vendredi 26 mai 2017 - par Taverne

Espère et libère !

Ces assemblées d'arbres, que l'homme désigne sous le nom de forêts, se concertent dans un langage d'une telle lenteur, d'une telle profondeur et d'une telle beauté, que l'homme ne l'entend pas. Il croit les arbres muets, inertes et sombres. Quand il traverse l'assemblée de ces grands êtres, l'homme se sent écrasé de sagesse. Il voudrait penser avec toute la force d'un arbre en fleur, penser à pleine sève ! Mais l'altitude de cette présence au monde n'est pas à hauteur d'homme. Elle lui est refusée. (Lire : "L'arbre parle ! Et l'homme est-il relié ?)

Dans ces harmonies souterraines, le bonheur est un réseau, un entrelacs d'accords sur lesquels vient se poser quelquefois une mélodie, une mélodie jamais solitaire et toujours commune ! Ce sont de justes notes toujours jouées dans le respect des rythmes de chacun, dans le respect des silences et des pauses. L'homme n'est qu'un tumulte inaccessible à ce langage. Il ne ferait qu'y jeter son désordre s'il lui prenait l'envie de participer à ces conversations mystérieuses et millénaires...

"La terre qui reçoit la graine est triste. La graine qui va tant risquer est heureuse." (René Char).

"Espère, et libère !" est le principe que j'aimerais poser à la suite de ce vers du poète de L'Isle de la Sorgue, parce qu'il me semble qu'il est dans le même ton de pensée. Dans cet ordre parce qu'il faut d'abord nourrir de l'espoir pour pouvoir ensuite libérer ses projets et ses idées.

Ces rois des végétaux que sont les grands arbres espèrent longtemps, très longtemps, avant de trouver un jour le moment de libérer leurs puissantes énergies et de les disperser utilement dans le vent. Leur patience est infinie, ils savent guetter et attendre. L'homme est l'être opposé : il est commandé par ce que son oeil lui donne à voir ! Il voit, il désire, il réagit sans délai, il s'anime aussitôt et court, court sans cesse après ce qu'il désire. Sans patience, sans sagesse, sans communion avec ses congénères, sans élévation et sans cet instinct des profondeurs végétales propre aux arbres.

Chez l'homme, il y a l'optimisme. Par périodes, l'homme fait religion de pessimisme ou bien d'optimisme. Ce comportement est dans sa nature inconstante. A vrai, dire, l'homme peut faire religion de tout ou presque. Mais ces deux versants de son esprit changeant, l'optimisme et le pessimisme, emportent sa préférence. Et, comme il fait religion avec application, il cherche des convertis à sa cause qui n'est autre qu'une simple disposition mentale - d'humeur - qu'il a adoptée et dont ses opinions ne sont que le reflet !

L'optimisme est une force. Le pessimisme, sans être une faiblesse, n'est pas une force. Pour le philosophe Alain, le pessimisme est le fait de céder aux humeurs tristes alors que l'optimisme relève d'un effort de la volonté. Il ne disait donc pas autre chose que ceci : l'optimisme est une force.

L'espoir est à la base de l'optimisme. Il existe, hélas, des gens désespérés qui ne pourront plus être optimistes, puisqu'ils n'ont plus rien (ou sont convaincus de ne plus avoir rien) à gagner ou à perdre pour eux-mêmes ou leurs proches et, par conséquent, plus d'espoir.

A l'image d'une communauté d'arbres, un corps social doit être capable de faire provision d'espoir pour en redistribuer sans tarder aux individus en perte de confiance et d'horizons, de se concerter et de libérer les énergies aux moments les plus propices à l'avantage de tous ses membres. Si les communautés d'arbres s'épuisaient en de vaines luttes intestines, il ne fait aucun doute que leurs membres nuiraient les uns aux autres et mettraient leur survie en grave péril. Mais dans le contexte d'une société d'hommes, ce système artificiel, des clans peuvent s'entre-déchirer sans s'inquiéter des intérêts vitaux de l'espèce, pour satisfaire des intérêts privés, partisans et corporatistes. Ces guerres épuisent l'ensemble du corps social et appauvrissent de façon inévitable un pays sans pour autant le conduire à sa disparition à cour terme. Le pays en est quitte pour quelques centaines de milliers de chômeurs par mandature présidentielle (on s'y est habitués  !), une constante accentuation de la pauvreté, un renforcement du désespoir et de la colère qui l'accompagne. Les plus ambitieux et les plus opportunistes des personnalités politiques ou certains secteurs de l'économie, peuvent même en faire une source de profits en tous genres, comme on peut profiter des temps de guerre.

Mais que l'on ne s'y trompe pas, un jour le pays aura à payer au prix fort cette tendance délétère si on ne lui administre pas dès à présent les premiers remèdes, remèdes qui doivent être étudiés en bonne intelligence et sur une visée de long terme et de moyen terme. La gestion à courte vue, à la petite semaine au gré des mouvements sociaux et des sondages, n'est pas une attitude digne des êtres qui composent une communauté. Les arbres le savent : c'est une attitude qui mène à la mort certaine (et pour nous autres : une mort lente mais certaine).

