vendredi 15 février 2013 - par Miona

Ceux qui restent

Je ne veux pas voir mes parents, malades, un jour dans une chambre d'hôpital, froide, glaçante.
J'y ai déja vu ma grand-mère et ça m'avait détruite... 
 
Il avait fallu quelques verres, beaucoup trop en fait, pour oser me rendre jusqu'à sa dernière chambre.
Mon esprit paniqué ne voulait sans doute pas garder l'image de ma mamie en fin de vie,
Mais c'était peine perdue...
La porte s'est ouverte, dans un grincement sinistre.
Ils m'ont tous regardée,
Moi, la petite poupée, passablement éméchée.
Puis j'ai vu mamie, dans son lit argenté, endormie.
Et les larmes sont arrivées, 
Fallait pas me laisser entrer...
Je pense que de très jolies paroles ont été prononcées pour me consoler,
Mais elles se sont toutes envolées, tellement j'étais occupée à pleurer.
Si seulement on m'avait dit que c'était la dernière fois que je voyais ma mamie, je serais restée avec elle toute la nuit...
 
Elle n'était qu'amour, ma mamie, mais je ne le vois que maintenant et c'est trop tard.
Je ne suis même pas sûre de lui avoir rendu un peu de cet amour qu'elle donnait, et maintenant c'est trop tard.
Pourquoi mon amour est resté enfoui toutes ces années ?
Où était la clé qui aurait dû ouvrir cette porte si bien fermée ?
 
Mon esprit complètement vidé ne savait plus quoi penser,
D'ailleurs j'étais presque soulagée quand il fallut laisser mamie se reposer.
Peut-être que j'en étais encore à me demander si la petite poupée avait bien tenu son rôle...
Oh oui, c'est même certain, il fallait bien que l'ego vienne s'en mêler !
Cet ego qui nous bouffe la vie, alors que c'était la vie de ma mamie qui se jouait ici.
Ne devrait-on pas oublier notre petit moi dans ces moments-là ?
La honte me submerge quand je repense à cela.
Quoique... il n'est même pas sûr que cette honte soit bien sincère.
Nous sommes des êtres tellement conditionnés,
Des bêtes sauvages qu'il a fallu dresser. 
Au final, ne perdons-nous pas toute spontanéité ?
Comment des êtres aussi fragmentés pourraient faire bloc pour ne plus être sans cesse blessés ?
 
Il doit bien exister un moyen de faire face à la vie...
Aurais-je oublié ce savoir-vivre qui ne sied qu'aux vivants ?
 
N'était-ce pas la petite poupée que je voyais dans le lit argenté, en lieu et place de ma mamie adorée ?
C'était sûrement ma propre mort que je voyais...
 
La peur, 
La peur de vieillir, la peur de mourir, la peur de l'inconnu, du vide, du néant...
 
La peur, 
Nous ne sommes que peur, arrêtons de mentir, arrêtons de jouer la comédie.
 
Maintenant je le sais, 
J'ai compris tout cela,
Ma mamie m'avait reconstruite.
Je l'aime comme jamais,
d'un amour qui défie la peur et le temps.
 
La petite poupée peut enfin grandir, parmi les vivants, ceux qui restent...
 
 
 * * * * * *
 
 Image : Coucher de soleil sur la rivière Chobe, par ecololo
 


28 réactions


  • Jean J. MOUROT Jean J. MOUROT 15 février 2013 11:57

    Très beau texte. Pas de commentaire...


  • devphil30 devphil30 15 février 2013 13:29

    Texte émouvant et empreint d’humanité , c’est peu courant dans notre monde actuel 


    • Miona Miona 15 février 2013 15:54

       Merci pour ce commentaire... devphil30

       

    • Miona Miona 15 février 2013 16:04

       Le film « Ceux qui restent » était diffusé sur France 3 hier soir : d’où le titre... et le besoin implacable d’écrire ces quelques lignes... 


  • cevennevive cevennevive 15 février 2013 13:54

    « Je l’aime comme jamais »

    Bonjour Miona, et bienvenue parmi nous,

    Nous avons tous, je crois, un être très cher, père, mère, grand mère, que nous pensons ne pas avoir assez aimé lorsqu’ils étaient là. Ce sentiment de manque fait partie de la nostalgie, et il ne doit pas nous détruire.

    Vous avez raison, votre grand mère vous a « reconstruite », différente et pourtant la même, avec simplement en plus, l’empreinte de cet amour dans votre vie.

    Très beau texte, touchant et plein de chaleur. Encore !

    Cordialement.


    • Miona Miona 15 février 2013 16:58

       Bonjour cevennevive, merci pour l’accueil

      Si seulement j’avais pu me réveiller avant qu’elle parte...
       

  • jako jako 15 février 2013 15:39

    En accord avec les précédents commentaires, beau premier texte merci je voudrais connaitre votre age ?


    • Miona Miona 15 février 2013 17:14

       Bonjour jako, merci,

      Mon âge ? (sourire ergotage)
      Tout le monde va le savoir si je réponds... (sourire fripon)
      Je réfléchis jusqu’à demain... (sourire humain) 
       


    • Miona Miona 16 février 2013 11:44

       Alors, comme le « demain » d’hier est devenu « aujourd’hui », voici la réponse : 

      La naissance de La petite poupée se situe dans une fourchette de temps comprise entre l’année de l’accident nucléaire de Tchernobyl et l’année où Nelson Mandela a reçu le Prix Nobel de la Paix. 
       

