Réhabiliter Staline ?
Si vous écoutez le discours médiatique ambiant les Américains ont gagnés la guerre, avec un léger concours britannique et une poignée de moujiks perdus dans leurs steppes. Cela, tout en sauvant le soldat Ryan, preuve de la haute valeur morale de l'US army. Au contraire, Staline aurait mené ses troupes par la terreur, preuve qu'il est un vilain communiste et que la dictature incarne le mal.
Passons sur ce rayon pour enfants entre guimauve et Bisounours et venons-en au réel.
Cette propagande s’appuie sur la dureté du régime soviétique dans la période entre le coup d’État et le rapport Kroutchev. En clair : Les crimes du stalinisme ! Une période particulière dans l’histoire du monde où guidée par Jospeh Staline l’URSS passa de pays sous développé à l’une des plus grandes puissance militaire et industrielle du monde avant de défaire l’invasion nazie de 1941. Tout cela, au prix de million de morts.
Le but de cet article est de faire un point partiel sur les progrès de l’historiographie de cette période. Ensuite, à cette lumière, nous essaierons de comprendre les fondements philosophiques pour évaluer cette période et ainsi la question très actuelle de l'État et de la livre de chair qu'il peut exiger au nom du bien commun.
Le stalinisme du culte de la personnalité à la damnatio Memoriae.
Selon certains, une fois la révision sur Staline terminée, il n'en ressortira pas lavé, le goulag et la répression sont trop présents, mais pas non plus noir. Il en ressortira gris, ce qui sera déjà un grand progrès historiographique.
Tout d'abord, nous devons nous rappeler que la première dénonciation vint de l'intérieur avec le fameux rapport Krouchtchev qui porte à la connaissance des délégués du XXe congrès du PCUS la longue liste des crimes de Staline. Alors, bien sûr, sans exonérer Staline, constatons que le mort était bien utile pour lui imputer la responsabilité de l'ensemble des condamnations des années 30.
Cela rappelle Robespierre, accusé de tous les crimes par des Thermidoriens désireux de se débarrasser de leurs crimes sur ce bouc émissaire bien commodei. Les dénonciateurs de Staline se baserons longtemps sur ce rapport puisque les archives soviétiques seront longtemps fermées et seulement ouvertes dans les années 90.
Un article de Cairn info établit la nuance : L’ouverture des archives produit une révolution documentaire, mais elle n’a pas encore eu le temps de produire une révolution historiographiqueii. Le travail et les querelles entre spécialistes continuent à se baser sur les conclusions précédentes, même si, il est probable que les efforts en cours conduiront à de nombreuses révisions de ce que nous croyons savoir.
L’article de Cairn liste d’ailleurs de nombreuses questions : Staline était-il seul ? Quel furent les réactions des administrations soviétiques, leurs synergies ou leurs oppositions ? De quels soutiens l’état soviétique disposait-il dans la société et quelles furent les résistances sociales.
Tous ces débats appellent la nuance, bien loin de la seule école totalitariste acharnée à faire de Staline un dictateur sans pitié imposant sa vision et celle d’une bande de brutes à une société soviétiques incapable de se défendre.
Les amateurs d’humour noir constateront que Krouchtchev, secrétaire général de parti communiste régionaux envoyait à Staline les chiffres pour établir les quotas de personnes à condamner à mort ou au Goulag. L’URSS se languissait de Vinchinsky, avouons-le, prendre le procureur parmi les coupables offre l’occasion de savoureux saltos politiques. Enfin, ainsi, le nouveau premier secrétaire put se laver de ses actes et s’acheter ainsi, au prix de la destruction de la confiance dans le système, une virginité bienvenue.
Un paranoïaque peut avoir de véritables ennemis.
N’y avait-il pas de réel moyen, au moins d’assumer partiellement ? Certes, certains historiens estiment que 20 mio de soviétiques furent envoyés au Goulag, plus d’un million, peut-être deux, condamnés à mort, sans parler des victimes des famines et autres, le bilan humain de la période 1917-1950 est immense.
