PS : après les fols de La Rochelle, le massacre de Reims ?
Le Parti socialiste veut-il réellement se doter d’un programme ? Tous les éléphants le serinent, mais rien n’est moins sûr. Les aventures désespérantes de Pierre Larrouturou et de la Nouvelle Gauche au sein du PS semblent le prouver. Brève incursion dans les coulisses de ce grand corps malade, entre altesses roses injoignables et appariteurs musclés.

La dame des non-32 heures
Mercredi 3 septembre, 9 h 58. Martine Aubry, maire de Lille et candidate putative à la direction du Parti socialiste, est l’invitée du 7-10 de Nicolas Demorand, sur France Inter. Après avoir manié une roborative langue de bois au sujet du panier de crabes qu’a constitué l’université d’été de La Rochelle, elle répond aux questions d’auditeurs, pour la plupart de gauche, sur l’absence de programme du PS. Un militant socialiste de Loos l’interpelle :
“J’aimerais bien poser une question à l’instigatrice des 35 heures. Il y a une étude qui a été faite par M. Larrouturou concernant la semaine de 32 heures. Que pense Mme Aubry des 32 heures qui pourraient créer 1,5 à 2 millions d’emplois si c’était réellement fait en France ?”
La “Dame des 35 heures” ne peut réprimer un soupir excédé et botte immédiatement en touche, comme si cette question ne lui avait pas été posée :
“Je voudrais d’abord parler des 35 heures. Les Français ont répondu à plusieurs sondages pour dire qu’ils étaient attachés aux 35 heures. Tout n’a pas été parfait, donc il faudra regarder, mais moi je suis tournée vers l’avenir. Il nous faut penser le temps tout au long de la vie en donnant des chances à ceux qui sont sortis tôt de l’école en leur donnant des années de formation, en permettant à ceux qui ont eu un travail pénible de partir plus tôt. Donc je travaille sur 35 heures”.
Nicolas l’interrompt alors et essaye de réitérer la question de l’auditeur : “Mais est-ce que les 32 heures pourraient être une hypothèse ?” Martine Aubry le coupe aussitôt : “Appliquons d’abord les 35 heures à tous les Français. La moitié des salariés seulement sont aux 35 heures ; ceux-là sont d’ailleurs contents”.
Pourquoi ce refus autistique de répondre précisément à la question posée ? Tout simplement parce qu’au PS Pierre Larrouturou dérange et irrite au plus haut point tous les clubs d’éléphants. Il dérange et irrite parce qu’il est très critique sur les 35 heures, une mauvaise réforme très mal appliquée qui n’a réellement profité qu’aux cadres moyens et supérieurs et qui, pour presque tous les autres salariés qui en ont “profité”, n’a eu pour effet que d’augmenter la pression sur les rythmes de travail et la flexibilité… ce qui a bien arrangé les affaires du patronat (c’était d’ailleurs un deal de Strauss-Kahn avec le Medef : accepter les 35 heures en échange de la flexibilité). Larrouturou dérange et irrite aussi et surtout parce qu’il a, lui, un véritable programme politico-économique authentiquement socialiste, c’est-à-dire quelque chose dont les éléphants roses ne veulent à aucun prix.
Ce programme, Pierre Larrouturou l’avait exposé dans son Livre noir du libéralisme paru en 2007 et préfacé par Michel Rocard. Un bouquin auquel les éminences de Solférino se sont bien gardées de donner le moindre écho tant le programme qu’il contient, issu d’une vaste réflexion approfondie sur l’organisation du travail, remue leurs conformismes assoupis de gestionnaires de baronnies locales s’entredéchirant pour être premier secrétaire à la place du premier secrétaire.
Je ne vais pas vous présenter le Nouveau Contrat social proposé par Larrouturou, dont la semaine de 32 heures est l’une des modalités axiales : cela a déjà été fait d’une manière détaillée dans ces deux articles. Il suffit ici de préciser que la semaine de 35 heures concoctée dans une totale improvisation et autoritairement imposée par Martine Aubry et Dominique Strauss-Kahn n’a strictement rien à voir avec les 32 heures hebdomadaires de Larrouturou, qui s’articulent, elles, autour d’un projet de transformation sociale mûrement réfléchi. Martine Aubry a donc été d’une profonde malhonnêteté intellectuelle lorsqu’elle a répondu “Appliquons d’abord les 35 heures à tous les Français”.
