence par les geysers, sources thermales, soit de manière soudaine, séismes, éruptions volcaniques. L'intérieur de la Terre est constitué d'une succession de couches superposées qui se distinguent tantôt par leur état solide, liquide, « malléable », gazeux et leur densité. Le noyau, 17 % du volume terrestre, se divise en noyau interne solide et noyau externe liquide séparés par la discontinuité de Lehmann. Le manteau, 81 % du volume, se divise en manteau supérieur solide (lithosphère) et le manteau inférieur (asthénosphère) quasiment fluide en raison de la température et pression qui y règnent. La discontinuité de Gutenberg marque l'interface entre le manteau et le noyau. La croûte, 2 % en volume, solide (couche océanique 6 km, couche continentale jusqu'à 30 km), et la discontinuité de Mohorovicic marque la limite entre le manteau et la croûte terrestre.
En 1915 Alfred Wegener publie « Genèse des continents et des océans » dans lequel il postule l'existence d'un super-continent unique, la Pangée, qui se serait fragmenté il y environ 200 millions d'années (datation grâce aux fossiles découverts). Les différentes plaques auraient dérivées vers leurs positions actuelles, certaines parties de se rencontrer donnant l’orogenèse (formations montagneuses). Il faudra attendre les années soixante pour valider la théorie de Wegener.
La croûte terrestre est soumise en continu à d'énormes pressions tectoniques. C'est toute l'écorce terrestre qui subit une déformation constante plus ou moins importante selon les régions. La plupart des séismes apparaissent au niveau des grandes failles : rift, montagnes, subduction, glissements, dorsale océanique, etc. Les zones où les contraintes sont maximales délimitent les plaques tectoniques convergentes : une plaque passe sous une autre et fond dans le magma au niveau d'une zone de subduction, ou transformantes : les deux plaques « glissent » latéralement l'une contre l'autre, mais le plan de faille n'étant jamais lisse ni leur forme et d'augmenter les forces de tension. Si la libération des forces est soudaine, les répliques participent à un nouvel équilibre des contraintes, sinon, le stockage de l'énergie peut durer des décennies voire des siècles. « Cela ferait plus de 900 ans que la branche de la faille est-anatolienne emmagasine la tension créée par la poussée de la plaque arabe. Avec un taux de déformation de l'ordre de 5 à 10 millimètres par an, la contrainte accumulée au cours du temps a été phénoménale ».
L'exploration profonde de la Terre ne peut être étudiée par des méthodes in situ, le gradient géothermique est de 20°C par km dans la croûte, et le forage le plus profond (en Russie) n'atteint que 12,2 kilomètres (diamètre 23 cm) alors que le rayon terrestre est de 6.350 km ! L'étude de la structure interne de la Terre a été rendue possible par le sismographe, invention de John Milne en 1870, et la connaissance de propagation des ondes sismiques. Le 17 avril 1889, Von Rebeur-Paschwitz a son attention attirée par les mouvements anarchiques de son pendule. Il émet l'hypothèse qu'il pourrait s'agir de vibrations en provenance du tremblement de terre de Tokyo survenu à 02 h et à 9.000 kilomètres, soit 7 km/sec. Le géologue Richard Oldham va placer une masselotte suspendue à un ressort et ainsi matérialiser les vibrations verticales, l'ajout d'un bras horizontal allait permettre de mettre en évidence les vibrations transversales.
Lors d'un tremblement de terre, les ondes sismiques partent du foyer à travers le manteau et la croûte terrestre :
Les ondes Primaires : se propagent dans les solides, les fluides et les gaz à la vitesse de 5 km/s (environ) et parallèlement au déplacement du sol à l'origine de zones de dilatation et des zones de compression successives.
Les ondes Secondaires se déplacent dans les solides sous la forme de vibrations perpendiculaires au sens de propagation de l’onde (effet de cisaillement) à la vitesse de 3 km/sec.
Les ondes de surface (L ou R) guidées par les couches superficielles à la vitesse de 1,5 km/h sont susceptibles d'entrer en résonance avec les constructions et sont à l'origine de mouvement de torsion.
Les ondes de Rayleigh, rarement évoquées, déplacent la surface de la croûte terrestre sous la forme d'un mouvement elliptique dirigé vers l'avant et vers le bas, puis vers l'arrière et vers le haut évoquant le mouvement de la houle océanique. Les ondes de Rayleigh guidées dans les couches prennent le nom Rayleigh-Lamb. Les ondes de Love secouent la croûte terrestre d'un côté à l'autre,
Les ondes sismiques traversent la planète en infléchissant leur parcours selon la nature des matériaux (état et densité) rencontrés sur leur passage. La brusque interruption de propagation des ondes S entre le manteau et le noyau (discontinuité de Gutenberg) correspond au passage d'un solide à un liquide, tandis que l'augmentation progressive de la célérité des ondes P et S dans le manteau correspond à une augmentation de densité du matériau. La légère chute des vitesses de propagation des ondes P et S marque la rencontre de la lithosphère (solide) à l'asthénosphère (plastique).
Trois stations situées à des milliers de kilomètres suffisent pour localiser l'épicentre d'un séisme (triangulation). Les stations situées à moins de 11.500 km enregistrent les ondes P et S, celles situées entre 11.500 et 14.500 subissent une zone d'ombre ; les ondes P réapparaissent au-delà de 14.500 km sous forme d'ondes (PKP) qui ont subi une double réfraction sur la surface du manteau séparant le noyau qui ne transmet pas les ondes S. Les temps d'arrivée des ondes P et S sont corrigées avec les tables de Jeffreys-Bullen.
