lundi 20 novembre 2006 - par Danic

La machine à créativité, interview de Stephen Thaler

Inventeur d’une nouvelle méthode d’utilisation des réseaux neuronaux, Stephen Thaler a déposé pas moins de vingt brevets autour de sa machine de créativité, dont il prétend qu’elle pourrait permettre à des robots d’apprendre, et d’évoluer par eux-mêmes...

Qu’est-ce qui distingue la machine de créativité d’autres expériences visant à amener une machine à une action intelligente ?

À mon sens, jusqu’à présent, il n’y a jamais eu de comportement intelligent dans les robots. Ils se sont comportés comme des "poupées high tech" impliquant soit un contrôle par des opérateurs humains, soit l’écriture d’algorithmes complexes à base de règles issues de l’esprit humain. En résultat, le comportement des robots, s’il peut paraître impressionnant, n’est que le fruit de "script" qui parodient l’intelligence animale.

Pour en sortir, il faut que les réseaux neuronaux fassent quelque chose que les réseaux traditionnels ne peuvent faire. Ces derniers ne peuvent générer aisément des idées et des stratégies se trouvant en dehors de l’expérience. Si des organismes sont simplement pré-programmés pour réagir d’une certaine façon à certain scénarios, ils s’avèrent inflexibles et ont du mal à s’adapter à des conditions environnementales changeantes. Les organismes qui réussisent doivent manifester de la créativité, inventer de nouveaux concepts et plans d’action afin de répondre aux changements de l’environnement.

La "machine de créativité" permet à des réseaux neuronaux artificiels de se montrer créatifs : ils peuvent engendrer de nouveaux modèles de comportements qui s’écartent des actions habituelles. C’est ce principe directeur qui va permettre aux robots d’inventer de nouvelles actions (par exemple, tomber dans un trou boueux et inventer une nouvelle séquence d’actions pour s’en sortir)...

Qu’est-ce qui vous a permis d’en découvrir les principes ?

Mes expériences remontent au début des années 1970, alors que j’effectuais quelques expériences à partir des premiers réseaux neuronaux artificiels. Au cours des années 1980, j’ai réalisé qu’en introduisant le niveau adéquat de dégradation dans le réseau, il en résultait quelque chose de comparable à des idées sensées, dérivées de l’espace conceptuel sur lequel ils avaient été entraînés. J’ai par la suite découvert quels étaient les régimes optimaux de perturbation de tels réseaux neuronaux qui optimiseraient la production d’idées potentiellement bonnes. Je les ai suffisamment maîtrisés pour qu’il soit possible de produire de nouvelles découvertes conceptuelles telles que des produits d’hygiène personnelle commercialisables, de la musique originale, des composés chimiques, des découvertes linguistiques... C’est à peu près à ce moment que j’ai commencé à introduire toute une gamme d’effets de feedback, analogue à des "facteurs de frustration". À défaut de percevoir l’émergence d’un modèle intéressant, la machine commande un accroissement du nombre ou de l’amplitude des perturbations, afin de maintenir une agitation, jusqu’à ce que l’on arrive à un concept utile. Par la suite, la machine a appris à placer intelligemment de telles perturbations. Et c’est devenu la "machine de créativité".

En bref, la machine de créativité a inventé une méthode qui permet à un réseau neuronal de s’auto-entraîner, sans avoir recours à un algorithme d’entraînement explicite. L’architecture consiste en un réseau neuronal "non entraîné" associé à un autre réseau qui est "l’entraîneur". De cette façon, la machine peut s’auto-expérimenter afin de confirmer si les stratégies inventées ont produit l’effet désiré. Elle peut alors réabsorber cette expérience et atteindre de plus hauts niveaux de compétences. Il est donc possible de construire des processeurs de robots capables de partir d’une absence d’expérience vers des niveaux de maîtrise de plus en plus élevés.

Vous affirmez que la machine de créativité serait la solution idéale pour créer des robots à auto-apprentissage. Pouvez-vous en donner des exemples concrets ?