Mais peut-être trouvez-vous que j’exagère en écrivant que ce Nouveau Contrat social proposé par Larrouturou est “un véritable programme politico-économique authentiquement socialiste, c’est-à-dire quelque chose dont les éléphants roses ne veulent à aucun prix ?” Détrompez-vous : en tant que sympathisant du mouvement Nouvelle Gauche, je reçois régulièrement sa lettre d’information et suis donc tenu au courant de ce qui se passe dans les coulisses de la rue de Solférino, et c’est vraiment atterrant et consternant : toutes chapelles confondues, il y a au PS un véritable blocus pour empêcher de s’exprimer l’un des seuls responsables de ce parti qui ait des idées et un programme réaliste et progressiste.
Dans les coulisses affligeantes du PS
Dans la lancée de la création de Nouvelle Gauche, Larrouturou et ses amis ont lancé une pétition pour que le PS se remette enfin au travail afin de faire statutairement pression sur la direction. Le 25 mars 2008, François Hollande interdit le dépôt de cette pétition au Conseil national du PS, en arguant d’obscures problèmes statutaires. L’ambiance est si glaciale qu’à un moment Larrouturou se demande si des appariteurs musclés ne vont pas l’empêcher d’entrer dans la salle où se tenait le Conseil. Après négociation, Hollande finit par accepter que Larrouturou et les premiers signataires puissent remettre cette pétition le 1er avril, lors du Bureau national.
Poisson d’avril ! Le 1er avril, le directeur de cabinet de F. Hollande les traite d’“inconscients” et affirme qu’il est impossible d’organiser une Convention sociale et une Convention européenne d’ici l’été. “Au bout de 10 minutes d’un dialogue musclé, il conclut qu’on pourrait peut-être organiser une grande Convention (celle sur les questions sociales)”. Il est alors acté que la pétition sera donnée le soir même à tous les membres du Bureau national et des signataires qui sont membres du BN (Bureau national) auront le droit d’en parler, mais pas trop longtemps, et que les pétitionnaires pourront rencontrer François Hollande avant le BN du 8, pour parler avec lui du fond de cette demande. Le lendemain, ils apprennent que le texte de la pétition n’a pas été transmis aux membres du BN, ce qui n’est évidemment pas un oubli. Et finalement, Hollande s’arrangera pour être injoignable.
Les pétitionnaires de Nouvelle Gauche finissent par envoyer par courriel les 6 123 premières signatures de militants PS (“les seules qui semblent intéresser la direction…”, note Larroututou) et reçoivent en retour un courriel “Bien reçu”, mais sans proposition de rencontre. Et les éminences sont toujours injoignables, trop occupées par leurs cumuls de mandats… et leur refus implicite de prendre en compte une authentique proposition de programme socialiste.
Gros bras roses contre nouveau contrat social
Le 8 avril, Larrouturou arrive rue de Solférino et demande à voir le directeur de cabinet de Hollande avant que le Bureau national ne commence. Il refuse. Témoignage de Larrouturou : “Quand je fais mine de m’engager dans le couloir qui mène au BN, un homme de la sécurité me demande de revenir à l’accueil sur un ton peu amène. J’arrive à coincer Le Foll (dircab de Hollande) qui m’explique en termes peu châtiés que nous lui cassons les pieds (par écrit, mieux vaut ne pas répéter les termes exacts). ’Vous voulez foutre en l’air le calendrier décidé par le Conseil national’, dit-il. Je lui explique qu’il ne s’agit pas de foutre en l’air quoi que ce soit, mais seulement d’utiliser au mieux les deux mois qui restent avant les grandes vacances : si nous nous mettions sereinement au travail pendant ces deux mois, nous pourrions avoir un Congrès bien moins violent et bien plus intéressant… De deux choses l’une : soit ce travail aboutira à un consensus (ce sera alors notre nouveau projet social), soit il n’y aura pas de consensus et c’est le Congrès qui tranchera entre plusieurs stratégies possibles. Mais, si nous ne commençons par ce travail de fond, le Congrès sera moins violent et sera l’occasion de construire un projet très concret”.
