mardi 25 août 2009 - par
Cisjordanie : lentement, obstinément, des colons tentent de construire une nouvelle ville
Rory McCarthy, journaliste du Guardian, a rencontré un groupe d’Israéliens qui veulent reprendre une parcelle de terrain près de la ville palestinienne de Beit Sahour.
Ce matin de bonne heure, Nadia Matar a roulé vers les collines au sud de Jérusalem, près de la ville palestinienne de Beit Sahour, et tourné sur une route poussiéreuse sans signalisation. Puis elle a planté un panneau où l’on pouvait lire : « Bienvenue à Shdema ». Elle a continué à rouler, s’arrêtant tous les dix mètres pour enfoncer dans le sol rocailleux une série de drapeaux aux couleurs israéliennes flottant dans le vent. Les soldats israéliens l’ont laissée passer librement quand elle a franchi l’entrée des ruines de béton de ce qui était encore il y a quelques années la base militaire israélienne de Shdema.
Là, seulement à un jet de pierre des maisons palestiniennes, et seulement à quelques minutes de la ville de Bethlehem, Matar et ses amis ont l’intention de construire une résidence juive, le prochain avant-poste dans la Cisjordanie occupée.
C’est un défi manifeste à l’administration Obama, qui essaye d’arrêter tout le développement des colonies israéliennes comme condition préalable à de nouveaux pourparlers de paix. Mais l’histoire récente suggère que ce sont des colons hautement motivés, comme Matar, 43 ans, mère de six enfants nés en Belgique, et vivant actuellement dans la colonie d’Efrat, qui peuvent triompher finalement sur cette parcelle de terrain poussiéreuse.
Demain, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu arrive à Londres pour une série de réunions décisives, parmi lesquelles quatre heures de discussion mercredi avec l’envoyé spécial de la Maison-Blanche, George Mitchell, et une rencontre demain avec Gordon Brown. La colonisation ininterrompue de la Cisjordanie, un projet qui a connu un succès extraordinaire au cours des 40 dernières années, dominera l’agenda. La colonisation sur le territoire occupé est considérée comme illégale par le reste de la communauté internationale, mais près de 500.000 colons juifs vivent en Cisjordanie et à Jérusalem Est. Shdema est pourtant au-delà de la barrière entre Israël et la Cisjordanie qui s’enfonce profondément dans le territoire palestinien et qui pourrait être un jour, comme on le pense généralement, la frontière finale d’Israël.
Le but de Matar est la « rédemption du pays ». De son point de vue, le pays où se trouvent des maisons palestiniennes appartient au peuple juif. Il est « temporairement occupé par des Arabes » mais les Juifs y ont droit pour des raisons bibliques et historiques. Elle essaye de construire une « Shdema juive » pour éviter que le pays reste aux Palestiniens. Après l’évacuation de la base par les militaires, il était prévu de construire un hôpital pour les Palestiniens. Depuis, le projet a été mis en sommeil. « Ils veulent plus de parcelles de terre qui appartiennent aux Juifs. Ils veulent nous les prendre, » dit Matar.
« Le pays d’Israël a été donné par Dieu au peuple d’Israël, » dit-elle. « Les uns vous diront que c’est Dieu qui nous l’a donné, d’autres vous diront que notre droit sur ce pays repose sur 4000 ans d’histoire juive… Vous n’avez pas besoin d’être un Anglais religieux pour voir que Londres appartient aux Britanniques. »
C’est un bel aperçu de la façon dont les avant-postes sont bâtis : avec des colons déterminés et éventuellement avec la complicité des autorités israéliennes.
Tout d’abord, après que l’armée se fut retirée de la base il y a trois ans, les soldats ont fermé la zone et empêché les colons d’approcher. Mais des colons ont commencé à y pénétrer furtivement, et ont continué. C’est alors que Matar, chef du groupe « Femmes en Vert », et ses partisans ont obtenu des militaires le droit de les laisser entrer seulement une fois par semaine, le vendredi. Elles ont nettoyé les bâtiments, peint des graffitis, et arrangé les pièces pour pouvoir tenir des réunions de travail. Parfois elles restaient la nuit, parfois les militaires leur permettaient de venir deux fois par semaine, et finalement des colons ont commencé à y vivre.