Les robots doivent rapidement expérimenter des stratégies alternatives puis apprendre à sélectionner les comportements infructueux, tout en renforçant ceux qui s’avèrent fructueux. Par conséquent des robots à auto-apprentissage doivent être capables de cycles répétitifs de création de comportement puis d’apprentissage des modèles à succès, si possible, sans que des humains les ralentissent ou biaisent de tels choix. Or, au niveau de la phase de génération de stratégies, je ne peux imaginer une méthode plus rapide que la machine de créativité. Prenons un bras robotisé à six axes. Si un réseau neuronal observe la gamme de mouvements d’un tel bras, il sait automatiquement où se trouve la pince. Il écrit une équation de mouvement implicite du bras en tenant compte des poids de connexion, sans avoir à se reposer sur un professeur de physique. Pour que la pince se pose sur une cible particulière jamais vue auparavant, il est possible d’introduire des perturbations synaptiques internes pour produire de nouveaux signaux, adaptés de ceux qu’il a expérimentés auparavant. Par la suite, la machine de créativité s’auto-organise pour optimiser son taux d’apprentissage en situation.

Vous dites aussi que la machine de créativité a été distinguée par des officiels de haut de niveau de la NASA comme le meilleur pari en matière d’IA. Qui sont ces officiels de la NASA ?

Le plus grand avocat de cette technologie a été le Dr Dennis Bushell, ingénieur en chef (chief scientist) de la NASA à Langley qui a inclus la machine de créativité dans un grand nombre des présentations qu’il a données dans le monde. Nous sommes toutefois entrés en désaccord concernant leur rôle dans le futur de l’IA. Un autre supporter à la NASA est Ahmad Noor, qui entrevoit l’immense potentiel des machines de créativité dans l’exploration spaciale avec des véhicules qui peuvent s’auto-adapter à la détérioration durant leurs missions.

Propos recueillis par Daniel Ichbiah



24 réactions


  • Cochonouh Cochonouh 20 novembre 2006 10:08

    Super intéressant.

    À quand la révolte des machines ?


  • La Taverne des Poètes 20 novembre 2006 11:08

    Poète va devenir un métier d’avenir, car c’est l’un des rares métiers où la concurrence d’amas frigide de circuits intégrés n’est pas à craindre.

    Humoriste aussi... smiley


  • rjolly (---.---.227.38) 20 novembre 2006 11:38

    Le mot important ici me semble être « auto-organisation ». Voici ma petite recherche personnelle sur le sujet : Une théorie de l’apprentissage des tâches motrices.


  • Le péripate Le péripate 20 novembre 2006 11:47

    Et l’on découvrira finalement que Spinoza avait raison, et que l’homme (la femme) ne se croit libre que parce qu’il est ignorant des causes qui le font agir.

    Les émotions, les sentiments, les idées nous viennent du corps. Ils ne sont qu’une autre manière d’être du corps. Descartes avait tort, et le dualisme, s’il s’agite encore, vit ses dernières heures.

    Il y a quelques années, une machine battait sans rémission le champion du monde d’échecs G. Kasparov. Et pourtant, ce jeu était placé au pinacle de l’esprit humain.

    Le Peripate.


    • DEALBATA (---.---.166.140) 20 novembre 2006 13:19

      « Et l’on découvrira finalement que Spinoza avait raison, et que l’homme (la femme) ne se croit libre que parce qu’il est ignorant des causes qui le font agir. »

      C’est sûr, et comme disait Coluche : « Si on avait réfléchi, on aurait pas signé ! »

      « Les émotions, les sentiments, les idées nous viennent du corps. Ils ne sont qu’une autre manière d’être du corps. Descartes avait tort, et le dualisme, s’il s’agite encore, vit ses dernières heures. »

      Ouais, Descartes aurait mieux fait de se les tirer plus que d’annoncer la couleur. Comme d’habitude, la question est : Qui regarde le corps ?

      « Il y a quelques années, une machine battait sans rémission le champion du monde d’échecs G. Kasparov. Et pourtant, ce jeu était placé au pinacle de l’esprit humain. »

      Mouais, mais si Kasparov n’est pas content, il n’a qu’à débrancher ce tas de ferraille.


  • Forest Ent Forest Ent 20 novembre 2006 12:28

    A mon avis, il y a encore pour quelques siècles ou millénaires de travaux avant de se poser des questions « à la Asimov ». Après 50 ans de recherches, les applications restent très limitées.

    MAis toute idée nouvelle est bonne à prendre.


    • pingouin perplexe (---.---.117.126) 20 novembre 2006 13:12

      toute idée nouvelle est bonne à prendre...

      à condition qu’elle soit en open source smiley


    • Forest Ent Forest Ent 20 novembre 2006 13:30

      Certes. smiley


    • gem (---.---.117.250) 20 novembre 2006 13:35

      A mon avis les question « à la Asimov » se posent déjà. Toi-même tu en pose, lorsque tu met en accusation (pour son inhumanité) l’économie mondiale qui n’est rien d’autre qu’un gigantesque robot. Quand on veut explorer Mars, on envoie des robots autonomes.