Certes, mais comparons un instant avec le nazisme : Hitler arrive au pouvoir avec la promesse de libérer l’Allemagne du traité de Versailles, quelle peine aura-t-il ? Il réarme et expédie les clauses militaires dans les limbes dés 1934. La Rhénanie ? Il l’occupe en 1936 sans tirer un coup de feu. Les limitations d’armement naval ? Les anglais lui offrent un traité qui permet à l’Allemagne de remplir ses arsenaux pendant dix ans.
On a connu des oppositions plus virulentes et on reste, aujourd’hui encore, abasourdi par la bienveillance des puissances Européennes envers ce pouvoir agressif et sans parole, véritable ramassis de brutes épaisses parvenus à la tête d’un pays de culture et de civilisation dont il va bientôt détruire l’honneur.
Par haine du communisme, de ce rouge partageux parvenu au pouvoir en URSS sur les ruines de l’échec des Romanov ? On peine à trouver une autre explication. Alors, si les crimes du nazisme ne sauraient bénéficier de la moindre circonstance atténuante, peut-on en dire autant de l’Union Soviétique ?
La révolution bolchevique s’empara d’un pays ruiné, à l’agriculture mal en point, à l’industrie désorganisée, une administration corrompue et une armée dissoute. On connaît des circonstances de naissance plus simple, bien loin de l’arrivée au pouvoir d’un Hitler dans une Allemagne certes avec des difficultés économiques, mais fonctionnelle.
De ce pays ruiné, Lénine, Trostky et Staline, puissent-ils me pardonner de les réunir ainsi à titre posthume, vont faire l’une des plus grandes puissances industrielles du monde en moins d’une génération. D’un vaste territoire peuplé de serfs à peine émancipée, ils feront une nation puissante dont les ingénieurs s’approprieront les travaux sur l’arme nucléaire avant d’envoyer des fusées dans l’espace. L’ampleur de l’œuvre doit nous interpeller, surtout que loin de se faire dans la paix et le calme, l’URSS est la cible d’attaques en tout genre :
France, USA, GB, Allemagne, Japon attaquent son territoire de tous les côtés pendant la guerre civiles, armes et financent les armées blanches. La Pologne se lancera entre 1919 et 1921 dans une guerre contre l’Union soviétique. Puis, les puissances occidentales seront là, tels des vautours, prompt à soutenir opposants et révoltés.
Le couronnement de cela sera l’assaut allemand de juin 1941. Certes, les nazis ont vaincu la France, que voulez-vous, on a une fois par millénaire la chance d’affronter une armée largement préparée par un Philippe Pétainiii et ainsi facile à vaincre. Les Allemands n’allaient pas se priver et le pillage de notre malheureux pays donnera aux nazis bien des armes pour ravager l’URSS qui a fort heureusement, grâce au pacte germano-soviétiqueiv réussit à arrêter, in extremis l’assaut devant Moscou.
Alors, certes, les procès de Moscou, sont une purge, mais n’y avait-il pas d’espions, pas d’incitation au sabotage ou d’attaques multiples contre l’union soviétique ? On peut douter. Malgré ces attaques multiples, les Soviétiques sont parvenus à transformer leur pays en moins d’une génération.
En ce sens, rappelez-vous l’Iran, le Shah avait voulu développer le pays à marche forcée, il eut la révolution islamique dont la question sur le voile fut une réponse à cette transmutation à marche forcée des cadres sociauxv.
L’URSS fut sûrement confrontée à de telles résistances sociales face à une industrialisation à marche forcée, dont l’investissement s’obtint en brisant la consommation interne.
Méthode violente, certes. On ne saurait le contredire, mais sans ses usines, ses fabrications d’armes, le pays eut été livré à l’occupation allemande et probablement Japonaise en Sibérie. On imagine le nombre de victimes civiles, bien au-delà des millions déjà assassinés par les Allemands.
En ce sens, les dirigeants soviétiques avaient-ils le choix d’une autre politique que l’industrialisation à marche forcée en brisant en force toutes les oppositions ?
Vaste question, on ne saurait y répondre depuis le confort d’un fauteuil confortable, mais on constate que cette conception, recoupe celle de la cité grecque traditionnelle, où le citoyen est solidaire de la cité qui doit passer avant sa personne, sacrifiable si nécessaire. Hobbes dans le Léviathan développe une conception proche. Une approche certes théorique, l’individu passe souvent dans les interstices du contrôle social, mais réelle dans les sociétés anciennes.
