vendredi 22 mai 2009 - par
Petits arrangements avec la liberté d’expression
Peut-on seulement envisager l’idée de démocratie sans la libre expression des idées, projets et opinions diverses et variées de la population ? Si le débat démocratique s’alimente de la diversité des points de vue, peut-il s’accommoder de quelconques limitations, quelle que soit la légitimité que l’on peut leur accorder ?
Parfois, la démocratie, ça ressemble à une belle bonbonnière avec du ruban rose autour et pleine de coton bien moelleux dedans. On y est au chaud, bienheureux et guère tanné par le doute ou la circonspection. Les choses sont simples, claires, lumineuses : nous sommes les gentils et ceux qui ne sont pas d’accord avec nous, forcément, ce sont les méchants. Et c’est avec ce genre de logique de cours de maternelle que les gens vaquent à leurs occupations, laissant ceux-qui-savent conduire les affaires du monde et les petites tracasseries de la gestion quotidienne des affaires courantes.
Ce jour-là, je vaquais précisément à ma vaisselle, activité ô combien épanouissante pour l’esprit critique et le cuir des mains, surtout quand elle est pratiquée en écoutant les ondes hertziennes d’État, à savoir France Inter, lorsqu’une petite phrase au journal de midi tinta au creux de mon oreille : quatre mois de prison fermes étaient requis contre Christophe Picard pour apologie de crime de guerre. Un sourire béat se dessinait immédiatement sur mes lèvres, illuminant encore plus cette radieuse journée de juin 2008. Parce que Christophe Picard était une vieille connaissance, un débatteur chevronné et un fasciste assumé avec lequel je m’étais sauvagement affrontée par forum interposé aux grandes heures de l’Écho du Village.Org. Le Village était une sorte de communauté virtuelle regroupée autour d’un journal en ligne, avec force débats, charclage en ligne, modération et bataille d’opinions.
La vie démocratique, quoi !
Ce haut lieu de confrontation d’idées et d’égos fut donc fort logiquement entrepris par une nouvelle tribu venue d’une droite franche et sans fard, menée tambour battant par un fasciste affirmé et fier de l’être, adepte de l’entraînement quotidien à la rhétorique réactionnaire dans les piscines de gauchistes dont nous étions un fleuron. Henri de Fersan devint donc très rapidement le type qu’on aime détester. Il venait faire ses longueurs, à savoir, s’entraîner à retourner à son avantage les argumentations de gauchistes mal dégrossies. C’est à un foutu faf que je dois probablement mon premier concept politique, à savoir la contamination des esprits.
Fersan présentait bien dans ses textes, il dialoguait civilement, ne lâchait jamais le morceau et cherchait systématiquement à engluer ses détracteurs dans leurs propres contradictions. La clé de voûte de sa dialectique était de confronter les démocrates que nous étions et dont il ne se revendiquait pas du tout, avec les limitations de la liberté d’expression.
Peut-on parler de démocratie quand toutes les opinions ne sont pas exprimables ?
Et le Village de s’engueuler de plus belle.
Fersan avait des idées que je trouvais personnellement répugnantes et que je continue à combattre encore aujourd’hui, et c’est sûrement pour cela que la nouvelle de son inculpation pour apologie de crime de guerre sous son vrai patronyme provoqua en moi une grande vague de béatitude avant que le ressac ne me laisse comme une certaine amertume en bouche et un sentiment puissant d’incomplétude.
En effet, le délit d’opinion est-il soluble dans la démocratie bien talquée sous les aisselles ? Autrement dit, l’intense satisfaction que je pouvais avoir à l’idée que quelqu’un puisse être puni pour ses idées nauséabondes est-elle compatible avec la haute idée que je me fais de la démocratie et de son corollaire, la liberté l’expression ?
Le débat sur la limitation de la liberté d’expression tourne toujours autour de la question du micro tendu aux fachos et autres gros racistes bien lourds et peu fréquentables, ce qui permet immanquablement d’arriver à un certain consensus mou du bide et fier en gueule : le racisme, l’antisémitisme et tout ça, c’est mal, donc, ceux qui répandent ce genre d’idée doivent se faire bâillonner promptement. Ce qui affranchit de tout débat quant à la pertinence du juge et de la loi pour circonscrire notre droit pourtant fondamental à la parole.
La censure est-elle un mal nécessaire pour garantir nos libertés ou est-elle cette main de fer dans un gant de velours qui limite le champ du débat démocratique ? Peut-on débattre de démocratie avec des antidémocrates ? Ne débattre de démocratie qu’avec des gens parfaitement d’accord sur cette question, est-ce encore débattre ?
