Le gambit de Daesh ou paradoxe de l’État islamique
Le terrorisme a perdu de la « magie » révolutionnaire des années soixante-dix ou de celles du XIX° siècle, les terroristes islamiques n'ont que faire de considérations morales, philosophiques ou même filiales n'hésitant pas à faire un pied-de-nez à leur famille sans se soucier un instant de leur devenir. Leur vie ressemble souvent à une vidéo d'images décousues montées sans raccord et sans fil conducteur, voire sans sujet. L'État islamique a su créer son public et ses « zombies » à partir d'un plaisir négatif dans lequel il ne faut y voir qu'une logique mortifère s'adressant à des individus dépourvus de tout sens critique : « Si tu aimes Allah mais que tu n'es pas prêt à te sacrifier, alors tu ne l'aimes pas assez ».
L'État islamique n'a pas de méthode, sa méthode étant justement de ne pas en avoir... Il privilégie l'acte unique à une série d'actions requérant des connaissances et un minimum d'expérience ou d'expérimentations préparatoires. Daesh est conscient que chaque situation reste unique et qu'aucun terroriste ne peut dire avec certitude qu'il pourra dans une autre occasion refaire le bon geste ou mener la nouvelle action à bien. Chaque situation est non reproductible. Au plan tactique, l'acronyme KISS : keep it simple and stupid lui convient parfaitement. La tentative d'attentat à la voiture bourrée de bouteilles de gaz délaissée proche de la Préfecture de Paris et de la cathédrale de Notre-Dame n'en est qu'un exemple récent (pourquoi s'encombrer de bouteilles de gaz quand vous pouvez acquérir à vil prix un ancien véhicule roulant au gaz de pétrole liquéfié dépourvu de groupe de sécurité, sans parler des nombreux appartements proposés à la location et disposant du « gaz à tous les étages »). Daesh préfère en appeler à n'importe quel sociopathe ou asocial qui rêve de finir en martyr, tactique opérationnelle qui le dispense d'avoir à former des assassins ou de les armer, et qui contribue en principe à réduire la chaine de complicité des coauteurs, sans oublier que les morts ne parlent pas.
Plus la chaîne comporte de maillons plus elle risque de présenter une faille, monter une « Op » avec un groupe d'une dizaine d'individus de cet acabit relève d'une gageure. Je ne sous-estime pas ;-) je constate. Un fait, le Bataclan apparaît dans un PV de la DCRI rédigé le 6 mai 2009 : « le choix s'est porté sur ce lieu en raison de manifestations de soutien et de collectes de fonds réalisées au profit de la communauté juive » et adressé au procureur... Si un dossier d'objectif avait correctement été établi, il aurait mentionné que la salle appartenait à un nouveau propriétaire depuis 2015 et que la cible avait changé de nature... Fatalitas. Les terroristes proches des organisations palestiniennes qui venaient « frapper » dans les années soixante-dix étaient bien plus affutés, les documents saisis alors par la division B2 de la Surveillance du Territoire ont longtemps servi de cas d'étude !
Dans « Gestion de la barbarie » (2004), Daesh propose un modèle d'action à la portée de tous et que tout un chacun peut s'approprier en fonction de sa personnalité et de son environnement. Le postulat ? atteindre l'objectif par n'importe quel moyen et le plus vite possible en encourageant les comportements archaïques afin de jeter l'effroi parmi la population. L'État islamique s'adresse à la masse et non à l'élite tout en préférant la quantité des victimes à la qualité de celles-ci, ce qui devrait à terme se retourner contre lui pour ne pas avoir élevé le terrorisme au niveau stratégique. Même si l'attentat échoue c'est déjà une victoire, les médias de propager l'effroi au cœur de la population.
Daesh est l'auberge espagnole du terrorisme, son mode d'action est révélateur d'une spécificité culturelle archaïque qui épouse les conditions et contraintes locales (grille MOFF). L'apparition de nouvelles contraintes change les données de l'attaque et contraint l'individu à modifier ou adapter son approche. Le geste « technique » du terroriste peut changer du tout au tout et passer de la kalachnikov au hachoir, de la bombe au camion fou, etc. L'acte relève tantôt de ce qu'il y a de commun chez ces individus (approche monothétique), soit de ce qu'il y a d'unique dans chaque personnalité (aspect idiographique). D'autre part, la féminisation des rangs de l'État islamique semble avoir surpris tous ceux et toutes celles qui prônent indistinctement l'égalité entre les sexes sans tenir compte de l'appartenance culturelle. Daesh a parfaitement compris tout le parti qu'il pouvait retirer d'un islam « made in France » ! Si chez certains le biculturalisme est un atout, voire un joker, chez d'autres il est générateur de tensions intra-psychiques. Lorsque deux cultures se rencontre, des sous-groupes culturels se forment et une culture finit par l'emporter sur l'autre. Faut-il remercier les tenants de l'islam de France d'avoir engendré une nouvelle génération de néo-musulmans, êtres hybrides et ambiguës fruits de deux cultures mêlées sans discernement ? L'adolescence, période durant laquelle des jeunes se « construisent » en opposition, semble servir d'incubateur.
L'attentat est à la fois un rituel et une communion qui transgressent toutes les règles liées souvent à un sentiment d'impunité acquis lors des multiples récidives insuffisamment sanctionnées. Certains assassins caressent l'espoir de tourner en dérision les groupes d'intervention et n'espèrent qu'une chose, la confrontation avec le RAID ou le GIGN sous l'objectif des caméras ! L'acte singulier permet à son auteur de se démarquer. Dans le cas de l'assassin de masse de Nice, celui-ci semblait vivre, au dire d'un témoin oculaire, un instant jubilatoire sur fond de narcissisme que personne ne pouvait lui dérober. L'individu se trouve à ce moment dans un état de transe ou état modifié de conscience, il est incapable à cet instant de dire s'il est homme ou animal, ou un automate devenu machine à tuer. L'attentat en y mêlant le risque, le spectaculaire, et l'apparition de sensations nouvelles en serait presque une nouvelle discipline « fun », certains diront funeste.
Le suicide est l'aboutissement d'un processus de sublimation, de banalisation, et de catharsis d'un individu qui s'interroge sur sa propre identité et sa propre réalité sociale dont il cherche une voie de sortie, Daesh lui promet le paradis. Le tueur pense estomper ce qu'il est au profit de ce qu'il fait comme un modèle de conduite expiatoire. Le cri allah akbar hurlé lui est indispensable pour induire une dose de stress nécessaire à libérer les forces pulsionnelles et contribuer ainsi à la perpétration de l'acte. L'objectif fondamental de l'acte n'est pas de sauver la communauté, mais de sanctifier un comportement antérieur non conforme à l'islam : drogue, sexe, débauche, etc., afin de gagner le paradis dont aucun n'est revenu pour dire à ses frères ou « cousins » comment c'était là-haut... Le cri de ralliement n'est plus « la liberté ou la mort », mais la liberté par la mort dans l'espoir d'une extase sexuelle paradisiaque...