Des luttes semblables ont lieu chaque semaine sur d’autres collines de Cisjordanie, et ceci bien que le gouvernement israélien déclare publiquement qu’il n’autorise aucune nouvelle colonie. « Au début, nous avons combattu l’armée pour venir, » dit Matar. « Puis quand ils ont vu que nous étions inflexibles, ils nous ont laissées venir le vendredi… Mais pour nous, ce n’est pas assez. Nous ne voulons pas demander la permission d’être dans notre patrie. »
Maintenant, chaque fois qu’elles viennent, l’armée, loin de les en empêcher, assure leur sécurité en déployant des soldats et des véhicules blindés, sans interférer cependant avec leurs activités. Mais en avril les militaires ont arrêté la construction d’un parc pour les Palestiniens, financé en partie par le gouvernement américain, sous prétexte qu’il était au pied de la colline revendiquée par les colons à Shdema.
Les colons ont déjà édité une brochure sur papier brillant avec les plans d’architecture qu’ils voudraient voir à Shdema : des gazons verts, des rangées d’arbres, un centre culturel et une résidence juive, petite mais florissante.
Aujourd’hui même, environ 30 colons d’âges différents se sont réunis, parmi lesquels plusieurs enfants, un rabbin et au moins deux femmes, chacune portant discrètement un pistolet dans un étui. Ils se sont assis dans une pièce sur des chaises en plastique, et Tomer Karazi, un rabbin de 34 ans avec cinq enfants, a commenté un texte de la Bible montrant l’importance de construire un nouveau village dans ce pays biblique.
Ensuite, Karazi a dit que lui et sa femme Hannah étaient prêts à déménager de leur colonie de Nokdim à Shdema dès que possible. « Notre devoir n’est pas d’escorter le processus de rédemption de l’extérieur, mais d’être actifs de l’intérieur, » dit-il. « Nous n’avons pas besoin d’attendre des choses comme l’eau et l’électricité. Et nous aimons vraiment cet endroit. C’est très beau. »
Ensuite sont arrivés de grands baquets de peinture blanche avec des pinceaux, et le groupe a commencé à peindre sur les murs de béton gris, en s’arrêtant parfois pour boire un verre d’eau et manger une tranche de pastèque.
Yosef Ziggerman, un colon de 18 ans qui habite Efrat, a participé à plusieurs autres essais pour établir des avant-postes sur les collines avoisinantes, souvent sans succès. « Je crois que chaque parcelle nous appartient, et je n’en vois pas beaucoup qui soient aussi belles que celle-ci, » dit-il. « Nous ne faisons rien qui soit fou ou fanatique. Nous mettons de la peinture pour que ce soit joli. »
Plusieurs ont parlé de leur frustration que d’autres Israéliens jouissent d’un mode de vie plus profane dans des villes comme Tel-Aviv ou Eilat sans avoir l’air de comprendre ou d’approuver l’idéologie millénaire des colons et leurs efforts pour proclamer que la Cisjordanie leur appartient. Depuis qu’Israël a évacué ses colons de Gaza il y a quatre ans, beaucoup ont peur qu’il y ait d’autres compromis, et préfèrent adopter une attitude plus radicale et pratique en vue de l’extension des colonies juives en Cisjordanie.
Ils se sont décrits comme une ligne de front dans une lutte plus vaste contre ce qui est à leurs yeux un islam radical, en insistant sur le fait que les colonies aux avant-postes protègent les plus grands blocs de colonies, qui protègent à leur tour Tel-Aviv et Jérusalem, et qui protègent à leur tout le monde occidental.
