mercredi 26 septembre 2012 - par Michel DROUET

Les limites de la réforme des collectivités locales

Comment réformer les collectivités territoriales sans pour autant désespérer les élus, le monde économique, tout en favorisant les économies budgétaires ?

Telle est la question que doit se poser Madame Lebranchu, Ministre chargée de cette réforme au moment où elle met la dernière touche au projet de loi qui sera proposé prochainement au Conseil des Ministres.

 

Les élus

La caractéristique de toute réforme devant faire l’objet d’une loi, c’est qu’elle devra être votée par ceux à qui elle devra s’appliquer. Compte tenu du nombre de cumulards de mandats à l’assemblée Nationale et au Sénat, il ne faut donc pas s’attendre à une avalanche d’amendements visant à renforcer le texte gouvernemental mais plutôt à un front uni gauche-droite destiné à le vider de son sens.

Pas question donc pour le gouvernement d’envisager dans ce projet la suppression d’une collectivité territoriale qui nécessiterait une réforme constitutionnelle et une majorité impossible à trouver au congrès. Il faudra donc se contenter de l’empilement actuel de collectivités et d’établissements publics de coopération intercommunale divers et variés auquel le citoyen de base n’y comprend plus rien.

Tout ce système de gouvernance locale fait le jeu des cumulards qui nous expliquent, à tort, que l’ancrage local est nécessaire pour voter de bonnes lois à l’Assemblée Nationale, ce qui est une imposture.

Le cumul favorise le clientélisme local pour des élus qui ont fait de la politique leur métier et qui par conséquent sont de plus en plus coupés de la réalité de terrain

Le cumul favorise l’absentéisme dans les assemblées locales ainsi que l’inflation des dépenses de collaborateurs parlementaires et de cabinets dans les exécutifs locaux.

Le cumul entretien l’illusion pour le citoyen mal informé qu’il pourra obtenir des passe-droits ou des dérogations.

Le système de la réserve parlementaire qui consiste pour les députés et les sénateurs, cumulards ou non, à subventionner de manière discrétionnaire des projets locaux, n’est que la survivance d’un système électoraliste et clientéliste qui injure la démocratie.

Tout cela pour dire que les élus et les partis politiques qui font leur miel de ce système n’ont aucun intérêt à ce que les choses changent en profondeur.

 

Le monde économique et social

En coulisse, les lobbies du monde économique et social commencent à s’agiter. Tous les secteurs concernés par la vie des collectivités territoriales susceptibles d’être touchés par la réforme, que ce soit par une réduction des dépenses ou des transferts d’une collectivité à l’autre font l’objet de la part de ces lobbies qui protègent le statu quo, d’intenses manœuvres, (le bâtiment, les travaux publics, les transports collectifs, la distribution de l’au et l’assainissement, les bureaux d’études, le monde associatif qui profite des subventions parfois au-delà de ce qui est nécessaire, les organisations syndicales des personnels territoriaux et associatifs conventionnés, etc…)

Imaginons un réseau routier avec moins de ronds-points, des collectivités qui prendraient en charge en régie la gestion et la distribution de l’eau, qui n’auraient jamais recours aux scandaleux Partenariats Publics Privés, des collectivités qui mettraient en avant les économies budgétaires au détriment de programmes de prestige dispendieux. C’est tout bonnement impossible pour ces lobbies qui se contrefichent que le citoyen puisse être séduit par ce programme.

De réunions en rencontres plus ou moins informelles, ils font donc miroiter le scénario catastrophique des suppressions d’emplois qu’un tel programme engendrerait, suppressions dont les élus porteraient la responsabilité ce qui serait bien entendu préjudiciable pour leur réélection.

La politique est un métier et pour durer il faut savoir faire des compromis et parfois des compromissions. C’est ce qui amène nos élus à tartiner sur la part des collectivités territoriales dans l’investissement public en France (75%), en oubliant de préciser que cela ne représente pas grand-chose à l’échelle du P.I.B., mais que cela se retrouve tout de même sur la feuille d’impôts locaux.

 

Les économies budgétaires

Au début de la crise, nos élus locaux on commencé à tailler dans les dépenses de réception, en mettant du cidre à la place du mousseux, autrement dit en se moquant de nous. Par la suite, certains ont découvert que leurs services avaient en leur possession du matériel inutilisé et que l’on pouvait vendre, bel aveu d’incompétence et d’incapacité à gérer.

