La FNSEA a toujours défendu des prix rémunérateurs ?
Dans un entretien (https://www.ladepeche.fr/2021/04/07/toulouse-ce-que-les-agriculteurs-en-colere-reprochent-a-la-reforme-de-la-pac-2023-9474424.php ) dans la Dépêche du Midi le 7 avril 2021, le président de la FDSEA de Haute-Garonne a entre autres déclaré : « La FNSEA, depuis sa création, lutte pour permettre au plus grand nombre de manger de la nourriture saine, de qualité, pour un prix abordable. »
Cette phrase m’interpelle. Il ne s’agit pas ici d’enfoncer les agriculteurs encartés FNSEA/JA, ils valent tout autant que leurs collègues qui sont encartés à la Coordination Rurale, à la Confédération Paysanne et au MODEF et aussi ceux qui ne sont pas encartés (c’est encore mieux !).
Il s’agit plus, ici, d’une simple reprise de ces propos. Que la FNSEA (les instances nationales !) se batte pour une nourriture saine et de qualité, j’ai un peu de mal à y croire.
Pourquoi ? Lors des présidentielles de 2017, la FNSEA a appelé à faire « le choix de l’Europe ». Mensonge dites-vous ? Alors voici un article de Ouest-France, https://www.ouest-france.fr/elections/presidentielle/presidentielle-la-fnsea-appelle-faire-le-choix-de-l-europe-4950894
Dans cet article, Madame Christiane Lambert, présidente de la FNSEA déclare « qu’il faut rester au sein d’une Union européenne qui apporte beaucoup à l’agriculture... » Hormis la PAC dont le budget est de 9,1 milliards d’euros (alors que la France donne à l’Europe environ 19 milliards d’euros), je ne vois pas ce que l’UE apporte à l’agriculture, à part : Un règlement européen qui crée toujours de nouvelles normes à respecter de la part de nos agriculteurs. Des traités de libre-échange (CETA,MEXIQUE, MERCOSUR) qui concurrencent déloyalement nos paysans français. Un marché libéral, ouvert à la libre-concurrence, bien souvent déloyale (pas les mêmes contraintes entre pays, travailleurs détachés dans les abattoirs allemands, pas de contrôle aux frontières pour vérifier si les importations respectent pas nos normes). Une PAC qui renie ses obligations ( rémunération, protection, aides aux plus fragiles).
Il n’y a vraiment pas de quoi plébisciter l’Union européenne
Ensuite, le dernier point de la phrase du président de la FDSEA31, dont les troupes ont manifesté à Toulouse ce jeudi 8 avril 2021, c’est la question du « prix abordable ». Certainement que le président de la FDSEA31 voulait parler d’un prix abordable pour le consommateur. Mais il faudrait qu’il le soit, aussi et avant tout, pour l’agriculteur.
Lors du Xème plan de 1989-1991, qui n’est qu’une sorte d’avant goût du traité de Maastricht, plusieurs cadres de la FNSEA dont Henri de BENOIST, 1er vice-président de la FNSEA, Luc GUYAU,secrétaire général de la FNSEA, Philippe MANGIN, alors secrétaire général du CNJA ont rédigé un livre « L’Agriculture face à son avenir. », livre qui a constitué le volet agricole du Xème plan.
Toute la dérive libérale de la PAC qui enfonce nos agriculteurs part de là.
Dans la partie 3 intitulée « un projet d’avenir pour l’agriculture », parmi les orientations stratégiques recommandées, les rédacteurs ont appelé à « la sortie du système de maîtrise quantitative de l’offre », autrement dit des quotas.
Ils vont aussi soutenir l’agrandissement des exploitations afin que la France soit compétitive. Mais qui dit compétitif, dit automatiquement baisser les prix pour pouvoir exporter….C’est d’ailleurs ce que satisfait les rédacteurs du volet agricole du Xème plan lorsqu’ils disent que « les coûts de production français sortie exploitation sont parmi les plus faibles de la CEE. »(, partie 1, chapitre 1) Ils ajoutent plus loin « Les agriculteurs ont gagné le pari de la modernité et de la puissance internationale de l'agriculture française que d'aucuns à l'époque pensaient hors d'atteinte. » Se cache derrière ces mots, la volonté exportatrice de la FNSEA. C’est d’ailleurs dans la partie 3 du projet, « affirmons notre vocation exportatrice dans le respect des principes de la concurrence ». Car pour la FNSEA d’alors, « un repli sur le grand marché intérieur n’est ni possible ni souhaitable. »
Halte là, danger ! Il ne s’agit pas, pour ma part, de refuser d’exporter, mais il faudrait songer à relocaliser d’abord nos productions. Pourquoi continuer à exporter nos produits et en importer d’autres pour les besoins de la France ? C’est du non sens ! De plus, lorsque nous exportons, par exemple, notre poudre de lait en Afrique, ces exportations fragilisent davantage les agricultures locales. Enfin, avec ces exportations, est-ce que l’éleveur ou le céréalier gagne davantage ? Non.
Poursuivant l’analyse de ce rapport, dans le chapitre 2, est écrit "Au lieu d'être assuré par des mesures de garantie des prix ou par d'autres mesures liées à la production ou aux facteurs de production, le soutien des revenus agricoles devrait, en tant que de besoin, être recherché par des aides directes au revenu. Cette approche serait particulièrement adaptée pour répondre aux besoins, entre autres, des agriculteurs à faible revenu, ou qui vivent dans des régions particulièrement défavorisées, ou qui sont affectés par l'ajustement structurel dans l'agriculture."