Le pessimisme entretenu et généralisé est mortifère. Chez les arbres, il n'est pas de pessimisme qui compte ni d'atermoiments, ni de querelles d'opinions ! Les individus forts et en pleine santé viennent en aide à leurs congénères affaiblis et ne les laissent jamais livrés seuls à leur sort, leur apportant un soutien continu et incondiionnel qui dure tant que les arbres défaillants ne sont pas en situation de trouver par eux-mêmes la voie de l'autonomie et la pleine santé.

"Espère et libère" devrait être, selon moi, un précepte de conduite pour chacun de nous dans notre vie privée, mais aussi pour la société elle-même. La société doit former le terreau nécessaire à l'émergnce et au développement des initiatives utiles, qu'elles soient personnelles ou partagées. C'est dans le terreau que se situe la vraie richesse et non dans la recherche effrénée de la possession matérielle ou de la satisfaction immédiate des désirs. La richesse du terreau est la "terre des hommes" comme le disait Antoine de Saint Exupéry. La richesse du terreau est le bien commun, la terre du bonheur, la seule terre qui garantit la croissance harmonieuse des êtres. Cette fertilité renouvelée du terreau doit être l'oeuvre de l'Etat, mais pas seulement : toute la société doit en être responsable. Il nous faut - tous ensemble et sans défection de quelque groupe social que ce soit - entretenir ce terreau pour toutes les générations : les générations présentes comme celles à venir. Dans ce terreau, nous pouvons évidemment classer l'éducation, la justice, l'égalité des chances, la culture, le logement décent, les services de proximité, le lien patriotique, etc.

Il ne s'agit plus d'occuper les individus mais de les rendre porteurs de quelque chose d'enthousiasmant et qui a du sens

Il faut en finir avec cette pratique étatique qui consiste à occuper les personnes, trop souvent par n'importe quels moyens (emplois aidés, stages superflus et autres accessits). Il nous faut libérer leur potentiel et leurs énergies, et non pas les occuper ! Les initiatives responsabilisent une personne alors que l'occuper ne lui offre pas souvent les perspectives qu'elle souhaite, ni une vision claire ce qui l'attend. Surtout, cette occupation plus ou moins contrainte ne la rend pas maîtresse de son sort. Subir un stage de Pôle Emploi n'est pas libérateur d'énergie ni d'espoir. L'obsession des gouvernants des trente dernières années à vouloir à tout prix occuper les chômeurs et les jeunes a conduit à des aberrations. 

Le terreau de libération des énergies est fertile en sources d'optimisme. Il est notre patrimoine commun.

L'occupation en elle-même n'a pas de sens. Certains voudraient continuer d'occuper de plus en plus d'individus dans des activités de fonctionnaires. Cette voie-là n'est pas viable. Ce n'est pas là non plus la voie de la vie, de l'espoir, de l'énergie en action. Il ne s'agit plus aujourd'hui d'être occupé et d'avoir un statut en rapport avec une occupation, mais de se jeter en avant vers ce que nous désirons bâtir. Se donner une direction, c'est cela qui est constitutif d'un véritable sens.

Les arbres ne poussent pas dans le seul but de s'occuper ou d'occuper l'espace ! Les arbres savent qu'il faut entretenir et régénérer leurs réseaux, faire provision d'énergie. Ils font preuve d'un comportement responsable par la création et l'entretien d'un terreau nourrissant (leur patrimoine partagé), et d'un réseau interconnecté nouant des liens étroits, sans jamais perdre l'habitude des échanges intelligents entre eux et avec leur environnement. Ils comprennent mieux que nous ce qu'est le sens de la Vie (et son caractère fragile et précieux), l'existence en communauté serrée et rapprochée, la solidarité inconditionnelle. Les arbres sont en marche, alors pourquoi pas les hommes ? (Nous verrons ce que la nouvelle force politique au pouvoir fera de la confiance qu'une partie de l'électorat lui a témoignée...)

Sur le plan individuel, certains philosophes anciens - les stoïciens - ont eu cette devise "souffre et abstiens-toi !" C'est un précepte idéal pour une austérité programmée (austérité pour les masses, pas pour ceux qui la prêchent et l'appliquent) : de la souffrance pour tous, et fini le plaisir (sauf pour les privilégiés). A cette façon de voir les choses et de concevoir l'avenir, je préfère celle-ci que je résume en trois mots :

"Espère et libère !"



13 réactions


  • JC_Lavau JC_Lavau 26 mai 2017 12:41

    Certes l’aspirant habite Javel, mais là c’est la poursuite du délire en spirale.