Ils ne se sont pas interrogés sur l’inflation des dépenses de personnel liées aux transferts de compétences avec les intercommunalités et ont créé des postes supplémentaires, là où des transferts de personnels communaux étaient possibles : on touche là à ce qu’on appelle pudiquement « le maintien de la paix sociale » si importante pour le renouvellement des mandats.

Placés aujourd’hui devant une équation budgétaire difficile à résoudre, ils commencent à tailler un peu dans les programmes d’investissement, et tant pis si le personnel territorial est sous-utilisé : on fait le gros dos en attendant des jours meilleurs et on ne fait pas preuve d’inventivité pour développer le service en milieu rural, par exemple.

S’agissant des élus nationaux, le député René Dosières (apparenté P.S.) a publié un ouvrage ciblant les économies réalisables sur le train de vie des élus et des collectivités locales.

Dont acte, ces propositions ont le mérite d’exister, mais lorsqu’on rentre dans le détail on ne voit pas comment elles seraient à même de résoudre les problèmes financiers du pays. On est souvent dans le cosmétique (les avantages en nature des élus, par exemple), et de la stipulation pour autrui (M. Dosières propose de supprimer la réserve parlementaire des sénateurs mais pas celle des députés). Il évoque cependant le non cumul des mandats, de revoir les modalités l’attribution de l’indemnité de frais de mandat des élus (le Président de l’Assemblée Nationale vient d’annoncer la diminution de cette indemnité) et de transformer les communes en communautés (autant dire qu’il prêche dans le vide sur ce sujet et qu’il ne sera suivi par aucun élu local).

Tout cela est-il à la hauteur des enjeux budgétaires ? Non : on amuse la galerie en promulguant une mesurette ou deux pour satisfaire le bon peuple qui ne sait pas, qui ne sait plus où sont les enjeux compte tenu de la complexité du système, du poids des lobbies et des intérêts économiques qu’ils représentent.

La démocratie attendra !

 

Quel projet de loi ?

On peut supposer que ce gouvernement, comme ceux qui l’ont précédé, pris dans les mailles du système économique et financier qui nous environne, n’ait pas envie de se faire hara kiri en réformant en profondeur les collectivités territoriales et leurs satellites et en mécontentant les élus locaux, base d’un système de conquête du pouvoir.

On ne parle donc pas de réforme mais de « nouvel acte de la décentralisation », dans lequel on ne touchera sans doute pas à l’empilement du mille feuille, mais on se contentera de préciser les compétences de chacun des niveaux afin d’éviter que tout le monde s’occupe de tout comme c’est le cas actuellement.

Il est possible que l’intercommunalité sorte renforcée de ce dispositif à venir et que les doublons avec les communes soient supprimés.

Il est possible également que les régions héritent de missions économiques, d’emploi et d’aménagement du territoire importantes, les départements et les intercommunalités se recentrant sur d’autres missions.

Au final, le rôle des régions et des intercommunalités étant renforcé, ce sont les départements qui devraient perdre de leur influence, et se voir confier comme compétence quasi exclusive la solidarité (action sociale, handicapés, enfance famille) et l’assistance de proximité (ingénierie des intercommunalités dans la mise en œuvre de leurs politiques).

Plus tard, beaucoup plus tard, on fera une petite loi sur le cumul des mandats, alors que cette loi aurait du précéder le « nouvel acte de décentralisation » afin de bâtir un système cohérent et compréhensible pour tout le monde : une démarche citoyenne en quelque sorte… 



13 réactions


  • Jason Jason 26 septembre 2012 14:21


    Ah que le millefeuille français est délicieux ! Les gens bien intentionnés vont faire une délicieuse sauce anglaise sur ce gâteau, et tout repartira comme devant.

    Réformer les collectivités locales ? Autant demander à un Dracula de cesser d’être le président de la banque de transfusion sanguine !

    A quand le projet de supprimer 18.000 des 36 ;000 communes, et en premier lieu celles de moins de 500 habitants ? Il faudrait un 18 Brumaire avec comme mot d’ordre : foutez-moi tout ce monde-là dehors. Mais, on connaît la suite des coups d’Etat.

    Il nous faudrait une démocratie génétiquement modifiée.


    • Michel DROUET Michel DROUET 27 septembre 2012 09:39

      Bonjour Jason

      Les petites communes sont maintenues sous perfusion par le Conseil Général dont c’est le fonds de commerce.

