jeudi 25 janvier 2018 - par rosemar

Les deux premiers vers de l’Odyssée : tout un art de la séduction...

Pour commencer un récit, quel qu'il soit, il faut savoir intéresser le lecteur, le séduire et capter son attention : en lisant les deux premiers vers de l'Odyssée, on perçoit tout le pouvoir de séduction de l'aède qui introduit l'épopée.

Le poète raconte des aventures extraordinaires, un périple hors du commun en Méditerranée, un périple accompli par un être d'exception : le héros de l'épopée et de l'histoire...

"Muse, raconte-moi l'homme aux mille tours, qui erra très longtemps sur la mer, lorsqu'il eut détruit la citadelle sacrée de Troie."

En grec :

"Ἄνδρα μοι ἔννεπε, μοῦσα, πολύτροπον, ὃς μάλα πολλὰ
πλάγχθη, ἐπεὶ Τροίης ἱερὸν πτολίεθρον ἔπερσεν·"

(Andra moi énnépé, mousa, polutropon, os mala polla

Planchté, épei Troiès iéron ptoliéthron épersen")

D'emblée, le héros, Ulysse, nous est présenté avec la forme "andra, l'homme", c'est le premier mot du texte, une façon de valoriser le personnage, de le mettre en vedette, alors même qu'il n'est pas nommé.

Ce personnage, dès le premier vers, est associé au terme "poly", qui signifie "nombreux, abondant", dans deux mots "polutropon", "aux mille tours" et "polla", "souvent, de nombreuses fois"...

On perçoit, là, des hyperboles qui servent à magnifier et valoriser le héros de l'épopée : comment ne pas être attiré par ces exploits qui nous sont annoncés, en ce début de récit ?

En même temps, ce héros est très humain, proche de nous, puiqu'il est désigné par ce terme : "andra, l'homme".

Par ailleurs, ce personnage nous est présenté dans une temporalité, une histoire fabuleuse, à l'époque : la guerre de Toie, on apprend que le héros a participé à cette guerre et a oeuvré pour la destruction de la citadelle de Troie...

Il semblerait même qu'il soit presque le seul acteur de cette guerre à avoir vraiment fait en sorte de la gagner ! L'emploi du singulier est assez remarquable dans l'évocation du deuxième vers.

De plus, on comprend que l'invocation à la Muse, dès le premier vers, apporte une certaine solennité à cette introduction : la muse est là pour inspirer le poète, lui apporter ses ressources, son soutien...

Elle donne une dimension surnaturelle au texte, une sorte de caution divine.

L'impératif employé par l'aède : "raconte-moi, dis-moi" suggère, aussi, toute l'oralité de l'épopée primitive, faite pour être racontée, récitée, au son d'un instrument de musique, avant même d'être fixée par écrit...

On peut évoquer, aussi, l'extraordinaire poésie de la langue grecque, aux sonorités de voyelle "a" récurrente dans le premier vers, la voyelle "o" étant réitérée dans le vers deux : on entendrait presque des cris d'admiration adressés à ce héros d'exception dont l'aède va raconter l'histoire et les exploits.

Il faut rappeler, enfin, que l'épopée est écrite en vers : l'hexamètre dactylique, comportant six mesures, où alternent voyelles longues et brèves, dans des rythmes scandés par la voix.

 

Le blog :

http://rosemar.over-blog.com/2015/09/les-deux-premiers-vers-de-l-odyssee-tout-un-art-de-la-seduction.html

 

 Pour entendre ces deux premiers vers et la suite du texte : des essais de reconstitution de la prononciation du grec ancien à écouter...

http://www.homeros.fr/IMG/mp3/lascouxodysse_eprologuessanswawsanscoupes.mp3

 

http://www.homeros.fr/IMG/mp3/lascouxodysse_eprologuefaibleme_lodisationdigammapulsation.mp3

 

http://www.homeros.fr/spip.php?rubrique3

 



20 réactions


  • Decouz 25 janvier 2018 18:50

    Ce qui me freine dans le grec, ce sont les accents, plus que les lettres et la grammaire, ces accents ont-ils une importance ? Peut on lire sans en tenir compte ?