La vérité toute nue, celle qui n’est pas très bonne à s’avouer, c’est que nous nous accommodons tous parfaitement de la limitation de la liberté d’expression tant qu’elle ne concerne que les idées que nous réprouvons personnellement. L’inculpation de Picard me réjouit en son temps, qu’importe si la prescription l’a sauvé sur ce coup-là, mais quand on fait de Coupat un méchant terroriste essentiellement sur la base de son inclinaison vers des thèses anarchistes, mon petit museau se plisse de colère et me voilà gueulant avec les autres contre cet abominable délit d’opinion.
De la même manière, fallait-il hurler avec le reste du chœur des défenseurs des pensées saines quand Dieudonné a dérapé dans l’humour pas drôle, puis carrément dans la provoc’ à la truelle ? Dieudo nous faisait bien rire, puis, un sketch de trop et le voilà littéralement mis au ban de la société, pendant que les plus zélotes de ses détracteurs lancent des campagnes d’interdiction du bonhomme. Sans discuter du fond de la pensée de Dieudo autour du fameux sketch et après, est-il raisonnable de vouloir condamner un homme à la misère (interdiction tacite d’exercer son métier) parce qu’on n’aime pas ses opinions ?
Les idées se combattent avec d’autres idées. Pas des lois ou des jugements. Escamoter le débat, c’est se tromper de combat. C’est finalement laisser certaines idées se répandre gentiment dans l’ombre tandis qu’on fait semblant d’être tous d’accord sous la lumière. Condamner un Le Pen ou un Picard, c’est paradoxalement leur servir la soupe, les conforter dans leur posture du mec persécuté parce qu’il ose dire tout haut ce que tout le monde pense tout bas. Interdire un courant de pensée, parce qu’il véhicule ce qu’il y a de plus vil, de plus répugnant ne résout pas le problème, à savoir l’adhésion d’une partie de la population à ce type de discours. Ce n’est pas parce qu’on se bouche les oreilles que l’arbre cesse de tomber dans la forêt. L’interdiction n’éduque en rien, ne fait changer en rien, et c’est bien là le fond du problème.
Noam Chomsky s’est fait tancer pour avoir défendu Faurisson, ce qui était, avant tout autre malentendu, une grande déformation des faits. Chomsky ne défend pas Faurisson, il défend globalement une totale liberté d’expression, telle qu’elle est garantie dans la constitution des États-Unis. Ce qui permet aux nazillons et autres fondamentalistes chrétiens d’avoir accès au crachoir médiatique sans autre forme de procès, certes, mais qui garantit aussi que nul ne pourra être inquiété pour ses opinions.
Parce qu’à s’accommoder un peu trop facilement de la censure, on finit par oublier de regarder qui tient le curseur qui délimite ce qui peut être dit de ce qui doit être tu. Hier, c’est Picard qui se prend les pieds dans le tapis. Aujourd’hui, c’est un prof qui va au tribunal pour avoir dit "Sarkozy, je te vois".
Et demain, à qui le tour ?
Ce jour-là, je vaquais précisément à ma vaisselle, activité ô combien épanouissante pour l’esprit critique et le cuir des mains, surtout quand elle est pratiquée en écoutant les ondes hertziennes d’État, à savoir France Inter, lorsqu’une petite phrase au journal de midi tinta au creux de mon oreille : quatre mois de prison fermes étaient requis contre Christophe Picard pour apologie de crime de guerre. Un sourire béat se dessinait immédiatement sur mes lèvres, illuminant encore plus cette radieuse journée de juin 2008. Parce que Christophe Picard était une vieille connaissance, un débatteur chevronné et un fasciste assumé avec lequel je m’étais sauvagement affrontée par forum interposé aux grandes heures de l’Écho du Village.Org. Le Village était une sorte de communauté virtuelle regroupée autour d’un journal en ligne, avec force débats, charclage en ligne, modération et bataille d’opinions.
La vie démocratique, quoi !
Ce haut lieu de confrontation d’idées et d’égos fut donc fort logiquement entrepris par une nouvelle tribu venue d’une droite franche et sans fard, menée tambour battant par un fasciste affirmé et fier de l’être, adepte de l’entraînement quotidien à la rhétorique réactionnaire dans les piscines de gauchistes dont nous étions un fleuron. Henri de Fersan devint donc très rapidement le type qu’on aime détester. Il venait faire ses longueurs, à savoir, s’entraîner à retourner à son avantage les argumentations de gauchistes mal dégrossies. C’est à un foutu faf que je dois probablement mon premier concept politique, à savoir la contamination des esprits.
Fersan présentait bien dans ses textes, il dialoguait civilement, ne lâchait jamais le morceau et cherchait systématiquement à engluer ses détracteurs dans leurs propres contradictions. La clé de voûte de sa dialectique était de confronter les démocrates que nous étions et dont il ne se revendiquait pas du tout, avec les limitations de la liberté d’expression.
