Haro sur les journalistes
L’éviction d’Alain Duhamel met en lumière la crise dont souffre le journalisme, profession aujourd’hui aussi décriée qu’elle était encensée il y a encore trente ans. Alors, responsables mais pas coupables les journalistes ?
Accusés de tous les maux, les
pauvres journalistes ? Non, simplement de connivences avérées avec LE
pouvoir, les pouvoirs en place, ils font donc l’objet des mêmes
critiques que les hommes politiques. Ne pas parler des vrais problèmes,
ne pas poser les questions qui fâchent, autoriser les petits
arrangements entre amis, passer sous silence les informations qui
dérangent. Nous tous, journalistes, avons été confronté à ces petits
renoncements, ces minuscules lâchetés : accepter de déjeuner avec un
ministre, un chef d’entreprise, puis partir dans le même avion « pour
mieux comprendre son projet », et dîner avec lui ou elle, le soir.
Accepter de faire relire une interview (il y a peu, Le Monde
précisait en bas du texte « article amendé à la demande de ... »,
bizarrement la mention a disparu). Il n’y aurait plus de relectures des
interviews au Monde ? Je ne le crois pas, malheureusement. Ce genre de
dérive existe depuis bien longtemps également dans la presse people ou
de télévision ; la moindre starlette de seconde zone passée deux fois en
prime time demande par l’intermédiaire de son attachée de presse à
relire son interview... Au cas où elle aurait parlé trop durement de son
caniche nain... On sombre dans le ridicule.
Les émissions de débats, ces
foires d’empoigne spectaculaires parfois, utiles et informatives
surtout, ont également disparu. De L’Heure de vérité du regretté François-Henri de Virieu, à Droit de réponse de Michel Polac,
les hommes politiques se pressaient pour faire partie du show. Mais le
nivellement idéologique, la logique publicitaire, la force des groupes
privés ont peu à peu aseptisé, puis tué le débat. Maintenant, on vient
chez Ruquier, Ardisson ou chez son clone énervé, Fogiel.
Journalisme à l’américaine
Le modèle américain est passé par là bien sûr et, après avoir vu Fabius se faire ridiculiser par Chirac (« vous parlez au Premier ministre de la France »), ou Mitterrand
narguer en direct le même Chirac (« je vous le dis dans les yeux »), les
fameux conseillers en communication ont décidé qu’il était urgent
d’arrêter les frais et d’adopter illico le modèle des confrontations à
l’américaine. On assiste donc maintenant à des débats grotesques, avec
des personnalités côte à côte et non plus face à face, (la peur du
regard qui tue sans doute). Celles-ci se contentent de répondre sagement à
des questions choisies par leurs équipes et sagement posées par des
journalistes triés sur le volet... Et maintenant par les fameux panels
représentatifs :« Alors Josiane, une question sur les retraites pour M.
Le Pen peut-être ? ». Tout cela est évidemment sans danger aucun
pour les politiques, sans intérêt non plus, même si ces émissions font
un carton sur TF1. Miroir, mon beau miroir...
TF1 l’aseptisée
TF1, depuis sa privatisation, achetée par le groupe Bouygues,
a beaucoup contribué à cette aseptisation des esprits. L’une des
rédactions les plus choyées de France, où l’on est très bien payé, est
aussi l’une des plus dociles. Elle est cornaquée de main de maître par le clan
des « anciens d’Europe 1 », Mougeotte, Nahmias, Villeneuve,. Le seul manquant à l’appel, Carreyrou, a été exilé sur Odyssée à la
suite de l’engagement un peu voyant de la chaîne pour Balladur en 1995.
Car TF1 sait comment prendre position sans jamais le dire explicitement
à l’antenne... Mais attention, ils ne sont pas les seuls. Europe 1,
propriété du groupe Lagardère, tout comme Paris-Match, ou Le Journal du Dimanche
(sans parler de tous les autres titres) ne sont pas connus pour leur
indépendance d’esprit vis-à-vis du pouvoir. Seule exception ? Elle est
de taille : la couverture de Match consacrée à Cécilia Sarkozy et à son amant. Une couv’ signée d’un G comme Genestar,
ex-patron de la rédaction, qui paya de sa place cet excès
d’indépendance que d’aucuns n’avaient jamais aperçu dans sa carrière
journalistique.
La presse sous contrôle
Le Figaro, longtemps propriété de Robert Hersant, « votait » systématiquement à droite, c’était connu, tout comme Le Monde votait à gauche. Mais les chaînes du service public formatées à l’image de TF1, l’arrivée de M6
sur le même modèle aseptisé que TF1, ont considérablement rétréci
l’espace dévolu au débat, aux échanges directs et aux vraies questions.
A tel point que pour lire des révélations, des informations vraiment
inédites, (hors quelques exceptions dans le Point, l’Express ou Marianne)
il faut acheter les livres de journalistes trop contrôlés ou trop
occupés pour écrire dans les magazines ou tourner des reportages pour
la télévision. Les sujets plus audacieux ou plus critiques sont souvent
refusés ou réécrits et les journalistes motivés se consacrent donc
finalement à l’édition ou... à la pêche à la ligne. Mais le bon peuple,
bien qu’un peu abruti par les jeux, les talk-shows de blondes et les
blagues lourdes de Cauet, s’est aperçu de la mascarade. Et il sanctionne
maintenant de la même main politiques et journalistes.
Quel cinquième pouvoir ?
Alors faut-il pour autant passer la main à ce « cinquième pouvoir »
dont certains (comme Agoravox) réclame l’avènement ? Doit-on chanter «
Au journalisme citoyen » sur l’air de la Marseillaise ? Et donner toute
la parole au peuple, à la base, à ceux qui osent poser les vraies
questions ?
A mon avis, tout cela ressemble à un cataplasme de
grand-mère sur la jambe d’un brûlé au napalm. Parce que le journalisme
est un métier qui requiert apprentissage, entraînement, contrôles et
corrections. Un métier transmis par de bons pros à d’autres bons pros.
Alors bien sûr il y a des médiocres, mais comme dans tous les métiers,
pas plus, pas moins. Quelques escrocs, quelques vendus qui
s’épanouissent dans le système. Mais aussi et surtout de bons
professionnels qui n’aspirent qu’à bien faire leur métier dans une
rédaction indépendante des pouvoirs, et pas seulement du politique. Car
la puissance de l’argent, à travers la pub, pèse au moins aussi lourd
que le pouvoir politique. Qu’il faille réformer ce métier, lui redonner
ces lettres de crédit professionnel, s’éloigner des pouvoirs pour
retrouver les racines de l’information, aucun doute. Mais une vaste
entreprise... pour tous ceux qui ne demandent qu’à y croire un peu plus
et qui ont plein de bonnes questions en réserve. D.A.