samedi 27 février 2010 - par Tonio

Mais où vont les emplois industriels ?

On sait, ça devient bien connu, que l’emploi industriel est en recul : 1,9 millions d’emplois entre 1980 et 2007, ce qui représente une baisse d’un tiers. Mais pourquoi ? Le Trésor vient de publier une étude très intéressante qui donne quelques pistes ne reprenant pas nécessairement le discours ambiant.

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En premier lieu : la sous-traitance. Il s’agit en fait d’un simple tour de passe-passe entre la catégorie statistique des emplois industriels et celle des emplois de service. En effet, les emplois ne sont pas comptabilisés en fonction de leur nature propre, mais de la branche à laquelle appartient l’entreprise qui emploie. Conséquence : les agents de nettoyage salariés par un industriel sont des emplois industriels. Le jour où il décide finalement de recourir à une entreprise de nettoyage, les gens qui font le même travail occupent des emplois de service.

Cet effet est loin d’être mineur, compte tenu de la réorganisation profonde qu’a connu le système industriel au cours de ces dernières décennies, vers toujours plus de flexibilité et d’indépendance des niveaux d’intervention dans la chaîne de production. C’est environ un quart de la « perte » des emplois industriels qui relève de ce phénomène sur les trente dernières années. Mais l’externalisation est devenue une norme générale et ne progresse plus guère. D’après le Trésor, elle ne représente plus que 5% des emplois « détruits » de 2000 à 2007.

Viennent ensuite deux phénomènes difficiles à départager, car difficiles à mesurer. Le premier est le passage à une société dite inexactement post-industrielle. L’industrie n’est pas en effet en recul : il suffit de considérer les masses de produits consommés pour en acquérir la certitude. Mais la hausse extraordinaire de la productivité dépasse celle de la consommation. Elle abaisse le coût des produits industriels – et donc leur place dans le PIB – et diminue le nombre de travailleurs nécessaires pour les produire. Le secteur des services ne connaît pas un tel développement de la productivité, et le pouvoir d’achat libéré par la baisse du prix des biens de consommation conduit donc à une plus grande demande de services, et ainsi à un accroissement de l’emploi. La hausse de la productivité déforme donc à la fois la structure de la consommation et de la production entre l’industrie et les services.

Cette transformation de la production et de la consommation serait responsable d’un petit tiers de la disparition des emplois industriels. Or il se trouve que la productivité industrielle augmente de plus en plus rapidement au point que l’auteur de l’étude estime qu’au cours de la dernière décennie cet effet est en réalité responsable des deux tiers des destructions d’emplois industriels.

La troisième cause majeure est naturellement le développement du commerce international. Un déficit commercial régulier en matière industrielle n’est pas sans effet sur l’emploi. Mais on entre là sur un domaine plus délicat. Il est indéniable que les échanges ont augmenté (le degré d’ouverture du secteur industriel a augmenté de moitié en trente ans), mais le déficit n’est pas nécessairement synonyme de perte d’emploi : les exportations industrielles correspondent bien à une création d’emploi en France, mais les importations ne détruisent de l’emploi que si elles se substituent à une production nationale, pas si elles concernent des produits qu’on ne fabriquait pas. L’effet historique devient dont rapidement difficile à mesurer, car il faut analyser la structure du commerce industriel dans les détails.

Une première méthode est de mesurer par branche industrielle, en tenant compte des différence de productivité : une branche avec une productivité très forte a besoin de peu d’emploi pour produire des valeurs importantes, et donc un déficit ou un excédent ne représentent pas énormément d’emplois créés ou supprimés. Selon les secteurs, l’ouverture au commerce mondial est donc responsable de 3% à 86% des emplois détruits. Autant dire que certaines branches de l’industrie ont très bien résisté (l’agroalimentaire, notamment, a gagné des emplois) et que d’autres ont connu beaucoup plus de difficultés (automobile). Au total, le commerce serait responsable de 13% des destructions d’emplois industriels, et 20% sur les dix dernières années.

Mais prendre la productivité moyenne d’un secteur pose problème : les entreprises qui exportent sont celles qui ont la meilleure productivité et créent donc moins d’emplois que la moyenne, les entreprises qui succombent ont une productivité moins forte, employaient donc plus de monde et par conséquent suppriment plus d’emplois que la moyenne. Donc la concurrence internationale, en poussant les entreprises les plus productives, diminue le nombre d’emplois moyens. De plus au sein d’une même branche les importations venant de pays moins développés concernent les produits qui demandent plus de travail que de capital. Les produits éliminés au sein de chaque branche sont donc ceux qui créent le plus d’emplois. Mais il y a aussi des effets positifs (les produits importés sont moins chers et libèrent du pouvoir d’achat pour des services, etc…). Une autre approche consiste alors à rechercher une relation statistique pendant 30 ans dans les pays de l’OCDE entre commerce et emploi industriel (comme dans cette étude). Le poids de l’explication commerciale monte alors à 45% depuis 1980 et 65% dans la dernière décennie (du coup, oui ça ne fait plus 100%). Il faut toutefois noter un point très intéressant : le commerce avec les pays émergents (les pays hors OCDE, et quelques OCDE comme la Turquie, le Mexique…) ne représenterait que 17% des emplois détruits depuis 1980, et 23% depuis 2000.

