mardi 13 juillet 2010 - par pierre luton

Martyr du bitume

Salarié d’Eurovia, José-Francisco Andrade-Serrano, travailleur du bitume, a fini sa vie défiguré*, emporté par un cancer foudroyant. Sa famille a obtenu la faute inexcusable. Son fils, Luis, a accepté de témoigner. Une affaire qui relance l’inquiétude sur la composition réelle du bitume et sur les produits de substitution.

*(nos photos avant et pendant sa maladie fournies par sa famille).

Au début, en 2006, ça a commencé par un bouton, une sorte de grain de beauté, qui le démangeait sur le nez. José-Francisco Andrade-Serrano est allé voir son médecin qui l’a envoyé chez un dermatologue. Très vite, il a fallu l’opérer ; il souffrait d’une forme de cancer de la peau très évolutive. «  On lui a retiré un morceau de nez, il a subi rayons, chimiothérapie et encore d’autres interventions toutes aussi défigurantes », témoigne Luis, son fils. « Papa, il l’a dit à plusieurs reprises : “ faudra pas les laisser s’en sortir comme cela ! ” »
 
Pourtant, jusqu’au diagnostic du médecin, jamais il n’aurait imaginé que ses employeurs puissent l’exposer ainsi. « Mon père n’avait pas fait la relation entre son travail et sa maladie. C’est le Pr Thomas à Lyon qui lui a confirmé que ce lien existait bel et bien. Il a été reconnu en maladie professionnelle, hors tableaux, en 2007. »

Faute inexcusable

La famille Andrade a décidé de porter l’affaire devant le tribunal des affaires de sécurité sociale (Tass) de Bourg-en-Bresse. Un procès qui a fait grand bruit puisqu’il a abouti, le 10 mai dernier, à la condamnation d’Eurovia, filiale du groupe Vinci, son employeur, pour faute inexcusable. Une première : le tribunal a reconnu le lien entre le cancer de la peau qui a violemment emporté M. Andrade-Serrano et son exposition au bitume, tout en y mêlant son exposition aux U. V. du soleil. Eurovia a fait appel.

La procédure devant le Tass n’a pas traîné, puisque José-Francisco Andrade-Serrano est mort le 3 juillet 2008 après deux années de supplice. Il a travaillé 22 ans chez Eurovia. Portugais d’origine, il est arrivé en France en 1978. " Il venait juste d’obtenir sa nationalité, remarque Luis, dépité. Il travaillait comme épandeur-vannier : il se trouvait juste derrière le camion. Il rentrait moucheté de bitume, se mouchait noir et gras. C’était une tâche rude, salissante, certes, mais pas considérée comme dangereuse."

«  Pourtant, au cours du procès, on a appris que l’Allemagne et les États-Unis ont banni l’utilisation du bitume. » « On ne sait pas non plus avec quoi on travaille », témoigne aussi Frédéric Mau, délégué syndical Centrale CGT Eurovia (Vinci) Bretagne.

Silence radio

« Certains racontent qu’on rajoute du mâchefer, c’est-à-dire des ordures ménagères, dans le bitume. Ça fait des années qu’on réclame aussi la carte des routes où il y aurait de l’amiante dans les revêtements. » Silence radio. « D’un côté, poursuit Frédéric Mau qui a témoigné au Tass de Bourg-en-Bresse, on subit des taux de mortalité importants, de l’autre on se cache derrière des secrets de fabrication. » Il y a de quoi nourrir la suspicion !
 
« Plus fort encore : on sait qu’il existe une autre matière moins dangereuse que l’on pourrait travailler à des températures plus basses. On n’en voit pas la couleur !  » En attendant, la CGT a saisi L’Agence française de sécurité sanitaire de l’environnement et du travail (Afsset) qui va évaluer les risques pour la santé des travailleurs liés à l’usage des bitumes. « Je crois qu’on gagnera sur le plan judiciaire. J’espère que la victoire de la famille Andrade encouragera les autres. »

« Mon papa a beaucoup souffert, reprend Luis Andrade. À la fin, il a refusé une dernière opération trop radicale à son goût. Il n’imaginait pas vivre caché, cloîtré, sans pouvoir se laisser approcher de ses petits enfants. » « Pour nous, ma mère, ma soeur et mon frère, cela n’a pas été facile de mettre notre histoire et celle de notre père sur la place publique et d’en parler, conclut Luis. Mais on a accepté de “ jouer le jeu ”. Il faut que cela serve à quelque chose ; cela devrait faire bouger les gens, d’autant que l’opinion publique a beaucoup joué en notre faveur ! »
 