    • Forest Ent Forest Ent 20 novembre 2006 14:41

      Aucune trace d’intelligence détectée sur cette planète. Beam me up, Scottie.

      L’économie mondialisée est peut-être un robot, mais pas un robot intelligent.

      Première loi : en aucun cas ne mettre le capital en danger, par action ou inaction.

      Deuxième loi : sauvegarder le système, si pas en contradiction avec la première loi.

      Troisième loi : sauvegarder la planète, si pas en contradiction avec les lois 1 et 2. Avec ou sans l’humanité à bord.


    • pingouin perplexe (---.---.88.140) 20 novembre 2006 15:18

      Sapiens a conservé un certain goût pour les régimes de bananes.

      Quant à Asimov, l’idée lui est venue de mettre en scène des robots, voir Daneel, se mettant en quète d’hypothétiques « lois de l’humanique »... dans l’espoir que l’aventure continue.

      Ces histoires de robots sont d’extraordinaires fables...anthropologiques.


  • gerardlionel (---.---.180.63) 20 novembre 2006 16:12

    Tout cela me fait un peu rire, parce qu’il me semble surévaluer de simples progrés et puis si on parle d’intelligence humaine, si on en regarde les résultats en observant le monde, les sociétés actuelles et leurs conséquences sur l’environnement, il n’y a pas de quoi être admiratif !

    Faudra-t’il compter sur l« intelligence » de robots pour nous sauver de nous même ?


    • pingouin perplexe (---.---.88.140) 20 novembre 2006 16:56

      Le tout n’est pas d’en fabriquer. Après, combien voudront être volontaires à user leurs gigaflops sur les questions des humains ?  smiley


  • Stravos (---.---.132.162) 20 novembre 2006 17:03

    En tout cas, la machine à inventer des conneries va mettre beaucoups de monde au chomage... Moi le premier. La connerie : le dernier retranchement de notre humanité. On l’aime au fond, notre chère connerie, avec ses airs de grande dame... Indémodable elle est ! Souhaitons que cette machine de cauchemar ne voit jamais le jour !


  • rjolly (---.---.227.38) 20 novembre 2006 18:16

    Après la prochaine catastrophe globale et l’extinction du genre humain qui l’aura provoquée, l’espèce qui repeuplera la terre sera peut-être celle des robots.


  • (---.---.113.30) 20 novembre 2006 20:00

    Cet individu Bushell est un concurrent de notre industrie européenne et notre produit _Dornier_ _E-3_ :

     ! _Dornier_ _E-3 ! Le tronc de l’avion de transport peut prendre un OTAN-camion de trois tonnes et verticalement décoller.  ! _Dornier_ _E-3 !

    re :« Le plus grand avocat de cette technologie a été le Dr Dennis Bushell, ingénieur en chef (chief scientist) de la NASA à Langley »(Agoravox Science et Techno, « La machine à créativité, interview de Stephen Thaler » par Daniel Ichbiah - Ecrivain http://ichbiah.com http://ichblog.typepad.com, lundi 20 novembre 2006).


  • aponaute (---.---.56.34) 20 novembre 2006 23:29

    Humm....l’auto-organisation, beaucoup y travaille depuis longtemps. Ca me semble effectivement le phénomene qu’il faut essayer de modeliser si on cherche à produire des comportements intelligent.

    Mais la description de ce systeme de RN est un peu sommaire. Le réseau « non entrainé » ne porte pas d’info sur la tache à remplir et donc il peut s’adapater à n’importe quelle tache. Bien. On a un système adaptatif.

    Cependant le reseau « entrainer » lui, il doit bien comparer le résultat des actions du réseau « non entrainé » à quelque chose pour juger de sa pertinence. C’est le principe de l’apprentissage par renforcement utilisé dans les RN. Et ce quelque chose, c’est quoi ?

    Si c’est un critére dépendant de la tâche finale (style "distance par rapport à la cible à atteindre) alors le pb n’a été que deplacé et ce n’est pas véritablement un systeme auto-orgnaisateur.

    Si c’est un critére indépendant de la tâche finale du système (style une variable d’état interne au système) alors là ca m’interesse !!!!

    Alors ? C’est quoi le secret ??


    • DEALBATA (---.---.166.140) 21 novembre 2006 09:40

      Eh oui ! Tout système boucle sur lui-même. Le secret ? C’est sans doute « celui » qui est à l’origine du système.