      Il faut aller plus loin dans l’intégration de ces petites communes en transférant l’essentiel des compétences communales vers l’intercommunalité (élargie par rapport à ce qu’elle est aujourd’hui) et en laissant au niveau communal ce qui relève du service de proximité avec le citoyen.

      Dans cette hypothèse, le conseil général ne conserverait plus comme compétence que l’action sociale, les collèges, les transports et les routes étant transférées à la Région, déjà compétente en partie sur ces domaines.


  • bernard29 bernard29 26 septembre 2012 17:33

    Madame le Branchu est bien gentille, mais elle n’aucune créativité et le courage politique nécessaire dans une telle aventure n’est pas son fort, mais elle pipelette pas mal. c’est d’ailleurs pour cela qu’elle a eu ce poste. 


    • Michel DROUET Michel DROUET 27 septembre 2012 09:29

      Bonjour Bernard29

      Ses sorties sur la nouvelle étape de la décentralisation cet été dans les colonnes de Ouest France ne plaident pas en effet en sa faveur.

      En off, lors des journées du PS à la Rochelle elle a toutefois affirmé « Il faut arrêter de dire que la dépense publique plombe la croissance ». Sur ce point je ne peux pas lui donner tort


    • bernard29 bernard29 27 septembre 2012 10:37

      oui, j’avais lu. Je suis sûr que son rapport sera trés épais et trés bavard, et le résultat sera à la hauteur des coups de vent d’automne. Parlons de tout, touillons tout ça, listons les énormes contraintes, les avantages peu crédibles, les intérêts minimes de tout changement, ne ménageons pas nos effets de sincérité, et on pourra dire que le travail a été fait jusqu’au prochain rapport et qu’on n’aura pas démérité de la République.


    • bernard29 bernard29 27 septembre 2012 11:10

      J’ai une question à vous poser , car j’ai vu que vous étiez ancien directeur territorial. 

      je crois que les élus des collectivités locales ont déjà senti qu’il y aurait un petit problème avec le mille feuille traditionnel (Les SIVOMs et SIVUs en feront sans doute les frais au bénéfice des communautés de communes ). Ils ont donc déjà prévu autre chose. Maintenant il y a les « Pays » et « les associations de villes » qui se multiplient à vitesse grand V. « Association des Métropoles de l’Ouest », « association des villes moyennes de bretagne », « association des petites villes rurales » etc etc .. et je ne compte pas toutes les associaitons diverses et variées selon le domaine concerné ( le meilleur étant bien sûr le tourisme, grand pouvoyeur de GIEs ou d’organismes multilatéraux..).
      qu’en pensez vous ?

      Sans doute tout cela peut avoir des intérêts ( « le pays » en particulier en Bretagne) , mais la création de toutes ces entités revient en fait à détacher des compétences des contraintes et de la légitimité démocratique. On crée ses propres lobbys, même si les sujets sont intéressants. Il semble ainsi que chaque collectivité démocratique cherche à externaliser ses compétences , et le citoyen la-dedans il n’en peut mais. En plus on va nous parler de bassin d’emploi, de bassins de vie, de bassins de projets.

      De fait cette complexification exagérée, fait que le pauvre citoyen ne peut plus parler d’autre chose que de la hauteur de la traduction sur sa feuille d’impôt, mais pour le reste, il n’est plus concerné.
       


    • Michel DROUET Michel DROUET 27 septembre 2012 11:52

      Bonjour Bernard29

      Les associations diverses et variées (communes départements régions agglo intercos) ne sont rien d’autres que des lobbies qui font de l’entrisme dans les Ministères pour dire qu’ils sont les meilleurs les plus beaux et les plus performants et qu’il ne faut surtout pas toucher aux intérêts qu’ils représentent (ils sont particulièrement actifs en ce moment)

      Ce sont aussi, tout de même, des lieux d’échanges de pratiques sur les politiques territoriales et en ce sens elles apportent quelque chose (il ne faut pas être totalement négatif).

      Les Pays sont des entités juridiques créés par une loi (je ne sais plus laquelle) et qui sont des espaces de projets entre les différentes intercommunalités comprises dans leurs périmètres respectifs.

      Les Pays n’ont pas le statut de collectivités territoriales mais ce sont, je crois, des Groupements d’Intérêt Public (GIP)

      Pour ma part, je considère que les Pays seraient le cadre idéal pour l’intercommunalité et cela limiterait le nombre de ces intercos à 6 ou 7 par Département contre 25/30 intercommunalités (exemple de l’Ille et Vilaine) .

