Syndrome canapé
La plupart des radios FM étant devenues inaudibles, non pas par la qualité du son, mais par la nature et la forme des messages de propogande et de publicité matraqués en alternance avec les "fakenews" licites et officilles, j'ai calé mon auto-radio sur une station vouée à la musique classique moins snobe et moins "contemporaine" que France-Musique. Beethoven, Vivaldi et Mozart me ravissent et je ne vois pas pourquoi je m'en priverais.
Ainsi donc, ce matin, pour me rendre à une convocation administrative laconique mais néanmoins impérative, je roulais tranquillement à une heure inhabituelle pour moi et fus surpris de constater que cette station diffusait également des émissions consacrées à l'actualité. Je prêtai donc une oreille attentive à un échange verbal tenu par deux chroniqueurs de sexes opposés et animé par un présentateur discret et fort habile pour passer les plats.
Le dialogue était coutois et la tonalité douce, ce qui tranchait avec les criaillements et gloussements des pintades que je ne peux plus supporter sur d'autres longueurs d'ondes, et j'ai cru un instant qu'il existait encore un espace radiophonique où l'on pouvait entendre, sans s'énerver, des débats argumentés susceptibles de contribuer à l'édification d'auditeurs latitudinaires.
Le sujet traité était celui de la réforme des retraites.
Avec beaucoup de précautions, le débatteur masculin venait de développer une argumentation que n'aurait pas dédaignée Montesquieu, tournant autour des notions de nécessité économique et de justice sociale, et dépeignait ce qu'il supposait être les obligations des gestionnaires et les sentiments des victimes dans ce charcutage douloureux. Une oreille peu exercée aurait même pu se laisser séduire par ce discours raisonnable et compatissant, et je dois avouer qu'un instant, ma vigilance fut prise en défaut, séduit que j'étais pas la musicalité de cette voix de crooner. Bien que totalement hétéro, j'étais donc sous le charme de ce Sinatra journalistique quand le meneur de jeux me réveilla. Il s'adressait à la dame :
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"À la lumière de ce que vient d'évoquer M. Machinchose, ne pensez-vous pas qu'il faille s'attendre à quelques "mouvements de rue" dans ce contexte ?".
Court silence pour bien marquer la gravité de l'interrogement. Puis, fulgurante, la réponse arriva comme une météorite dans un ciel serein :
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"Ce ne sont certainement pas ceux qui n'ont pas envie de se lever de leur canapé pour aller travailler qui vont le faire pour aller manifester".
Mon sang ne fit qu'un tout et je me surpris moi-même à me livrer à un acte de violence que j'eusse réprouvé chez un autre : j'éteignis carrément la radio, mais sans brutalité eu égard à mon budget qui ne me permettrait pas la rétribution d'un professionnel pour la remise en état de l'appareil détérioré.
Il faut vous dire que mon énervement, pour passager qu'il fût, s'explique par un passé personnel qui s'étale sur plusieurs décennies, dans un environnement progressiste mêlé d'engagements sporadiques pour les causes les plus nobles qu'un esprit éclairé se doit de défendre.
Sans aller jusqu'à soliloquer à voix haute, je dois avouer que je me tenais à moi-même des propos péremptoire du genre : "Voilà bien le mépris dans lequel les petites bourgeoises tiennent les pères de familles condamnés au chômage ! Pour elles, ce sont des faignants, point c'est tout et, toujours pour elles, ils seraient tellement avachis qu'ils n'auraient même plus l'énergie de se révolter", me dis-je en moi-même et en français.
Comme chacun sait, l'adrénaline a une action vasoconstrictrice qui permet de lutter contre la vasodilatation responsable du choc anaphylactique diminuant le sifflement respiratoire et la dyspnée, mais aussi le prurit, l'urticaire et l'angio-œdème associés au choc. Je venais donc, grâce à la production massive de cette hormone providentielle, non seulement de faire l'économie d'une crise de démangeaisons pour cause de propos allergènes, mais aussi, par le même coup, de limiter une perte de contrôle (contre-indiquée en cas de conduite d'un véhicule automobile) à une durée inférieure à trente secondes, ce qui explique le maintien de la trajectoire et l'absence de collision.
La pression atmosphérique de mes circonvolutions cérébrale étant revenue à des normes acceptables, dans le silence de l'hobitacle, je me surpris alors à continuer à penser.
Certes, les propos de cette professionnelle de l'analyse sociologique révélaient une inclination nette pour les thèses les plus réactionnaires, et j'étais déçu de constater que même une station radiophonique à vocation musicale contribuait à répandre l'idéologie dominante, mais ce constat de l'apathie "populaire" caricaturée par le "syndrome canapé" est-il totalement dénué de fondement ?
Je cherche maintenant quelle hormone je pourrais bien solliciter et activer pour enrayer la progression de l'éta dépressif qui, je le sens, est en train de me submerger. Vos diagnostics et sugestions de traitements seront les bienvenus.