« Les gens nous présentent volontiers comme des cinglés, » dit Matar. « Mais un jour les Occidentaux vont comprendre. Les musulmans prennent trop de pouvoir. Soyez de notre côté, c’est pour votre bien. Mais vous les mecs, en Europe, vous ne l’êtes pas. Ceux qui maudissent Israël seront maudits ; ceux qui bénissent Israël seront bénis. »
Rory McCarthy, le 23 août 2009
Traduit de http://www.guardian.co.uk/world/2009/aug/23/west-bank-israeli-settlements
Là, seulement à un jet de pierre des maisons palestiniennes, et seulement à quelques minutes de la ville de Bethlehem, Matar et ses amis ont l’intention de construire une résidence juive, le prochain avant-poste dans la Cisjordanie occupée.
C’est un défi manifeste à l’administration Obama, qui essaye d’arrêter tout le développement des colonies israéliennes comme condition préalable à de nouveaux pourparlers de paix. Mais l’histoire récente suggère que ce sont des colons hautement motivés, comme Matar, 43 ans, mère de six enfants nés en Belgique, et vivant actuellement dans la colonie d’Efrat, qui peuvent triompher finalement sur cette parcelle de terrain poussiéreuse.
Demain, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu arrive à Londres pour une série de réunions décisives, parmi lesquelles quatre heures de discussion mercredi avec l’envoyé spécial de la Maison-Blanche, George Mitchell, et une rencontre demain avec Gordon Brown. La colonisation ininterrompue de la Cisjordanie, un projet qui a connu un succès extraordinaire au cours des 40 dernières années, dominera l’agenda. La colonisation sur le territoire occupé est considérée comme illégale par le reste de la communauté internationale, mais près de 500.000 colons juifs vivent en Cisjordanie et à Jérusalem Est. Shdema est pourtant au-delà de la barrière entre Israël et la Cisjordanie qui s’enfonce profondément dans le territoire palestinien et qui pourrait être un jour, comme on le pense généralement, la frontière finale d’Israël.
Le but de Matar est la « rédemption du pays ». De son point de vue, le pays où se trouvent des maisons palestiniennes appartient au peuple juif. Il est « temporairement occupé par des Arabes » mais les Juifs y ont droit pour des raisons bibliques et historiques. Elle essaye de construire une « Shdema juive » pour éviter que le pays reste aux Palestiniens. Après l’évacuation de la base par les militaires, il était prévu de construire un hôpital pour les Palestiniens. Depuis, le projet a été mis en sommeil. « Ils veulent plus de parcelles de terre qui appartiennent aux Juifs. Ils veulent nous les prendre, » dit Matar.
« Le pays d’Israël a été donné par Dieu au peuple d’Israël, » dit-elle. « Les uns vous diront que c’est Dieu qui nous l’a donné, d’autres vous diront que notre droit sur ce pays repose sur 4000 ans d’histoire juive… Vous n’avez pas besoin d’être un Anglais religieux pour voir que Londres appartient aux Britanniques. »
C’est un bel aperçu de la façon dont les avant-postes sont bâtis : avec des colons déterminés et éventuellement avec la complicité des autorités israéliennes.
Tout d’abord, après que l’armée se fut retirée de la base il y a trois ans, les soldats ont fermé la zone et empêché les colons d’approcher. Mais des colons ont commencé à y pénétrer furtivement, et ont continué. C’est alors que Matar, chef du groupe « Femmes en Vert », et ses partisans ont obtenu des militaires le droit de les laisser entrer seulement une fois par semaine, le vendredi. Elles ont nettoyé les bâtiments, peint des graffitis, et arrangé les pièces pour pouvoir tenir des réunions de travail. Parfois elles restaient la nuit, parfois les militaires leur permettaient de venir deux fois par semaine, et finalement des colons ont commencé à y vivre.
