L’avion, l’écolo et le paradoxe de Jevons
Tout commence par une banale recherche sur Internet pour préparer un voyage de Wiltsburg - Allemagne du Nord du côté de Hambourg à Besançon - France.
Voiture, train... je n'arrive pas trop à me décider.
Une dizaine d'années auparavant j'avais pris un train de nuit entre Francfort et Hambourg et fait le reste en train régional et bien que cela m'avait paru un tantinet longuet (de mémoire plus de 14 heures avec 4 changements) c'était moins fatiguant que de faire la route seul au volant.
Une décennie passant, l'envie de faire la route m'a aussi passé.
Je tape donc « Hambourg Besançon train » sur mon moteur de recherche favori et là je tombe sur cette annonce accrocheuse
Sur le site c'est différent, c'est plutôt 178 euros au minimum pour un aller simple !
On appâte le gogo avec une bonne accroche et dés qu'il se renseigne un peu...
C'est de bonne guerre, c'est qu'on appelle du chalandage en droit commercial.
Notez cependant qu'il est proposé Besançon gare TGV Franche-Comté. Pour ceux qui ne connaissent pas c'est à 30mn de voiture ou à 15 mn de train de la gare historique de Besançon.
Le gros avantage du train est de pouvoir arriver au cœur d'une ville puis de là utiliser les transports en commun locaux, voire le taxi ou ses jambes tout simplement (10km avec un sac à dos ne me faisait pas peur à l'époque).
Avec une gare TGV en pleine Pampa (inaugurée en 2011 avec sa belle page Wikipédia)... ravitaillée par les corbeaux de surcroît, si cela correspond bien à une volonté politique de désenclavement des régions, je ne suis pas sûr que cela réponde bien à sa réalité économique.
Ces deux vues de 2006 et de 2018 montrent bien que la région ne s'est absolument pas construite depuis si ce n'est l'emprise ferroviaire elle-même (copies d'écran Google Earth).
Vient se greffer là-dessus la durée d'amortissement de la construction de voies ferrées qui pile quand elles sont totalement amorties sont mises au rencart, remplacées par des lignes TGV : les spécialistes comptent entre 50 et 100 ans pour amortir une voie ferrée ou un tunnel - j'ai dû prendre ces chiffres chez nos amis suisses car Réseau Ferré de France est infoutu de mettre en ligne ces données pourtant simples.
Et après on s'étonne que la SNCF a des dettes records.
Nota : Au regard de ces durées le secteur privé se hâte de se détourner de ces investissements mais curieusement y revient dés qu'arrive l'instant de l'amortissement final et donc des dividendes ! (cf Flixtrain et dans d'autres domaines similaires AdP, FdJ, les autoroutes...)
Je poursuis mes recherches sur Internet cherchant le trajet le moins long, le moins fatiguant et le moins cher : autant chercher le mouton à 5 pattes avec une dent en or !
Et pourtant je l'ai trouvé. Il s'agit d'un judicieux combiné train-avion.
Et là foin des comparatifs foireux et dignes des meilleurs raquetteurs du 20ième siècle type Opodo, Lilio, Eurowings, Jetcost et autres eDreams vous avez Googleflights.
Ce site sobrement, rapidement et de façon extrêmement fiable vous donne en un visuel super pratique le tarif le moins cher.
Vous voyez ce vol à 35 euros aller et retour. Et direct en plus qui dure seulement 1h20 !
J'en suis écoeuré. Comment lutter contre ça ?
Même la voiture est moins chère que le moins cher des trains : Viamichelin (restons français quand cela est possible) m'indique directement les chiffres, à savoir 982 km en 9h20 pour un coût de 91,35 euros (lle litre d'essence étant à 1,56 euros) .
Seul le bus est moins cher si vous avez entre 14h45 ou 16h40 à perdre et ce pour une fourchette de prix oscillant entre 28 et 67 euros ! (Il faudra rajouter le trajet Bâle -Besançon qui dure encore 2h15).
Récapitulatif
Train seul (à noter que le Flixbus est considéré de nos jours comme un substitut officiel au train)
- 4 changements pour une durée de 12h21 et un prix de 262 euros aller.
Voiture
- Zéro changement pour une durée de 9h20 pour 982 km et un prix d'essence de 91,35 euros aller.
Bus
- 2 changements pour une durée de 17 heures en moyenne et un prix moyen de 70 euros aller.
Trajet avion-train combiné
- 5 changements pour une durée de 8h30 et un prix ultra bas de 70 euros aller simple.
Bien sûr j'ai choisi la dernière solution pour une date bien précise mais je vous garantis que je n'en ai trouvé aucune autre alliant tous les avantages qu'offre cette dernière. Seul le bus aurait pu dans certaines circonstances être moins cher, mais 23h de bus...Je n'ai plus vingt ans !