Peut-on parler de démocratie quand toutes les opinions ne sont pas exprimables ?
Et le Village de s’engueuler de plus belle.
Fersan avait des idées que je trouvais personnellement répugnantes et que je continue à combattre encore aujourd’hui, et c’est sûrement pour cela que la nouvelle de son inculpation pour apologie de crime de guerre sous son vrai patronyme provoqua en moi une grande vague de béatitude avant que le ressac ne me laisse comme une certaine amertume en bouche et un sentiment puissant d’incomplétude.
En effet, le délit d’opinion est-il soluble dans la démocratie bien talquée sous les aisselles ? Autrement dit, l’intense satisfaction que je pouvais avoir à l’idée que quelqu’un puisse être puni pour ses idées nauséabondes est-elle compatible avec la haute idée que je me fais de la démocratie et de son corollaire, la liberté l’expression ?
La liberté d’expression à géométrie variable.
Le débat sur la limitation de la liberté d’expression tourne toujours autour de la question du micro tendu aux fachos et autres gros racistes bien lourds et peu fréquentables, ce qui permet immanquablement d’arriver à un certain consensus mou du bide et fier en gueule : le racisme, l’antisémitisme et tout ça, c’est mal, donc, ceux qui répandent ce genre d’idée doivent se faire bâillonner promptement. Ce qui affranchit de tout débat quant à la pertinence du juge et de la loi pour circonscrire notre droit pourtant fondamental à la parole.
La censure est-elle un mal nécessaire pour garantir nos libertés ou est-elle cette main de fer dans un gant de velours qui limite le champ du débat démocratique ? Peut-on débattre de démocratie avec des antidémocrates ? Ne débattre de démocratie qu’avec des gens parfaitement d’accord sur cette question, est-ce encore débattre ?
La vérité toute nue, celle qui n’est pas très bonne à s’avouer, c’est que nous nous accommodons tous parfaitement de la limitation de la liberté d’expression tant qu’elle ne concerne que les idées que nous réprouvons personnellement. L’inculpation de Picard me réjouit en son temps, qu’importe si la prescription l’a sauvé sur ce coup-là, mais quand on fait de Coupat un méchant terroriste essentiellement sur la base de son inclinaison vers des thèses anarchistes, mon petit museau se plisse de colère et me voilà gueulant avec les autres contre cet abominable délit d’opinion.
De la même manière, fallait-il hurler avec le reste du chœur des défenseurs des pensées saines quand Dieudonné a dérapé dans l’humour pas drôle, puis carrément dans la provoc’ à la truelle ? Dieudo nous faisait bien rire, puis, un sketch de trop et le voilà littéralement mis au ban de la société, pendant que les plus zélotes de ses détracteurs lancent des campagnes d’interdiction du bonhomme. Sans discuter du fond de la pensée de Dieudo autour du fameux sketch et après, est-il raisonnable de vouloir condamner un homme à la misère (interdiction tacite d’exercer son métier) parce qu’on n’aime pas ses opinions ?
Les idées se combattent avec d’autres idées. Pas des lois ou des jugements. Escamoter le débat, c’est se tromper de combat. C’est finalement laisser certaines idées se répandre gentiment dans l’ombre tandis qu’on fait semblant d’être tous d’accord sous la lumière. Condamner un Le Pen ou un Picard, c’est paradoxalement leur servir la soupe, les conforter dans leur posture du mec persécuté parce qu’il ose dire tout haut ce que tout le monde pense tout bas. Interdire un courant de pensée, parce qu’il véhicule ce qu’il y a de plus vil, de plus répugnant ne résout pas le problème, à savoir l’adhésion d’une partie de la population à ce type de discours. Ce n’est pas parce qu’on se bouche les oreilles que l’arbre cesse de tomber dans la forêt. L’interdiction n’éduque en rien, ne fait changer en rien, et c’est bien là le fond du problème.
Noam Chomsky s’est fait tancer pour avoir défendu Faurisson, ce qui était, avant tout autre malentendu, une grande déformation des faits. Chomsky ne défend pas Faurisson, il défend globalement une totale liberté d’expression, telle qu’elle est garantie dans la constitution des États-Unis. Ce qui permet aux nazillons et autres fondamentalistes chrétiens d’avoir accès au crachoir médiatique sans autre forme de procès, certes, mais qui garantit aussi que nul ne pourra être inquiété pour ses opinions.
Parce qu’à s’accommoder un peu trop facilement de la censure, on finit par oublier de regarder qui tient le curseur qui délimite ce qui peut être dit de ce qui doit être tu. Hier, c’est Picard qui se prend les pieds dans le tapis. Aujourd’hui, c’est un prof qui va au tribunal pour avoir dit "Sarkozy, je te vois".
Et demain, à qui le tour ?