    • Taverne Taverne 26 mai 2017 14:54

      @JC_Lavau

      Seule la pensée en spirale permet de sonder l’Inconnu, car la pensée en cercle tourne sur elle-même. La spirale, c’est la vis sans fin d’Archimède appliquée au forage des mystères de la philosophie et de la Vie.

      La pensée, c’est l’écart, le pas de côté pour voir autrement et plus loin. D’où la spirale.


    • JC_Lavau JC_Lavau 27 mai 2017 10:20

      @Taverne. Wi, mais toujours l’aspirant habite Javel.


    • L'enfoiré L’enfoiré 27 mai 2017 15:50

      @JC_Lavau

      « Si tu parles à ton eau de javel pendant que tu fais ta lessive, elle est moins concentrée. », dixit J-C Vandam smiley


  • UnLorrain 26 mai 2017 14:46

    Je viens de regarder Larousse par Google,definition de adventiste euuuh adventice ( le premier est religieux je connaissais pas..) plante adventice donc...nocivite..competition ! Je crois qu’il y a competition entre essences differentes de nos beaux arbres,celui a croissance lente deperira,perira peut etre,a l ombrage de cet autre a croissance plus rapide.

    Questionnement.... : qu’est ce qui prend ( lui prend !) a l arbre fruitier dans ce verger abandonne depuis des decennies peut etre,de faire emerger de son reseau racinaire une myriade de pousses d arbres vraisemblablement pas totalement steriles ? Ces futurs arbres ont une croissance rapide qui de ce fait vont encombrer,etre nocif meme,pour leur geniteur !!?? Si un arboriculteur savant passe par la,qu’il m’explique ! smiley

    Autre hypothese que la competition entre arbres semble existe : dans ce vieux verger que je ravive,j’ai constate que ce fruitier a un tronc tres mince par rapport a sa hauteur,il est fort probable qu il y avait course vers la lumiere entre lui et des arbustes lui faisant ombrage.


  • Taverne Taverne 26 mai 2017 14:55

    Les arbres, ils parlent le langage du Temps.


  • Taverne Taverne 26 mai 2017 17:25

    Espérer  : esperar en espagnol signifie « attendre », espérer en français c’est croire, escompter.
    A propos des arbres : espérer est à la fois attendre et prévenir en faisant provision de forces pour libérer les énergies le moment venu.

    Libérer  : est à la fois libération et délivrance. Libérer, n’est pas protéger au sens simple, encore moins assister : c’est donner à l’individu les moyens et les opportunités d’employer les ressources (y compris les siennes propres) pour devenir acteur de sa vie. 

    Notre société ne libère pas l’individu : elle l’assiste, elle l’occupe, elle le contrôle (lisez Foucault : « surveiller et punir »), voire elle l’étouffe. Elle se fonde sur une logique de gagnants-perdants. Les aides sociales ne libèrent pas ! 

    Deux exemples concrets donnés hier au JT de 20 heures sur France 2 : l’un négatif et l’autre positif :

    - Une agence locale de Pôle emploi a créé un outil de communication pour dire aux chômeurs comment ils doivent s’occuper dans leur journée : occuper  !

    - Le dispositif « Zéro chomeur » (certes mal nommé) donne à des personnes la possibilité de redevenir actives en utilisant leurs propres compétences et ressources. Ce dispositif ne laisse pas dépérir les individus et ne se contente pas de les occuper.

    Ce sont-là deux illustrations pratiques de la théorie que je développe à partir de ce qui est dit des arbres. Mais, prudence, la philosophie n’a pas pour fonction de remédier à tous les problèmes du quotidien. C’est aux individus, aux groupes, aux collectivités, de développer des processus qui permettent de libérer les personnes de leurs entraves, des freins et des tensions. Et de faire en sorte qu’elles ne dépérissent jamais. Sur ce point on est loin de l’exemple que donnent les arbres. En effet, des gens se retrouvent sans emploi, puis sans logement, sans amis et dans la rue en très peu de temps. Parce que la société repose sur la logique gagnants-perdants et non sur la solidarité collective immédiate des arbres fondée sur un patrimoine et des comportements communs et solidaires.


  • rosemar rosemar 26 mai 2017 19:56

    A propos d’arbres, il faut lire COSMOS de Michel Onfray.... Il écrit notamment : « illettrés du temps des plantes, nous n’avons rien vu du détail, nous sommes passés à côté de la temporalité végétale.... »

  • Jean Keim Jean Keim 27 mai 2017 18:52

    Krisnnamurti était une homme des arbres et il disait qu’il entendait les géants émettre des ondes par leurs racines.


    Au sujet des tâches à accomplir, il y a des travaux à réaliser pour la communautés et il y a des bras de disponibles, il faut partager et le travail et ce qu’il produit, et il y aura des temps de repos dans une économie solidaire et participative, chacun fera de son temps libre ce qu’il en voudra, y compris ne rien faire de particulier.



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