Le foyer des séismes les plus destructeurs sont peu profonds, moins d'une soixantaine de kilomètres (séismes intermédiaires entre 60 et 300 km, séismes profonds 300 et 700 km). Une faille est souvent en en « tirets », certains de lâcher rapidement, d'autres prendre plus de temps, voire ne pas céder et d'accumuler la contrainte jusqu'à la rupture. Lors du séisme, les contraintes sont rééquilibrées et la faille se bloque à nouveau, la contrainte tectonique de recommencer à s'accumuler (cycle de charge-décharge). Le séisme le plus fort jamais enregistré, 9,5, survenu le 22 mai 1960 à Vaildiva au Chili a fait 1.500 victimes et déclenché un tsunami à travers le Pacifique laissant derrière lui plus de 10.000 victimes.
L'échelle de Mercalli (1902) repose sur les dégâts visibles : III les objets suspendus se balancent, IV, la vaisselle vibre, V les portes bougent, VI fenêtres brisées et marche instable, VII chute des tuiles et murs de briques, VIII chute des cheminées IX dommages causés aux fondations, X fissure dans le sol, XII destruction totale. L'échelle de Richter (1935) repose sur l'amplitude maximale des ondes sismiques, amplitude qui décroit avec la distance. Lorsque la magnitude augmente d'une unité, l'énergie libérée au foyer du séisme est multipliée par dix (logarithmes décimaux). Un séisme de 8 est dix fois plus fort qu'un séisme de 7 et cent fois plus fort qu'un séisme de magnitude 6. Il n’y a pas de relation directe entre l’intensité et la magnitude. Un séisme de forte magnitude avec un foyer profond sera potentiellement peu destructeur et aura donc une faible intensité. Au contraire, un séisme superficiel (quelques kilomètres de profondeur), même de magnitude moindre pourra être très destructeur et donc caractérisé par une forte intensité .
De nombreux phénomènes naturels et actions humaines provoquent des vibrations du sol : les vagues, le vent, les volcans, les tsunamis, les tirs dans les carrières, les glissements de terrain, les trains, la circulation routière, les chars lourds, les explosions nucléaires ou non (l'énergie de la magnitude est ramenée en équivalent TNT), etc. C'est la « sismologie légale ou judiciaire » qui a permis aux sismologues de différencier les explosions des gazoducs Nord Stream des phénomènes.
Si les séismes ne peuvent être évités, le déploiement d'instruments : réseau de sismomètres, extensomètres, géodimètres à laser, nivellement (déformations verticales de la surface), magnétomètres, gravimètres, etc., peut contribuer à la prévention et alerter les autorités et la population avant l’aléa. Le parquet d'Athènes avait ouvert une enquête contre le président de l'Organisme public de protection sismique à la suite du séisme de magnitude 6,1 survenu le 16 juin 1995 dans la région d'Aigion (Péloponnèse) pour ne pas avoir pris en compte la prévision d'une équipe de sismologues.
En Turquie, les vices de construction semblent s'être accumulés : fondations défaillantes, béton mal dosé (pulvérulent), sable marin, fers à béton lisses. L'immeuble « Renaissance » de huit étages, 250 appartements abritant 1.000 personnes (Antioche) étudié pour résister à un séisme de magnitude 9 a basculé ensevelissant huit-cents de ses occupants ! Des milliers d'immeubles ont été victimes d'un « affaissement en pancakes », les éléments porteurs cèdent et les planchers des étages supérieurs s'effondrent les uns sur les autres ne laissant aucun vide (nid). Les dommages aux bâtiments peuvent être limités par le respect des normes parasismiques : choix du site, étude géotechnique, hauteur des constructions, leur morcellement, l'élancement, qualité des matériaux, fondations profondes et flexibles, armatures d'acier, contreventement, chaînages, encadrement des ouvertures, zones de froissement, joints sismiques, isolateurs à absorption d’énergie (amortisseurs, roulements à billes, plaques coulissantes, pendules), suivi de chantier, main d’œuvre qualifiée, entretien.
La catastrophe a ravagé onze provinces participant à hauteur de 9 % du PIB du pays qui connaît une inflation de 61 % ! Le gouvernement va devoir consacrer plusieurs milliards (les estimations vont de 10 à 84 milliards de dollars) à la reconstruction, bâtiments, infrastructures, aide aux sinistrés, à l'économie et à la refonte des services de secours à la population. Après le séisme de " Marmara " (1999) avec 17.000 morts, le gouvernement avait instauré une taxe antisismique destinée à financer les nouvelles constructions et engagé deux mille procédures pénales à l'encontre de 1.800 promoteurs, entrepreneurs et experts avant qu'ils ne bénéficient d'une loi d'amnistie (décembre 2000). Erdogan de s'enorgueillir : « Nous avons résolu le problème de 144.156 citoyens de Maras grâce à une amnistie de zonage ». Un collège d'ingénieurs et d'architectes de souligner : « Dans notre pays, les amnisties de zonage ont été l'une des plus importantes incitations à la construction illégale et ont rendu incertaine la possibilité pour la société de vivre dans des maisons saines et sûres ». Le mécontentement de la population se traduira-t-il dans les urnes au mois de juin et quelle politique à international en résultera ? Une remarque, une correction, une précision ?
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