      Cela éviterait d’avoir des intercommunalités de 5000 habitants qui n’ont aucun moyen de faire du développement local et restent donc sous la dépendance des Départements, mais encore faut-il que les élus le veuillent...(toujours le même problème : ce sont les élus qui se réunissent en fonction bien souvent de considération de chapelles et non en fonction de l’intérêt des citoyens).

      Ces pays pourraient prendre également toutes les compétences exercées par les SIVU et SIVOM divers et variés et dont les découpages territoriaux relèvent parfois de la grande fantaisie (pb de chapelle et d’appartenance politique là aussi).

      Les commissions départementales de la coopération intercommunale chargées d’épurer le paysage des SIVU et des SIVOM ont rendu leurs conclusions fin décembre comme le prévoyait la loi votée par l’ancienne majorité en décembre 2010.

      Bilan : pas grand chose dans l’immédiat. On attend la fin des mandats municipaux en 2014 pour éventuellement dissoudre certains syndicats qui ne servent plus à grand chose et dont les compétences pourraient être exercées par des intercos dans un cadre élargi. (Touche pas à mon mandat et à mes privilèges, en quelque sorte...)

      Les CDCI sont composées exclusivement d’élus locaux : ceci explique cela. Le citoyen n’est pas convié. Il a juste le droit de payer les impôts locaux et les différentes taxes (assainissement, eaux,...) payées aux exploitants (Véolia et consorts) et on prend bien soin de ne pas l’informer sur cette situation.


    • bernard29 bernard29 27 septembre 2012 13:16

      oui, je suis d’accord avec vous sur les structures montées pour la recherche de subventions supplémentaires.

      Je ne suis pas négatif concernant « les Pays » au contraire même. ces espaces ont beaucoup d’intérêt pour réflechir à l’avenir (espace de projets) et ils sont assis sur une réalité historique à ne pas négliger. (Cornouaille, Léon... etc , pour ne parler que du Finistère.), hormis le fait qu’une trop grosse structuration conduirait à une nouvelle feuille du mille feuilles."


    • Jason Jason 27 septembre 2012 14:19

      M.Drouet, vous avez tout bon, mais qui va mettre en oeuvre ces changements ?

       Il y a tant de mairies qui ne servent à rien, sinon à brasser des paperasses que la mairie d’à côté, d’un village plus important, pourrait traiter.

      Quant aux SIVOM et aux SPANC, ils prélèvent des taxes parafiscales dans une opacité remarquable. Leur retirer leur bout de gras ? Je vois les manoeuvres d’ici.


    • Michel DROUET Michel DROUET 27 septembre 2012 20:31

      Bonjour Jason

       

      Qui ? Voilà bien le problème

      Ceux qui profitent du système sont ceux qui le votent.

      A moins d’une crise financière majeure qui obligerait l’Etat à diminuer ses dotations aux collectivités territoriales (54 Milliards d’euros par an tout de même) je ne vois pas les choses changer à court terme, et encore les élus locaux seraient capable de justifier les hausses d’impôts locaux pour compenser cette diminution.

      Pour l’instant, je continue à faire de la pédagogie...


  • kalagan75 27 septembre 2012 08:48

    Un bon résumé de la situation. On a l’administration que l’on mérite à l’image de notre société où règne le clientélisme .
    Tout le monde a reproché à sarko d’avoir supprimé 32 000 postes de fonctionnaires en 2010 , la même année les collectivités locales ont embauché 33 000 personnes en plus des transferts de compétence de l’état ...


  • Michel DROUET Michel DROUET 27 septembre 2012 09:33

    Bonjour Kalagan

    Ce n’est pas l’administration elle même qui est à incriminer

    L’administration avec des effectifs trop importants dans certains secteurs (l’intercommunalité, par exemple) et trop faible dans d’autres (Inspection du travail, par exemple), n’est que le reflet des décisions prises par les élus, de leurs renoncements et de leur inaptitude crasse à manager du personnel.


    • kalagan75 27 septembre 2012 13:18

      je ne suis pas tout à fait d’accord : il suffit de regarder comment est « managée » notre administration ; on ne récompense jamais le fonctionnaire vertueux qui fait correctement son boulot ou celui qui va dénoncer les magouilles et gaspillages quotidiens . Le management repose lui aussi sur le clientélisme et particulièrement au niveau local .


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