Contrairement donc à beaucoup d’idées reçues, l’émergence de l’Asie du Sud-Est, puis de la Chine et de l’Inde n’a pas profondément influé sur l’emploi industriel : la sous-traitance a transformé bien plus intensément le tissus industriel et les deux déterminants majeurs à l’heure actuelle sont bien la hausse de la productivité, qui appelle des solutions du type partage du temps de travail, et la concurrence internationale avec… les pays développés, et d’abord à l’intérieur de la zone Euro.

 



15 réactions


  • zelectron zelectron 27 février 2010 10:44

    Article ridicule, issu de la pensée d’un homme sincère mais qui se plante complétement. L’analyse bien qu’étayée par des chiffres assez sérieux ne mène pas à la synthèse qu’il eu fallut.
    "Contrairement donc à beaucoup d’idées reçues, l’émergence de l’Asie du Sud-Est, puis de la Chine et de l’Inde n’a pas profondément influé sur l’emploi industriel." et là c’est le bouquet final : ce cher auteur est probablement presque le plus sage d’entre nous sourd, aveugle et pas muet.


    • Tonio Tonio 27 février 2010 11:02

      Ce n’est pas le bouquet, c’est justement l’enseignement à tirer.
      Je ne dis pas que la Chne, en particulier, n’a pas d’influence sur l’emploi industriel. Je dis que c’est la cause dont on parle le plus alors que ce n’est pas la plus forte. Prenons un exemple dans un autre secteur que l’industrie, les supermarchés ; il ne sont pas soumis à la concurrence chinoise. Et pourtant ils sont en train de laminer leurs effectifs en remplaçant les caissières par des machines. La disparition progressive des emplois industriels vient d’abord de là, d’une transformation profonde de la machine économique. La Chine ne vient que loin derrière, même si elle a liquidé des industrie entières (textile par exemple, même si en l’occurrence c’est plutôt Maghreb et Turquie qui ont tué le textile français)


    • Tonio Tonio 27 février 2010 16:42

      Respect de l’interlocuteur, lecture de ce qu’il a effectivement écrit et pas de deux phrases en diagonales, ça fait toujours plaisir de recevoir des critiques solidement argumentées. Merci !


  • Thierry LEITZ 27 février 2010 11:39

    @ Tonio,

    Un peu de réflexion à contre courant ne fait jamais de mal, au contraire !

    C’est historiquement vrai que la réduction des effectifs est une quête constante des industriels ceci pour des raisons évidentes de coûts salariaux. Taylorisation, robotisation, délocalisation avec les pressions qui vont avec et dégradent la vie professionnelle de millions de français. La faute aux Chinois tout çà ? Allez...

    On a privilégié le profit à l’emploi dans certains cas.
    On a poursuivi ailleurs une activité plus assez rentable ici dans d’autres.
    On a pas remplacé ce qu’on perdait : plus dur de créer que de déplacer.
    Le poids de la protection sociale est lourd, certes, trop lourd ?

    Asseoir les taux de cotisations sur la valeur ajoutée aurait pu limiter l’intérêt des délocalisation. De même que la taxation des importations à hauteur de leur mépris de règles sociales minimale, véritable gros-mot pour les libéraux pur sucre qui dirigent les entreprises...

    Inverser la tendance parait utopique. Surtout si ce sont les mêmes au manettes !


  • le naif le naif 27 février 2010 11:50

    @ L’auteur

    Je vous cite :

    "Le secteur des services ne connaît pas un tel développement de la productivité, et le pouvoir d’achat libéré par la baisse du prix des biens de consommation conduit donc à une plus grande demande de services, et ainsi à un accroissement de l’emploi. La hausse de la productivité déforme donc à la fois la structure de la consommation et de la production entre l’industrie et les services.« 

    Quid le la politique de basse pression salariale qui fait que le salaire médian en France est de 1500€ avec tout ce que ces statistiques cache de misère et de précarité ????
    Quid du partage des fruits de la productivité qui va aux actionnaires au détriment des salariés ????

