Ours et loup : boucs émissaires des éleveurs
350 personnes, élus et éleveurs des six départements des Pyrénées, ont manifesté vendredi 10 mars contre l’introduction de cinq nouveaux ours slovènes dans le massif pyrénéen, arguant que la présence du plantigrade nuit à leur activité économique. Les efforts du gouvernement et des associations écologistes qui oeuvrent à rendre pérenne la réintroduction de l’ours brun ne sont ni appréciés ni compris par les « professionnels » de la montagne, ou tout du moins par une partie d’entre eux.
Comme pour le loup dans le massif alpin et le lynx, l’ours révèle en fait des méthodes d’élevage qui ne sont pas compatibles avec la présence de grands prédateurs, qui trouvent dans les troupeaux des proies faciles. Souvent livrées à elles-mêmes, les bêtes subissent des attaques dont une partie est imputable à ces animaux sauvages. Mais bien souvent, chiens errants et orages violents font bien plus de dégâts, ce que seuls les écologistes relèvent. En effet, pour l’année 2005, 3665 brebis ont été indemnisées pour environ 900 attaques, alors que dans le même temps, 100 à 200 000 brebis étaient victimes de chiens errants. Des chiffres qui ne permettent pas de comprendre le battage orchestré par les éleveurs, sauf à considérer que seules les attaques de loups sont indemnisées. Comme il est difficile de caractériser ces attaques (la plupart des attaques étant seulement classées « grands canidés »), crier au loup en fait un très bon « bouc émissaire ».
La cohabitation est pourtant possible, comme le prouvent les éleveurs italiens et espagnols, mais la présence de l’homme ou d’un chien (dissuasive puisque 90% des attaques ont lieu en leur absence) est requise, ce que certains éleveurs français refusent de mettre en place.
Le cas de l’ours n’est pas différent.
Quel est le bilan de l’année 2005 ? Selon le rapport d’activité des techniciens pastoraux itinérants (1), sur les 9 premiers mois de l’année, 37 attaques tuant 50 ovins en Haute Ariège et 15 attaques tuant 28 ovins étaient recensées. En Haute Ariège, deux dérochages, faisant respectivement 5 et 159 bêtes tuées, étaient relevés. Le second était toutefois indemnisé au bénéfice du doute et sur la bonne foi de l’éleveur déclarant avoir aperçu un ours la veille de l’accident, sans qu’aucune trace probante ne vienne étayer ses déclarations.
Un rapport qui relève que « depuis plusieurs années, la cohabitation ours-pastoralisme est problématique et conflictuelle en Ariège. On peut constater qu’il y a peu de corrélation entre le nombre de dégâts et l’hostilité rencontrée sur le terrain. Certains éleveurs appuyés par des élus locaux s’évertuent à saborder toute tentative de cohabitation. On constate des menaces non dissimulées à l’encontre des éleveurs qui seraient prêts à mettre des mesures de protection en place. Les opposants au programme de réintroduction se sont illustrés par leur virulence lors des Automnales du pays de l’ours. »
Lourd de sens, ce constat accablant révèle que l’ours est au coeur de conflits qui le dépassent.
Pourquoi une telle opposition à la mise en place de mesure de protection, allant, aux dires des auteurs du rapport, jusqu’aux menaces ? Il est à craindre que l’ours et le loup ne soient le meilleur moyen de compenser une partie des pertes que les conditions d’élevage modernes induisent. Sensibilisé par des manifestations de force, l’Etat est peut-être plus enclin à classer « imputés aux ours et aux loups » les attaques et les dérochages qui se produisent chaque année en estive, ce qu’il ne ferait plus avec autant de bonne grâce si les mesures de protection préconisées étaient mises en place.
Une pression qui aujourd’hui redouble sur le gouvernement, alors que sont annoncées pour juillet prochain cinq nouvelles réintroductions slovènes. Défilant avec des pancartes indiquant : « C’est pas à nous de nourrir les ours », les opposants ont montré, malgré leur faible nombre, leur détermination. A l’image du président du Conseil général de l’Ariège, Augustin Bonrepaux, qui prévenait : « Si le gouvernement ne recule pas, ça se passera mal ».
Depuis qu’un chasseur a abattu Cannelle, la dernière représentante de la race pyrénéenne du plantigrade, le bras de fer n’a pas cessé entre les quelques éleveurs opposés à l’ours et le ministère de l’environnement et les associations écologiques. Les intérêts économiques des uns sont pourtant compatibles - comme le montrent de nombreux pays - aux objectifs de maintien de la biodiversité des autres. Mais dans les Alpes comme dans les Pyrénées, les élus locaux ont une carte à jouer en s’opposant à l’ours et au loup, en s’appuyant sur une profession ancrée dans les territoires de montagnes. La peur du loup et de l’ours reste donc un bon fonds de commerce, en particulier de commerce électoral.
Sources :
Ministère de l’environnement et du développement durable
(1) Rapport d’activité des techniciens pastoraux itinérants : saison 2005