La City, foyer de la corruption mondialisée
La corruption n’est plus un comportement réprouvé par la morale, mais une technique de gestion officialisée par des pratiques telles que le lobbying et les abus bancaires.
Dans les pays dits « développés », possédant des systèmes juridiques et comptables performants, ce ne sont pas les couches inférieures de la hiérarchie qui sont en cause. Il est exclu qu’un inspecteur des impôts ou une vendeuse de prêt-à-porter empoche un pot de vin, car les risques seraient beaucoup plus grands que les bénéfices.
C’est au sommet que les probabilités sont le plus élevées. Aucune des affaires de corruption parues dans les journaux – notes de frais des élus, fourniture de renseignements, prévarication, délit d’initié – ne concernent les laissés pour compte.
Aujourd'hui, en Europe, l'ampleur de la corruption est étendue mais discrète. Cela est dû en partie à la façon dont sont présentées ces pratiques. Par exemple, en Grande-Bretagne, la vente frauduleuse d’une assurance de protection de paiement par les entreprises de services financiers a été appelée « mis-selling." Comme si une fraude systématique cumulant quelques 24 milliards de Livres Sterling pouvait avoir pour origine le dérapage d'un stylo.
L'autre aspect est que non seulement les actes frauduleux sont présentés comme des crimes sans victime, mais aussi comme des crimes sans auteurs.
Par exemple, dans le scandale du « Libor », on sait que les 16 plus grandes banques de la City ont manipulé régulièrement et systématiquement les taux d'intérêt sur les marchés mondiaux, la plus grande arnaque dans l’histoire des marché, a porté sur un montant supérieur à 350 milliards d’Euros.
Les amendes infligées aux banques concernées sont aussi colossales : six banques ont accepté de payer 4,3 milliards d’euros. Mais seul un trader, M.Thomas Alexander William Hayes a été reconnu coupable, comme s’il avait pu réaliser ces opérations tout seul (à la manière de Jérôme Kerviel ).
Non seulement la fraude n’est pas prise au sérieux, mais elle est encouragée et facilitée. Les oligarques corrompus du monde entier ont besoin d'un endroit sûr pour stocker leurs gains mal acquis. Un des plus sûrs est la City de Londres qui est connue comme le marché « buy-to-leave », une technique de spéculation qui consiste en placements immobiliers sans risques et sans intention d’utiliser les biens acquis. Alors qu’à Londres beaucoup de gens recherchent un logement pour y vivre, il existe quelques 36.000 propriétés vides à travers la ville.
« Transparency International », une ONG spécialisée dans les questions de corruption, estime que rien qu’à Westminster, près de 10 % des appartements ont maintenant des propriétaires étrangers et anonymes.
Pour satisfaire cette formule de spéculation, des maisons neuves sont construites, vendues, puis laissées vides par leurs propriétaires pendant des années. Pourquoi ? Parce que la valeur de leurs biens augmente de 10 pour cent chaque année, un meilleur rendement et plus sûr que bien d'autres investissements, sans tracasseries de la part de locataires mauvais-coucheurs. Des rues entières et des immeubles sont ainsi laissés vides.
Des milliards d’euros d'argent sale sont ainsi « blanchis » par des trafiquants qui achètent des propriétés haut de gamme par le biais de sociétés écrans, transformant Londres en capitale mondiale du blanchiment d'argent.
Même les chantres de la mondialisation commencent à s’émouvoir. M. Leonard McCarthy du Forum Economique Mondial pose cette question :
« Est-ce que la mondialisation aggrave la corruption ? Quand l'effondrement d'un pont ou d'un bâtiment conduit à des décès évitables, il faut enquêter pour savoir si des pots de vin ont été payés. Nous constatons une tendance constante des entreprises à sacrifier la sécurité et la qualité afin de récupérer le coût des pots de vin qu'ils paient aux représentants du gouvernement pour obtenir les contrats. Même une question aussi banal que l'enlèvement des déchets peut être faussée par la corruption, ce qui se traduit par un impact sur l’environnement. Le problème avec la fraude et la corruption est qu'ils entravent le fonctionnement des institutions et les empêche d'atteindre leur véritable potentiel. "
M. McCarthy estime que la mondialisation peut être tenue pour responsable de cette dérive.
"Si l'attention internationale a contribué à faire avancer le programme de lutte contre la corruption flagrante, la mondialisation est responsable d'une forme plus sophistiquée de corruption. Nous devons nous demander si les techniques de lutte contre la corruption ont évolué au même rythme que celui de l’intégration des systèmes financiers, des chaînes d'approvisionnement mondiales et des entités multi-juridictionnelles ".
Ces fraudes complexes ne sont pas commises par des petits escrocs d’arrière-boutique, mais par de grandes organisations transnationales.
Prêts à tout pour encaisser des profits à une période de faible croissance mondiale, les financiers sont passés de l’ « optimisation fiscale » fiscale à des activités frauduleuses.
Lorsque le gouvernement britannique a suspendu le procès pour fraude contre BAE Systems portant sur le contrat Al-Yamamah avec l'Arabie Saoudite, au motif que la poursuite du procès serait contraire à l'intérêt national, on pouvait penser que la corruption endémique dans le monde des affaires était en train de gangréner l'État. Or, si la procédure a été arrêtée en Grande-Bretagne, elle a continué aux États-Unis où un arrangement négocié avec le ministère américain de la Justice a contraint BAE à payer une amende 282 millions de livres
Le juge de district américain John Bates a déclaré que l'entreprise impliquée avait usé de "la tromperie, la duplicité et les violations du droit en toute connaissance à une échelle énorme." Mais la négociation a permis que BAE ne soit pas reconnu coupable de corruption et ne soit donc pas sur la liste noire des futurs contrats. Puisque les États-Unis ont perçu leur part, il ne s’agit plus que d’une affaire de « business » comme les autres.