    • rosemar rosemar 25 janvier 2018 18:57

      @Decouz

      Les accents grecs devaient correspondre à des accents d’intensité et cet usage existe encore en grec moderne.
      Il faut écouter les enregistrements qui figurent sous l’article... ce sont des essais de reconstitution....

  • JC_Lavau JC_Lavau 25 janvier 2018 19:19

    Muse prête moi ta lyre,

    Afin qu’en vers je puisse dire
    L’un des combats les plus fameux 
    qui se déroula sous ma queue !
    Heu heu heu heu !

    De profundis
    Macronibus !
    La lala lala ...
    ...
    ...
    Un macron motocycliste,
    Prenant mon cul pour une piste,
    Dans un virage dérapa 
    Et dans la merde il s’abyma :
    ha ha ha ha !
    ...

  • Aristide Aristide 25 janvier 2018 19:33

    « Muse, raconte-moi l’homme aux mille tours, qui erra très longtemps sur la mer, lorsqu’il eut détruit la citadelle sacrée de Troie. »


    Deux vers pour séduire et capter l’attention ? Cette traduction est ... assez étonnante, il me semble. Étonnante pour ne pas dire, ... maladroite.

    Ne connaissant du grec que le nom et n’ayant de l’Odysée que de vieux souvenirs, j’ai donc essayé de trouver d’autres traductions.

    En voilà quelques unes peut être plus ... intéressantes  :

    Dis-moi, Muse, cet homme subtil qui erra si longtemps, après qu’il eut renversé la citadelle sacrée de Troie.

     Muse, dis-moi le héros aux mille expédients, qui tant erra, quand sa ruse eut fait mettre à sac l’acropole sacrée de Troade,

    C’est l’homme aux mille tours, Muse, qu’il faut me dire, Celui qui tant erra quand, de Troade, il eut pillé la ville sainte, 


    Cette dernière ayant ma préférence ...



    • Aristide Aristide 25 janvier 2018 19:42

      @Aristide

      AJOUT : J’ai trouvé cette page Une « analyse » de quelques traductions. 


      La traduction que j’ai préférée est visiblement un « classique », Victor Bérard en 1924, voilà ce qui en est dit : « La célébrissime traduction de Victor Bérard (1924), disponible en Pléiade et au Livre de Poche. Une prose rythmée, parcourue tout entière (à part quelques alexandrins découpés 4+4+4) par la pulsation de l’hexamètre. »

    • rosemar rosemar 25 janvier 2018 21:08

      @Aristide

      La première traduction ne rend pas bien compte de l’épithète homérique : « polutropon »... « subtil » n’est pas satisfaisant.
      La deuxième est une adaptation un peu maladroite et vieillie, avec une modification du texte...
      La troisième ne respecte pas l’impératif « dis-moi », et c’est dommage... Le verbe « piller » me semble une erreur de traduction.


      Merci pour ces exemples qui montrent toute la difficulté de la traduction...

    • kalachnikov kalachnikov 25 janvier 2018 23:13

      @ rosemar

      En fait il y a un concept grec difficilement traduisible, la mètis.

      ’[...] le mot mètis est d’abord un nom commun, qui signifie non pas l’intelligence mais une forme particulière d’intelligence qui est faite de ruses, d’astuces, de stratagèmes, et même de dissimulation, voire purement et simplement de mensonges. On peut dire que le héros humain de la métis, pour les Grecs, c’est Ulysse. C’est Ulysse polymétis, l’homme de toute les ruses, de tous les tours, de toutes le feintes, le débrouillard, qui sait se tirer d’affaire, et pas toujours de façon très franche, ni loyale, comme nous dirions, en quelques circonstances, si difficiles qu’elles soient où il puisse se trouver. Mais métis c’est en même temps le nom d’une Déesse, d’une Divinité qui joue dans le Panthéon et dans la mythologie grecque [...]’

      http://www.fabriquedesens.net/Les-ruses-de-l-intelligence-La

      https://fr.wikipedia.org/wiki/M%C3%A9tis_%28mythologie%29


    • kalachnikov kalachnikov 25 janvier 2018 23:35

      Ce concept est malheureusement grevé par le personnage d’Ulysse et réduit à la notion, de ruse, d’astuce alors qu’il s’agit en fait d’une intelligence pas du tout intellectuelle, intuitive et liée à la survie, instinctive, immédiate et concrète. Il y a un autre personnage qui en présente les signes, le Joseph de la Bible, qui triomphe de l’adversité et vit une véritable odyssée.