    Croyez vous vraiment que les smicards, les précaires, les chômeurs etc.... ont du pouvoir d’achat libéré ??? Le système capitaliste ne tient que sur la consommation, dès lors qu’il n’y pas plus de consommateurs solvables....le système s’arrête, ensuite disserter sur le fait de savoir si c’est plus ceci ou plus cela, qui en est la cause est assez accessoire. La vérité, c’est que depuis trente ans la classe moyenne se paupérise de plus en plus et tend à redescendre les quelques barreaux qu’elle avait péniblement réussi à gravir pendant »les trente glorieuse"

    La vraie question à se poser, serait à quoi servent ou plutôt à qui profite les gains de productivité ??? Quel intérêt de produire dix voitures par ouvrier si personne n’a les moyen d’acheter ces dix voitures.....


    • Tonio Tonio 27 février 2010 12:58

      Effectivement, j’ai d’ailleurs un article en cours sur ce sujet (ou approchant). Là je me suis limité à une question sur les emplois industriels...


  • Internaute Internaute 27 février 2010 20:21

    Ce n’est pas la Chine qui a une influence sur nos emplois industriel, ce sont les députés qui ont supprimé toutes les protections de notre marché. Une fois cela réalisé, la Chine en a profité. Avec 50 milliards de déficit commercila annuel il est clair que si nous n’importions rien, n’exportions rien, on gagenait 50 milliards et les emplois qui vont avec. Mon raisonnement est simpliste, je le sais en ce qui concerne les ressources dont nous manquons comme le pétrole, mais tout à fait pertinent dès qu’on passe aux biens manufacturés.

    A quoi cela sert-il de perdre nos économies, nos emplois et notre savoir-faire pour importer ce que nous fabriquions il n’y a pas 20 ans (ameublement, textile, lampes en tous genres, automobiles, jouets, stylos, vêtements en cuirs, vaisselle, nourriture etc) ? Est-ce cela l’avenir socialiste ? Si non, pourquoi le PS continue dans cette voie ?

    Plaçons les responsabilités dans l’ordre : 1 - les députés, et 2 - la Chine.

    Dire qu’une grande partie des emplois industriels se retrouve dans les services suppose qu’un emploi industriel perdu est compensé par un emploi dans les services. Le calcul du chômage se fiche de savoir dans quelle branche d’activité ils se trouvent. On en a 5 millions, point barre. Votre (trés bien vue) hypothèse ne résiste pas à la réalité des chiffres.

    Le chômage a deux causes. La première est une cause technique à laquelle nous ne pouvons rien. L’augmentation de la productiovoté n’est pas réversible. On ne reviendra jamais au labour des champs avec des boeufs. La seconde est une erreur politique colossale commise et perpertuée par le Parti Socialiste et son parti-frère l’UMP. Il s’agit de la mondialisation. 30 ans ne brassage forcené, de métissage et d ’opuverture des frontières nous ont conduit à la catastrophe. Il serait temps que le PS s’en rende compte et change de politique.

    Puisque vous affichez le logo du PS expliquez-nous ce que vous trouvez de positif dans la mondialisation. Je n’y vois que la misère humaine globalisée, les pays pauvres étant concurrencés par notre productivité élevée, et les pays riches par la main d’oeuvre bon marché. La qualité des produits est en chute libre. Les paysans ne nous ne donnent plus que de la merde insipide à bouffer et une paire de chaussure ne dure pas 6 mois.

    Où est le progrés que le PS nous a amené avec sa mondialisation ?


    • ffi ffi 27 février 2010 22:11

      Internaute a raison,
      tout ceci est le résultat de la mondialisation.
      Fatalement un réservoir de main d’oeuvre de quelques milliards de personnes, prêt à des salaires de quelques centimes d’euros par jour, ça finit par donner des idées.

      Allez camarade Tonio, ici t’es pas en section, tu peux penser librement...


  • Internaute Internaute 27 février 2010 20:26

    Pourquoi bouffez-vous du curé plutôt que du rabbin ?


  • HELIOS HELIOS 28 février 2010 00:07

    Et si on se penchait sur l’aspect social de l’entreprise ?

    Parce que la décision finale, ce n’est pas le député, le chinois ou le client qui la prend, c’est bel est bien l’entrepreneur.

    L’entrepreneur, quand il s’installe, il a devant lui deux personnes a satisfaire, outre son propre revenu : d’une part le banquier (le banquier, c’est aussi le porteur de parts sociales, l’actionnaire), qui exige une remuneration insoutenable de l’argent qui lui prete et d’autre part le salarié, qui lui aussi veut tirer profit de son travail... juste pour vivre !.