  • pingouin perplexe (---.---.254.180) 21 novembre 2006 11:56

    A Dealbata, et aux lecteurs d’Asimov

    Ceux qui auront jeté un coup d’oeil au dernier volume du Cycle de Fondation auront peut être relevé la présence éventuelle de théories implicites intéressantes. D’abord, l’allégorie relative au voyage vers Gaya, allusion vraissemblable à une théorie contemporaine qui laisse entrevoir une notion de la solidarité qui se tiendrait au confluent d’approches systémiques et métaphysiques. Ensuite, une résurgence intéressante du mythe de l’androgyne primitif, que l’on peut à mon avis lire en référence à la mythologie classique et aux éclairages freudiens. Ce qui est surprenant, c’est qu’un thème récurrent dans ce dernier volume soit celui de la traduction.

    Une vue sur l’hypothèse Gaïa comme traduction inter-systémique ?

    Quel était donc en définitive cet accord dont tant d’écrivains nous ont parlé à leur manière : prose et poésie, infini et universel... ?


  • DEALBATA (---.---.166.140) 21 novembre 2006 12:53

    Si les théories implicites sont celles que David Bohm à pu développer avec sa vision d’un ordre implicite et d’un univers holographique et qu’elles recouvrent ses concepts là, il me semble qu’il y a une amorce de compréhension de ce que pourrait être la réalité, enfin celle qu’on peut décrire avec des mots et donc des idées et qui restent infiniment limités. (Qui passe, bien entendu, par une sortie de paradigme de la science actuelle)

    « D’abord, l’allégorie relative au voyage vers Gaya, allusion vraissemblable à une théorie contemporaine qui laisse entrevoir une notion de la solidarité qui se tiendrait au confluent d’approches systémiques et métaphysiques »

    J’essaie de traduire : Si le voyage vers Gaya peut être considéré comme un retour vers un état d’être primordial et dont la solidarité pourrait-être la réidentification à l’unicité de l’être (donc dissipation de la multiplicité), j’y souscris volontiers d’autant plus que l’allusion au mythe de l’androgyne (l’oeuf primordial) est un des signes actuellement visible qui donne une idée à quelle étape nous nous situons dans ce « voyage » de retour. Un autre signe qui renforce le sentiment que le voyage du retour est commencé : Le début de l’humanité a commencé par un passage du nomadisme à la sédentarité, actuellement nous pouvons observer le mouvement inverse. Tous ces symboles sont autant d’indicateurs que notre monde retourne à son état initial. Attention, pas de méprise, il ne s’agit pas pour moi d’y voir une quelconque transformation matérialiste de l’univers, ce retour est uniquement d’ordre mental mais c’est aussi avec celui-ci que nous projetons et percevons l’univers (cet univers ce dissipera donc avec la disparition du mental pour ne laisser plus que l’état d’être que nous avons quitté illusoirement au début de l’humanité)

    Cet accord, dont vous avez justement décrit les différentes formes d’expressions, est ce que j’ai essayé humblement d’expliquer : C’est la résorption de la manifestation dans son principe (l’Etre) qui n’est pas l’Infini puisque la réalité n’admet pas de définition et l’être en est déjà une. « L’accord » est donc la fusion ou plutôt la réintégration de toutes les expressions vers la source originelle. La Poésie ou la prose sont comme des marqueurs de l’être qu’il se donne à lui-même pour se retrouver dans l’illusion de l’existence.


  • pingouin perplexe (---.---.120.146) 23 novembre 2006 11:41

    Les interprétations possibles ne manquent pas. N’est-ce pas là l’intérêt d’une grande oeuvre littéraire ? A mon avis, des écrivains comme Isaac Asimov et Jorge Luis Borges sont d’un même niveau d’intérêt. Si je devais rédiger un mémoire de littérature comparée, je dirais qu’ils ont contribué à « faire du libre » sur la compréhension du temps.

     smiley


  • PIRAPAKARAN,GUNASINGAM (---.---.150.167) 20 février 2007 17:30

    je cherche le compte de service et des documents originaux. création service origine.cerveau depuis 1979 et parlant 2003.MISSIONNAIRE ET DERIGENT. PIRAPAKARAN GUNASINGAM 1ALLEE DE LA TRAMONTANE 77176 SAVIGNY LE TEMPLE.

    LE RESPONSABLE DE SERVICE INTERNATIONAL (le propriètaire de service espace)


Réagir