Le nœud du problème est le suivant. J'étais un écolo dans l'âme, un vrai, de celui qui l'est à la fois par conviction et par nature (les pauvres sont naturellement écolos et à mes débuts j'en étais vraiment un et j'en ai gardé l'esprit). Je portais ma petite auréole de celui qui émet la plus faible empreinte écologique possible afin que les générations futures puissent profiter de notre planète Terre ainsi que moi-même j'en avais profité.
Je comptais que mon comportement si minime soit-il par ses effets (voir la parabole du colibri) produirait un effet d'entraînement de par notre nombre. Je vous passe la revue de mon militantisme au travail, auprès des membres de ma famille...
Sombre idiot que j'étais !
En 2018 j'ai lu un article d'Antonio Turiel paru dans le Saker francophone qui m'a complètement retourné, converti au sens biblique du terme. J'ai compris à quel point j'étais dans l'erreur depuis de trop nombreuses années et à quel point les autres ont pu me prendre pour un délicieux pigeon.
Voici la notion clé, connue sous le nom de paradoxe de Jevons, qui m'a foudroyé de par sa simplicité. Ne faites pas l'impasse de lire cet article. Il est fondamental !
La vérité est qu’économiser une marchandise ou une ressource entraîne la baisse de son prix pour celui qui décide de la consommer.
Et son corollaire.
La réalité, c’est que l’essence que nous ne brûlons pas ne va pas dans une tirelire et qu’elle n’est pas enfouie sous terre pour que personne ne la brûle et ne produise pas de CO2. Elle se retrouve sur le marché, augmentant l’offre pour celui qui veut la brûler tout en entraînant la baisse de son prix.
Simple, magistral dans sa description du comportement humain.
Depuis j'ai encaissé la destruction de toutes mes certitudes et fort de mon petit pouvoir d'achat, je continue d'être économe-écologique quand cela continue de satisfaire mon ego. Mais j'ai décidé de voyager.
Comme l'avion est la solution la moins chère je la choisis tout en maudissant nos élites qui culpabilisent ceux qui ne peuvent se passer d'aller au travail en voiture alors que je brûle allègrement du kérosène non taxé. J'ai timidement exercé cette liberté nouvelle. Puis devant les prix pratiqués je me suis enhardi de plus en plus.
408 euros aller et retour pour un Hambourg-Shangai. Vous le croyez, vous ? Pour 8517 km ?
Sachant que pour un A350 la consommation équivalent en essence par passager sur une telle distance est de 192,48 litres soit à 1,5 euros le litre le calcul nous donne 288 euros l'aller en équivalent essence !
Alors que la Lufhansa n'en demande ici que 204 euros TTC et pas seulement pour le kérosène mais pour l'amortissement de l'avion, le salaire du pilote et tout le reste !
Ce calcul ne surprend personne ?
Trouver le prix du kérosène à la pompe si j'ose dire est très facile.
On apprend au préalable que ce carburant n'est ni taxé par la TVA ni par les TICPE.
Puis ce site vous donne les prix du marché du kérosène qui est de 1,68 euro au gallon (3,78l), soit 0,44 euro le litre au 02/10/2019.
Voilà tout est dit !
Je répète cette sentence messianique d'Antonio Turiel précité :
La vérité est qu’économiser une marchandise ou une ressource entraîne la baisse de son prix pour celui qui décide de la consommer.
Vous n'avez pas l'impression que quand vous grappillez la moindre goutte d'essence à au minimum 1,5 euro le litre chez Carrefour vous me rendez disponible du kérosène à 0,44 euro le litre ?
Hé bien c'est le cas !
On m'objectera que le kérosène ce n'est pas exactement pareil que de l'essence. Soit. Mais sachant que le ratio prix du kérosène/prix de l'essence est quasi toujours de 0,81 la corrélation est parfaite.
Prenez le temps sur ce site de comparer le prix -sur 10 ans- de n'importe quelle marchandise proposée par rapport au pétrole et vous verrez que la corrélation est toujours parfaite, avec quelques variations inférieures à +/- 20 %, ce qui est très faible.
Comme le martèle si bien Jean-Marc Jocanvici (notamment dans ses cours à Paris Tech) le prix de presque n'importe quelle production humaine est directement corrélée au prix du pétrole brut car elle est totalement tributaire de machines. Et les machines ça consomme de l'énergie. Comme l'énergie c'est le pétrole à plus de 80 % pour ce type de production, la boucle est bouclée.
On voit aussi nettement que les prix de l'essence et du kérosène sont -bruts d'impôt- en octobre 2019 identiques à ceux de mai 2009. Vous n'avez pas l'impression de vous faire avoir en beauté à la pompe ces temps-ci ?
Le gilet jaune dans sa Province profonde paie en fait les déplacements en jet des bobos urbains et ressemble de plus en plus à cette pauvre chèvre au piquet, généreusement protégée du froid par cette belle chemise !
Quant au prolétariat du reste du monde il consomme allègrement du charbon et du pétrole sans aucun scrupule et sans aucune retenue vis à vis de la sacro-sainte empreinte carbone.
Greta qui ?
C'est ça le fin mot de l'histoire !