    L’entrepreneur a fait son choix, c’est le banquier qu’il prefere satisfaire. Il oublie donc la fonction sociale de l’entreprise, il ajuste au plancher la part de la richesse destinée au travail pour la reporter sur celle du banquier.

    Et le banquier, qui est une malin, va aider le député pour que la regle du jeux soit toujours favorable.
    Le chinois, qui n’y est pour rien, fait ce qu’on lui demande et le client, qui n’a plus d’argent achete de moins en moins...
     
    C’est la spirale de la crise et devinez quoi ? on culpabilise le client qui achete les produits pas cher des chinois ! Un comble ! Apres avoir été mis sur la paille, le client est coupable de favoriser la délocalisation par ses choix de consommation. on croit rêver.

    C’est la vie


    • Internaute Internaute 28 février 2010 09:53

      Oui, à ceci prés que les différents acteurs ne sont pas sur le même plan. Le député est celui qui fixe les règles du jeu (même si on les lui sussure à l’oreille, c’est lui qui prend la décision). Les autres ne font que jouer au mieux de leurs intérêts en respectant les règles.


    • Mycroft 1er mars 2010 15:28

      Le député n’écris plus, depuis un moment, les règles du jeu. C’est bien les industriels qui dictent les lois, en faisant jouer la concurrence entre les pays. Et ils ont cette possibilité, justement, grâce à l’évolution technologique qui a permit de réduire les distances.

      C’est justement le principal problème à l’heure actuelle : les lois ne sont plus écrite que sous la pression de la concurrence entre état. Mais la concurrence ne profite qu’à ceux qui ont les moyens d’être clients, à savoir le patronat, qui est le premier responsable des délocalisations.

      Rendons à césar ce qui est à césar, ceux qui se barrent pour profiter seuls du fruit du travail des français et des occidentaux en général, ce sont les entrepreneurs qui délocalisent et se réfugient dans les paradis fiscaux, pas les députés. La complicité, normalement, est moins grave que le crime en lui même.


  • papaxx 28 février 2010 18:14

     j’ai relevé cet extrait dans l’article http://contreinfo.info/article.php3... "Investir en régime capitaliste signifie améliorer le rendement du travail pour augmenter ses marges bénéficiaires. Suivant cette règle immuable, plus nous créons de richesses, plus la productivité augmente et moins les entreprises ont besoin de travail humain pour les produire." et c’est tout à fait ce que nous vivons dans l’entreprise où je travaille (12000 personnes en 2001 6900 aujourd’hui) - la productivité n’a cessé d’augmenter les postes de travail n’ont cessé d’être supprimés - et la machine s’emballe : on nous dit maintenant que pour garder l’emploi sur le site français de notre entreprise il faut faire 20% de gain de productivité et cela bien sûr sans garantie sur l’avenir des 6000 postes restant. Voilà ce qui se passe sur le terrain.
    Il faut produire plus avec moins de personne pour vendre des produits parfois dérisoires à des familles qui n’ont plus les moyens - c’est la situation actuelle -absurde mais bien réelle !! Faut-il continuer dans ce sens ?


  • Tonio Tonio 28 février 2010 23:00

    Alors, quelques réponses : La première c’est que la Chine revient comme le facteur essentiel dans certains commentaire, comme si les arguments énoncés dans l’article n’existaient pas. Focalisés là-dessus, certain ont apparemment un peu de mal à comprendre que le commerce avec les pays riches détruit plus d’emplois industriels, et la hausse de la productivité également (les deux aspects sont d’ailleurs liés en pratique). Ils ont bizarrement l’air de penser que je raconte que la Chine ne détruit pas d’emplois industriels.

    La seconde, c’est sur le rôle de la productivité. J’ai un peu de mal à considérer que la hausse de la productivité est une mauvaise chose. La question, c’est plutôt qu’arrive t-il aux gains de productivité ? Qui en profite ? La question de l’organisation et de la circulation des richesses me semble plus importante que celle de la Chine. Je ne suis pas du tout certain qu’il n’y ait rien à faire sur al productivité, non pas pour la réduire mais pour la partager (et ainsi réduire ce fameux cercle vicieux du pouvoir d’achat).

    Enfin la mondialisation : je ne la vois pas très différemment de la hausse de la productivité en fait. D’un point de vue économique, les branches qui ont été produites ailleurs (dans les pays pauvres, mais en particulier dans les pays riches) peuvent être regardés comme des suppressions d’emplois liées à une production plus efficace ailleurs. La société y gagne globalement car sa capacité productive s’améliore. Là encore, c’est une question de répartition : qui y gagne et qui y perd exactement ? Grace notamment à la mondialisation, nous nous sommes considérablement enrichis en tant que collectivité. Pour la plupart des travailleurs, c’est une autre histoire...


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