    • Miona Miona 16 février 2013 12:45

       La fourchette est assez large. Désolée...

       

  •  C BARRATIER C BARRATIER 15 février 2013 15:48

    Je pense sincèrement que la mamie n’est pas morte, puisqu’elle revit ici. Il est vrai que les enfants savent moins qu’autrefois ce qu’est la mort....parce qu’ils ignorent ce qu’est la vie. Pour participer à ce deuil d’amour filial, voici pour moi le sens de la vie et donc de la mort...sereine. Non Miona, il ne faut pas avoir peur, il faut aimer au delà du temps d’une vie.


    « Sens de la vie, sens de l’univers »

     http://chessy2008.free.fr/news/news.php?id=59



    • Miona Miona 15 février 2013 21:41
       Il faut faire connaissance avec sa peur, 
      ne pas la dissimuler,
      ne pas la combattre, 
      mais l’adopter
       

  • Jacques_M 15 février 2013 15:53

    Très émouvant.
    Merci.


    • Miona Miona 15 février 2013 22:48

       Je suis heureuse de constater que l’émotion peut voyager par écran interposé. Merci. 

       

  • Deneb Deneb 15 février 2013 17:34

    Félicitations à Alinea pour son 10ème pseudo.


  • Fergus Fergus 15 février 2013 17:38

    Bonjour, Miona, et bienvenue sur AgoraVox..

    Bravo pour ce très beau texte, plein de sensibilité et d’humanisme. Ce que vous éprouvez relativement à cette grand-mère, je crois que la plupart d’entre nous l’ont ressenti pour un être de notre entourage proche, trop tôt parti sans que l’on ait eu, souvent en raison d’une pudeur excessive, le temps de leur exprimer nos sentiments profonds à leur égard. Nombre d’entre nous portent le poids de ce silence.

    Cordialement.


    • Miona Miona 15 février 2013 18:15

       Bonjour Fergus, merci pour cet accueil,

       
      « Vous savez, on dit toujours que c’est dans les moments de crise, que les gens découvrent leur vraie nature... »
       
      Nous devrions vivre constamment dans des moments de crise, ainsi notre vraie nature s’exprimerait en permanence... 
       

    • Miona Miona 15 février 2013 18:18

       J’ai oublié quelque chose...

      La phrase vient du film « Ceux qui restent ». 
       

    • Miona Miona 15 février 2013 22:08

       En écrivant ce texte, plein de souvenirs me sont revenus et ils m’amènent tous à faire un constat, que jamais je n’avais fait jusque-là : ma mamie ne se moquait jamais des autres, je n’ai pas un seul souvenir d’elle se moquant de quelqu’un... alors que les moqueries, teintées de mépris, sont un peu la caractéristique principale de ma famille... 

      J’étais vraiment aveugle pour ne pas avoir constaté ça de son vivant.
      Peut-être que je l’idéalise un peu trop maintenant... C’est possible... mais ça ne m’empêchera pas de continuer à lui donner la plus belle place parmi les vivants.
       

    • Fergus Fergus 16 février 2013 09:06

      @ Miona.

      La moquerie et la dérision ne sont pas forcément injustifiées. A condition qu’elles s’expriment de manière intelligente et sans user de formules insultantes. A condition également, et c’est sans doute le plus important, que les moqueurs soient eux-mêmes irréprochables sur le thème de leurs moqueries.

      Bonne journée.


    • Miona Miona 16 février 2013 13:06

       Oui, en effet, le problème vient donc des moqueurs qui sont persuadés d’être irréprochables, ou des hypocrites reprochant aux autres ce qu’ils font eux-mêmes. 

      Tant qu’à faire je préfère me moquer de moi. Et en plus il y a matière... 
       


  • Piere CHALORY Piere Chalory 15 février 2013 18:47

    Nous sommes ou serons tous des papys des mamies, puissons nous espérer 1 compassion d’où qu"elle vienne quand l’atroce finalité de nos membres égarés nous enterrera tous & toutes.


    Bravo !

    • Miona Miona 15 février 2013 22:38

       La compassion, qui ne s’exprime pas tant que l’ego est là et tant que la peur n’est pas apprivoisée.

      L’amour ne trouve pas sa place quand l’esprit lutte sans arrêt, éparpillé de tous côtés.
       

  • Miona Miona 15 février 2013 22:54

     La petite poupée est fatiguée... à demain, si un gros caillou ne vient pas nous atomiser pendant la nuit...

     

  • 6ber 6ber 17 février 2013 11:09

    Superbe texte en vérité, qui doit émaner d’une sur-douée de CE2.
    Mais surtout, magnifiques commentaires qui eux, doivent provenir d’une maison de retraite.
    Quelle mascarade... 


  • curieux curieux 17 février 2013 18:54

    Il est parti. Je suis resté. Mais ce n’était pas le bon ordre. Ce n’est pas la peur mais le vide, l’absence de vision, la destruction du futur, l’avenir anéanti, qui me tue maintenant.


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