Marseille : Grève de la faim d’un chanteur d’opéra
Tous les citoyens sont égaux devant les complications administratives.

Monsieur C..., Artiste lyrique, a entamé lundi 31 juillet 2006 une grève de la faim dans les locaux de la direction départementale de l’Anpe face au refus inexpliqué du directeur à lui ouvrir une inscription comme demandeur d’emploi.
Loin des clichés courant sur les intermittents du spectacle, ce Figaro n’a rien d’une cigale, c’est un bosseur : Jeune soliste, grand prix du conservatoire, couronné de prix internationaux d’opéra italien, premier rôle dans Don Giovanni, Tosca ou Carmen, il remplace au pied-levé les plus grands noms de la scène lyrique. C’est cet artiste là qui se trouve réduit à l’extrémité de devoir entamer une grève de la Faim.
Son histoire hélas, est simple. Elle montre bien à quel point les professionnels du spectacle sont à la merci des administrations, dès lors que le dossier se perd, dès lors qu’un fonctionnaire de l’Etat un peu frileux craint pour son avancement à devoir faire un rapport sur des erreurs de dossier. Toutefois, à l’oreille d’un élu local, le directeur de l’Anpe reconnaît que l’artiste a été victime d’un "problème informatique" de l’Anpe, "mais qu’il y aurait des conséquences à le reconnaître devant des supérieurs, et le réinscrire, ce serait faire un faux !"... donc l’artiste restera exclus, et c’est à lui de payer la couardise des fautifs. Décidément, rien n’a changé depuis Courteline.
En 2004, Monsieur C... part en tournée lyrique à travers la France, Nanterre, Opéra du Rhin, Nantes, St Etienne, Nice, tandis qu’au même moment son dossier d’intermittent se perd dans les couloirs de l’administration (lui dit-on). Son pointage mensuel, où il doit déclarer ses cachets en début de mois, n’arrive plus par courrier. Dans les couloirs de l’Anpe, on lui dit de ne pas s’inquiéter, que c’est normal. En fait, l’Anpe l’a radié sans le prévenir du 31 juillet 2004 au 12 décembre 2005. Seize mois de silence...
Pendant ce temps, le professionnel a enchaîné les rôles, a travaillé ses partitions, a tourné à travers les pays d’Europe. En langage Assédic : il a cotisé, et même plus que la moyenne, 636 heures.
10 mois passent. Alors que notre Wolfram ouvre à des droits rétroactifs concédés par l’Assedic, après l’intervention conciliatrice du Médiateur de la République, l’Anpe de Marseille, qui n’ a rien à débourser, s’oppose à ce qu’il perçoive ses arriérés de chômage. Il lui suffit de ne pas valider son inscription permanente au titre des demandeurs d’emploi et l’artiste ne touchera rien.
Dès lors, l’Anpe joue le rôle de censeur, s’érige en arbitre
alors que l’Assedic a pris ses responsabilités honnêtement. Le directeur d’Anpe
locale est prévenu, sa stratégie de l’autruche n’est pas la bonne - il aura
affaire au Syndicat Français des Artistes.
Il aurait alors à rendre compte des dysfonctionnements de son service, non plus
devant ses supérieurs, mais devant un juge...
Encore une fois, faut-il que les juges soient le recours à tout, et que ce soit
une maladie contemporaine la difficulté à reconnaître ses erreurs ?
10 mois passent et on vient lui dire un beau matin : -"Mais, Monsieur, vous n’êtes pas inscrit comme demandeur d’emploi... dès lors le calcul de vos cachets ne peut couvrir la période où vous n’avez pas été inscrit." Froid, cynique, imparable.
Les dettes s’accumulent pour Monsieur C... Le Trésor Public lui tombe dessus, les contrats (un malheur n’arrive jamais seul) se font plus rares à cette période. Il ouvre un dossier de surendettement à la Banque de France comme débiteur de bonne foi. De facto, il est interdit bancaire. Et comme pour ajouter à le démence de l’affaire, la Banque de France demande au chanteur de trouver "un emploi stable" ! Les impayés de son assurance chômage (30 000 euros sur deux ans) lui interdisent de payer ses impôts, son loyer. Ultime avanie : même ses cours de chant, tellement nécessaires à ce niveau, sont sacrifiés.
Pour le chanteur, le cauchemar ne fait que commencer. D’atermoiements en promesses, d’avancées en reculades, les services de l’Assedic et de l’Anpe se mettent d’accord pour régulariser la situation de l’infortuné. Puis l’anpe de Marseille se rétracte, couvre les erreurs.
L’artiste lyrique, redevenu simple administré citoyen de France, y croit de nouveau, puis n’y croit plus, y croit encore. C’est épuisant pour un artiste qui doit maintenir son niveau professionnel (soliste) rechercher des contrats, monter des projets d’opéra populaire, de s’occuper en plus d’un imbroglio comme celui-là. La dépression le guette, et ça devient périlleux. Depuis ce lundi, il a la détermination des honnêtes gens, il l’a écrit au Président de la République : il ira jusqu’au bout.
Pour résumer, c’est l’histoire d’un jeune artiste français honnête, brillant, méritant, à qui l’administration vient couper le sifflet pour une histoire technico-administrative, et alors que l’inscription à l’Anpe est - pour tous les professionnels en activité - une obligation permanente. En un mot : faut-il aussi ajouter, à la précarité sociale des intermittents, une précarité administrative ?
Pendant ce temps que notre musicien met en jeu sa santé devant les bureaux de l’Anpe, en attendant que M. le Directeur veuille bien appuyer sur un bouton, combien de chanteurs vont venir de Londres ou de Berlin prendre sa place dans nos théâtres ? Combien de portes risquent de se fermer devant lui, à l’aube d’une carrière ?
C’est, messieurs les ronds-de-cuir, le spectacle qui s’arrête, la scène française qui se prive de ses plus beaux atouts, et c’est une fois encore -mal ô combien français- un gâchis.
L’artiste a préféré garder l’anonymat, dure réalité -aussi- des métiers de la scène.