En ce sens, il convient de conserver cette question à l’esprit, avant de juger Staline. Oui, il a tué, lui et ceux qui l’ont dénoncé aussi, mais il a aussi sauvé son pays et en a fait une grande puissance, en paix et en sécurité durant l’ère Brejnev.
Le léviathan, a-t-il tous les droits ?
Là est la question, le drame moral de celui qui prétend analyser l’URSS des années 1930. Refaire l’histoire est toujours un exercice périlleux, mais constatons que les armées allemandes sont passées à deux doigts de prendre Moscou.
Imaginons si les Romanov (Vous pouvez aussi imaginer un maintien des gouvernements Kerenski) étaient restés au pouvoir ? La Russie eut été colonisée ou bien conquise par les Allemands. On a vu dans les années 90 les conséquences des politiques libérales pour ces peuples.
Si les bolcheviques avaient pris le pouvoir, mais échoué à industrialiser le pays, il est probable que le Lebenraum, atteindrait l’Oural. Bonne chance aux populations d’un aussi vaste espace. En pratique l’armée Allemande pour sécuriser ses arrières s’est imposée une politique meurtrière fautes d’effectifs suffisant pour maîtriser les civils.
Constatons que nous aimons à nous croire parvenus au sommet de l’histoire par la proclamation des droits individuels, mais les mêmes, lors de la COVID, se sont mis à réacclamer des mesures coercitives pour une grippette. Si la maladie avait été grave, des mesures de coercitions auraient pu être acceptables, mais il eut fallu ramasser des camions de cadavres chaque jour dans les rues pour le justifier. Nous en étions fort loin.
En ce sens, la menace affrontée par l’Union soviétique dans les années trente est du même ordre et la mobilisation de la société fut un choix d’ailleurs soutenu par une partie de la population.
En ce sens, avant de nous réfugier dans l’idéologie et de condamner, Staline, ou le stalinisme au nom d’un prétendu bien absolu, nous devrions ouvrir le débat sur le citoyen et son degré de soumission à l’état.
Nous vivons dans un pays qui a sacrifié 1,3mio de ses fils entre 1914 et 1918, là personne ne se demande si on aurait pu agir autrement. Aujourd’hui, on nous parle d’aller affronter l’armée russe qui depuis ses positions au-delà du Dniepr menacerait de venir envahir la France.
Alors, peut-être serait-il temps, à la fois d’apprendre à nouveau à évaluer les menaces à l’aune du prix terrible à payer, mais aussi de justement savoir réexaminer certains choix dramatiques fait dans l’histoire à l’échelle des véritables défis du temps et pas uniquement pour renforcer notre bonne image de nous-même.
En ce sens, revoir la dictature stalinienne, non pas à l’aune d’une gentille condamnation des totalitarismes, qui met en valeur les ″gentilles″ démocraties libéralesvi, mais à l’échelle des menaces pesant sur l’URSS dans les années trente serait un bon premier pas.
ii Le stalinisme au pouvoir | Cairn.info
iiiOu plutôt pas préparée, tant Pétain négligeât ses responsabilitées.
https://studio.youtube.com/video/THYdf6d6Vu4/edit
iv Certes beaucoup reprendrons la théorie d’Annah Arendt qui fait des deux totalitarismes des jumeaux maléfiques. Pourtant les russes n’étaient pas à Munich, ils offraient alors 60 divisions pour aider les tchèques. En réalité, le pacte fut le constat de carence de l’absence de sérieux des occidentaux dans les négociations, Staline en tira la conclusion qu’il devrait lutter seul, il eut raison.
Le pacte germano-soviétique, fruit amer des accords de Munich
v Sans bien sur oublier, l‘argent des princes saoudiens et la cynique bienveillance de la CIA envers les mouvements islamistes du monde entier, s’ils cassaient du communiste ou du nationaliste bien sûr.
vi Qui ont tout de même attaqué la Yougoslavie, l’Irak, la Libye, la Syrie, avec un bilan humain à comparer au stalinisme ?