Des luttes semblables ont lieu chaque semaine sur d’autres collines de Cisjordanie, et ceci bien que le gouvernement israélien déclare publiquement qu’il n’autorise aucune nouvelle colonie. « Au début, nous avons combattu l’armée pour venir, » dit Matar. « Puis quand ils ont vu que nous étions inflexibles, ils nous ont laissées venir le vendredi… Mais pour nous, ce n’est pas assez. Nous ne voulons pas demander la permission d’être dans notre patrie. »
Maintenant, chaque fois qu’elles viennent, l’armée, loin de les en empêcher, assure leur sécurité en déployant des soldats et des véhicules blindés, sans interférer cependant avec leurs activités. Mais en avril les militaires ont arrêté la construction d’un parc pour les Palestiniens, financé en partie par le gouvernement américain, sous prétexte qu’il était au pied de la colline revendiquée par les colons à Shdema.
Les colons ont déjà édité une brochure sur papier brillant avec les plans d’architecture qu’ils voudraient voir à Shdema : des gazons verts, des rangées d’arbres, un centre culturel et une résidence juive, petite mais florissante.
Aujourd’hui même, environ 30 colons d’âges différents se sont réunis, parmi lesquels plusieurs enfants, un rabbin et au moins deux femmes, chacune portant discrètement un pistolet dans un étui. Ils se sont assis dans une pièce sur des chaises en plastique, et Tomer Karazi, un rabbin de 34 ans avec cinq enfants, a commenté un texte de la Bible montrant l’importance de construire un nouveau village dans ce pays biblique.
Ensuite, Karazi a dit que lui et sa femme Hannah étaient prêts à déménager de leur colonie de Nokdim à Shdema dès que possible. « Notre devoir n’est pas d’escorter le processus de rédemption de l’extérieur, mais d’être actifs de l’intérieur, » dit-il. « Nous n’avons pas besoin d’attendre des choses comme l’eau et l’électricité. Et nous aimons vraiment cet endroit. C’est très beau. »
Ensuite sont arrivés de grands baquets de peinture blanche avec des pinceaux, et le groupe a commencé à peindre sur les murs de béton gris, en s’arrêtant parfois pour boire un verre d’eau et manger une tranche de pastèque.
Yosef Ziggerman, un colon de 18 ans qui habite Efrat, a participé à plusieurs autres essais pour établir des avant-postes sur les collines avoisinantes, souvent sans succès. « Je crois que chaque parcelle nous appartient, et je n’en vois pas beaucoup qui soient aussi belles que celle-ci, » dit-il. « Nous ne faisons rien qui soit fou ou fanatique. Nous mettons de la peinture pour que ce soit joli. »
Plusieurs ont parlé de leur frustration que d’autres Israéliens jouissent d’un mode de vie plus profane dans des villes comme Tel-Aviv ou Eilat sans avoir l’air de comprendre ou d’approuver l’idéologie millénaire des colons et leurs efforts pour proclamer que la Cisjordanie leur appartient. Depuis qu’Israël a évacué ses colons de Gaza il y a quatre ans, beaucoup ont peur qu’il y ait d’autres compromis, et préfèrent adopter une attitude plus radicale et pratique en vue de l’extension des colonies juives en Cisjordanie.
Ils se sont décrits comme une ligne de front dans une lutte plus vaste contre ce qui est à leurs yeux un islam radical, en insistant sur le fait que les colonies aux avant-postes protègent les plus grands blocs de colonies, qui protègent à leur tour Tel-Aviv et Jérusalem, et qui protègent à leur tout le monde occidental.
« Les gens nous présentent volontiers comme des cinglés, » dit Matar. « Mais un jour les Occidentaux vont comprendre. Les musulmans prennent trop de pouvoir. Soyez de notre côté, c’est pour votre bien. Mais vous les mecs, en Europe, vous ne l’êtes pas. Ceux qui maudissent Israël seront maudits ; ceux qui bénissent Israël seront bénis. »
Rory McCarthy, le 23 août 2009
Traduit de http://www.guardian.co.uk/world/2009/aug/23/west-bank-israeli-settlements