    • Ciriaco Ciriaco 26 janvier 2018 00:34

      @kalachnikov
      Difficile de dire où se situe la sagesse - peut-être la seule qui soit - de la mètis (disons que Nietzsche faisait peut-être parti des passeurs). Car sans elle, je crois que c’est autre chose.


    • Decouz 26 janvier 2018 09:10

      @kalachnikov
      Le personnage de Joseph dans la Bible est bien plus qu’un personnage rusé et bénéficiant d’une intuition primaire. Si il utilise bien la ruse pour confondre ses frères, c’est principalement un personnage inspiré par Dieu, un prophète. L’intuition se manifeste par d’un langage onirique qui demande une traduction.


    • rosemar rosemar 26 janvier 2018 14:36

      @kalachnikov

      Oui, la mètis est un mot difficile à traduire.Ulysse fait appel à une ruse pour tromper le Cyclope Polyphéme : au monstre qui lui demande son nom, il répond « outis », « personne »... peut-être un jeu de mots avec « mètis » ?




    • rosemar rosemar 26 janvier 2018 14:38

      @rosemar

      Métis, la déesse de l’intelligence rusée....

    • rosemar rosemar 26 janvier 2018 14:42

      @rosemar

      Et dans l’Odyssée, tout part de métis :



    • Aristide Aristide 26 janvier 2018 16:11

      @rosemar


      Il vous semble que « piller » est une mauvaise traduction ?

       Et pourtant : Dictionnaire grec Bailly 

      1 - dévaster, détruire, ravager, ruiner par le fer et le feu ; (en gén.) anéantir, tuer, détruire
      2 - prendre comme butin dans destruction d’une ville, piller


    • rosemar rosemar 26 janvier 2018 17:28

      @Aristide

      ça se discute : le sens de « détruire » est plus fort, tout de même...

    • Aristide Aristide 27 janvier 2018 11:17

      @rosemar


      Il me semble tout de même que le traducteur de La Pléiade a une certaine ... compétence dans ce domaine. Mais bon ... Serait ce donc que cette entière traduction de l’Odyssée serait truffée d’à peu près à vous entendre ?

      Il n’ y a rien d’insultant à admettre l’expertise des autres .... Je ne parle pas de moi, mais de ce traducteur.

  • paco 26 janvier 2018 10:14

     Bonjour @Rosemar...

     « ...que l’on retrouve dans les vers d’Homère. D’alors que certains s’imaginent que... »
     Voilà. Ai pas pu résister à vous livrer cet extrait d’une dissertation qui m’avait valu trois heures de colle et un zéro rouge vif il y a plus de 30 ans, au lieu de récompenser mes efforts potaches. Et si c’était à refaire aujourd’hui, pareil, j’y accolerai à Homère un Pr Simpson de chais plus quelle université anglo-saxonne. C’est celui que les « djeun’s » connaissent à coup sûr.
     Depuis, pas trop relu cet aède, ni en version originale, sur tablette d’argile ou tactile, ni sur peau de mouton retournée ou traduite...
     J’ai trouvé mieux.
     Tenez, la plus belle et intense première phrase de roman qui soit :

     «  »Bien des années plus tard, face au peloton d’exécution, le colonel Aureliano Bendia devait se rappeler ce lointain après-midi au cours duquel son père l’emmena faire connaissance avec la glace. «  »

     Ca, c’est du lourd. Tout y est, le temps, passé, présent, futur...la transmission des générations, la guerre et la mort...le mystère...le tout condensé au diable. Bon, je vais pas titiller les ignares, je balance le nom de l’auteur : Gabriel Garcia Marquez...« Cent ans de solitude ».
     Alors,...à vos livres...prêts ?...partez !!!!
     


  • samson samson 27 janvier 2018 10:45

    deux verres a l’odyssée ;

    un whysky au bar de la gare ;

     et un pastis au PMU

    ma cuilture est complète a midi......


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