Cette disposition s’est généralisée. Les agriculteurs n’ont plus de revenus, ils sont désormais sous perfusion des aides de la PAC. Finalement grâce à ce « plan », la PAC est passée d’une politique commune à une politique d’aides. Plus loin, nous trouvons, concernant les négociations de l’Uruguay Round : « une libéralisation accrue et une expansion du commerce mondial au bénéfice de tous les pays, en particulier des parties contractantes peu développées, et notamment une amélioration de l'accès aux marchés par la réduction et la suppression des droits de douane, des restrictions quantitatives et autres mesures et obstacles non tarifaires ». Le libéralisme est inscrit dans les gênes de la FNSEA, mais ce sont les choix de ces syndicalistes, ils ont leur vision.
Alors, bien évidemment que taper sur la FNSEA, ou sur d’autres syndicats, ne réglera pas la situation abyssale de l’Agriculture française, mais certaines choses doivent être rappelées pour comprendre pourquoi nous en sommes là aujourd’hui.
Continuons encore un peu !
Monsieur Henri de Benoist, « agriculteur dans l’Aisne, il a été élu à la présidence de l’AGPB en 1986. Il en était le secrétaire général depuis 1976. En tant que président de l’AGPB, il devient alors premier vice-président de la FNSEA et président de la Commission économique de la FNSEA » (source : http://www.agra.fr/henri-de-benoist-tire-sa-r-v-rence-art219205-24.html ) Dans ce même article, il est écrit : Au niveau de la filière céréalière, Henri de Benoist sera l’homme qui a prôné la baisse des prix des céréales au nom de la compétitivité sur les marchés intérieurs et internationaux. « L’AGPB doit être ouverte sur les marchés, ce qui signifie qu’il faut arbitrer entre les volumes et les prix ; les betteraviers ont échangé la sécurité sur les prix contre des quotas sur les quantités ; les producteurs des céréales doivent au contraire affronter les réalités du marché, en acceptant des baisses de prix s’ils peuvent compenser par des augmentations des volumes vendus ».
Je pense que ce paragraphe est très explicite.
Un exemple plus récent ? Il y en a même plusieurs. En 2009, la FNSEA, dirigée alors par Jean Michel Lemétayer, s’est opposée à la grève du lait, lancée par l’APLI, grève lancée après l’annonce de la fin des quotas laitiers à l’horizon 2015, ce qui fait craindre aux éleveurs une baisse des prix, alors qu’ils vendent déjà en dessous de leur coût de production (ça ne date pas d’hier !) !
En 2016, la branche betteravière de la FNSEA, la CGB (Confédération Générale des planteurs de Betteraves) a été satisfaite de l’arrêt des quotas sucriers car cela a permis de libéraliser le marché et d’exporter davantage. Sauf que la fin des quotas sucriers a entraîné une volatilité des prix, une augmentations de la production qui amène à la baisse des prix. C’est ce qui s’est passé pour le lait.
Tout cela pour quelle conclusion ?
Tout cela pour dire à nos agriculteurs, syndiqués ou non, de faire attention à ceux qui, soi-disant, les représentent, tous syndicats confondus.
Qu’est-ce qui a été démontré ? Que la FNSEA fait partie des instigateurs des mécanismes de mise à mort de l’Agriculture française. Son discours est hypocrite, d’un coté promouvoir le libéralisme et de l’autre demander des aides, des soutiens publics !
La FNSEA demande de la compétitivité, donc des coûts de productions compressés, donc une qualité amoindrie, la production perd de sa valeur, d’exporter plus, ce qui nous rend dépendants des marchés mondiaux, et investir plus jusqu’à ce qu’on arrive à la déshumanisation de l’Agriculture.
Un seul conseil : ne comptons pas sur ceux qui ont créé nos problèmes pour les régler !
Tant que nous nous ensilerons dans le libéralisme, nous resterons dans un puits sans fonds.
Il est urgent de changer de cap, il est nécessaire de bâtir une certaine idée de l’Agriculture, fondée sur cinq axes, qui sont :
-La maîtrise, la régulation et la protection des productions et des prix agricoles, qui seraient donc les missions d’une nouvelle Politique Agricole Commune en dérive libérale depuis 30 ans et qui retrouverait donc ses fondamentaux. -Des prix rémunérateurs avec des prix planchers à hauteur des coûts de production sous lesquels on ne peut pas descendre. -L’instauration d’une TVA sociale, compensée par la suppression des cotisations et tournée vers le financement de la protection sociale agricole. -Une exception agricole française en enlevant l’Agriculture des accords commerciaux. L’Agriculture, le trésor du Monde, ne peut pas être bradée, souillée. -Un soutien public, de la part de la population et des Politiques, la mise en avant de la qualité et la relocalisation des filières.
Tels sont les axes d'une politique audacieuse qui va dans le sens d'une Agriculture au service de ses paysans.
Mais avant de choisir ces axes, que chacun se pose la question suivante, et surtout les responsables politiques :
Continuons-nous dans un système, à vrai dire passéiste, agro-productiviste industriel globalisé où est demandé aux Paysans de s’agrandir et de compresser leur coût de production pour ne plus rien gagner ?
Ou alors, renouons-nous avec une Agriculture au service de ses paysans, de ses consommateurs et de ses territoires ?
Le problème est posé, les solutions sont esquissées.