 
Pierre LUTON
 
 
Un produit mélangé à des composants cancérigènes

« Ce dossier concerne 40 000 salariés ; que des petites gens exposés, des étrangers à 90 % », nous explique Me Jean-Jacques Rinck, avocat à Lyon, qui a défendu la famille Andrade. « Vinci Eurovia c’est un titan mondial du BTP ! Mais on a été aidés par le Pr Thomas, dermatologue à Lyon, qui a soigné M. Andrade. On a pu ainsi montrer le lien de causalité entre sa maladie, sa mort et l’exposition au produit et on s’est appuyé sur des rapports du Centre international de recherche sur le cancer (Circ) et de la caisse régionale d’assurance maladie (Cram) de Bretagne. Le bitume, c’est un produit pourri, issu des fonds de cuve de raffinage. Le tribunal a considéré que la direction ne pouvait pas ne pas savoir et n’a rien fait pour protéger son salarié. Vinci a prétendu que le bitume froid n’était pas cancérigène, mais a oublié de dire qu’il est épandu à chaud sous le soleil sans oublier les produits qu’on lui adjoint pour le fluidifier (HAP), et ces produits sont hautement cancérigènes !  »
 

Témoignage paru dans le journal de la FNATH, "A part entière" (mai 2010). Pour en savoir plus : www.fnath.org



10 réactions


  • foufouille foufouille 13 juillet 2010 11:23

    ces travailleurs mangent, par tradition, du roti cuit dans du bitume !


  • mojique mojique 13 juillet 2010 12:10

    Si on mettait un peu la clique de l’Élysée à ce genre de boulot, peut-être qu’ils changeraient d’avis sur l’allongement de temps de travail.


  • Clojea CLOJEA 13 juillet 2010 12:44

    Ce qui est navrant, c’est que des employeurs non conscienceux exposent des gens à des dangers incroyables, sans les prévenir de quoi que ce soit. A l’heure ou les débats font rage sur la sécurité dans les entreprises, je ne comprends même pas que cette personne n’ait pas été averti par l’entreprise des dangers qu’elle encourait. De plus, l’entreprise est criminelle, car face à des dangers comme celui expliqué, il faudrait que le personnel puisse permuter et aussi qu’il puisse avoir une protection efficace. Ou sont les commissions de sécurité si promptent soi disant à dénoncer ce genre de risques ???


    • Annie 13 juillet 2010 21:04

      Je crois que vous faites erreur. Tout est une question de rentabilité, et les entreprises qui font face à ce genre de problème font souvent leurs calculs afin de savoir ce qui coûte moins cher : indemniser des travailleurs, changer les pratiques de travail ou encore assumer les risques réputationnels. Cela est aussi vrai des accidents d’avion et des recommandations qui s’ensuivent. J’imagine que dans le cas de travailleurs immigrés, c’était un risque qui financièrement valait la peine d’être pris. 


    • Clojea CLOJEA 14 juillet 2010 08:19

      @ Annie : C’est vrai, mais ça n’empêche pas que c’est ignoble, alors que les commissions de sécurités sont si promptes à vérifier les petits commerçants, ou restaurateurs ou hôteliers.... Mais, les « hotels dortoirs » ou les gens sont entassés à 15 par pièce, sans conditions d’hygiène et de sécurité, le tout connu des préfectures, et là, magie personne ne dit rien. Curieux .... Evidemment le jour ou ca brûle, comme cela a été le cas, tout le monde fait l’étonné. Comment cela était possible ? Ca alors, personne ne savait qu’ils dormaient à 15 par pièces... Quelle hypocrisie.


  • ELCHETORIX 13 juillet 2010 16:21

    Du martyr du peuple d’en-bas et ses souffrances ignorées , occultées par les médias de merde !
    bon article , l’auteur .
    RA .


  • jaja jaja 13 juillet 2010 20:16

    Encore un de plus qui a perdu sa vie à la gagner. C’est l’été et cette merde continuera d’être répandue sur nos routes. D’autres travailleurs mourront. Il y aura d’autres procès et certains gagnés post-mortem...

    Mais qui interdira ces produits au profit d’autres moins toxiques ? Qui sinon les travailleurs eux-mêmes dès qu’ils le pourront ?


  • adeline 13 juillet 2010 20:40

    j’en était sure que aprés l’amiante il y aurait le bytume
    c’était évident, paix à ces gens qui ont construit nos routes


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