Un Congrès non-violent et constructif ? Ça n’intéresse ni Hollande ni son dircab. Larrouturou toujours : “J’ai le malheur de rappeler à Le Foll qu’en 2003, déjà, ils nous avaient traité de ’casse-couilles’ quand, avec quelques amis, on leur avait dit qu’il y aurait un référendum et que le Non allait gagner si on ne faisait pas le maximum pour obtenir un Traité social (à l’époque, toute l’équipe de Solférino était convaincue qu’il n’y aurait pas de référendum et que c’est l’UMP qui allait éclater au moment de la ratification parlementaire du Traité…). Ce rappel a le don d’énerver Stéphane : ’Bien sûr. Bien sûr. Et c’est grâce à vous aussi qu’on a gagné les municipales !’, me dit-il, assez énervé”.
Voilà où en sont les éminences roses de Solférino : on veut leur parler programme, ils ne pensent qu’électoralisme. Consternant. Et même encore pire : pour éviter tout débat sur le fond, elles font appel à des gros bras : “Comme l’homme de la sécurité a appelé un de ses copains, plus balèze, et que le scandale n’est pas une façon de convaincre, je n’ai pas tenté d’aller au Bureau national. Quand j’ai quitté Solférino, Le Foll m’a dit qu’il allait donner notre texte à tous les membres du BN (ce qu’il n’a pas fait). Je suis sorti de Solférino absolument furieux. C’est quand même ahurissant dans un parti qui se veut démocratique, qu’on ne puisse même pas déposer une pétition signée par plusieurs milliers de citoyens et bon nombre de parlementaires. Voir un parti aussi verrouillé m’a vraiment mis hors de moi”.
Et pendant ce temps, Sarkozy lance ses réformes qui s’attaquent à tous les liens de solidarité dans les domaines de la santé, du Code du travail, des retraites, de l’éducation… Pourquoi le PS ne s’attelle-t-il pas à l’adoption d’un programme alternatif que Nouvelle Gauche lui présente sur un plateau ? Réponse dilatoire de Hollande à un élu signataire de la pétition qui lui demandait pourquoi ne pas se mettre à cet indispensable travail : “Il ne faut pas nous dévoiler trop tôt. Il faut laisser la droite avancer ses réformes et ne pas nous dévoiler trop tôt !” Ubuesque !
“Ne pas nous dévoiler trop tôt, lui a répondu l’élu abasourdi, c’est super astucieux comme stratégie. Mais il ne faut pas non plus nous dévoiler trop tard ! A force de ne pas nous dévoiler trop tôt, on n’a toujours pas compris quel était notre projet en 2002 et notre projet de 2007 était tellement faible qu’il n’a pas convaincu grand monde…” Ça n’a pas eu l’air d’inquiéter le premier secrétaire, trop occupé par les salades internes de son parti pour s’intéresser à de telles questions de détail.
Le massacre de Reims ?
Depuis le 21 avril 2002, le PS autistique a tenu deux Congrès "classiques" qui n’ont accouché que de grandes déclarations générales déconnectées du réel, à part peut-être la récente reconnaissance des racines philosophiques libérales du socialisme - mais n’est-ce pas aussi une sournoiserie pour légitimer le néolibéralisme économique dont de nombreux dirigeants sont les valets plus ou moins avoués ? Et le Congrès de novembre 2008 - le “massacre de Reims” ? - s’annonce très mal, la direction se montrant sourde aux plus de 7 400 militants PS et quelque 19 000 citoyens "non-PS" qui ont signé cette pétition.
Qui va succéder à Hollande, très autosatisfait de son bilan (selon Le Canard enchaîné, il n’avoue qu’une seule erreur en onze ans : “Le seul reproche qu’on puisse me faire, c’est de ne pas avoir assez fait de synthèse. Sur l’Europe, par exemple, j’aurais pu appeler à l’abstention lors du référendum. Je ne l’ai pas fait. On me l’a reproché” - affligeant, non ?) Aucune importance. Les candidats à la direction du PS sont interchangeables parce qu’aprogrammatiques, sans souffle, sans vision, sans projet autre qu’électoraliste.
Vincent Peillon a raison lorsqu’il déclare, à propos du Congrès de Reims : "Je pense qu’on y arrivera, si on fait attention à sortir une dizaine d’individus qui sont éternellement malfaisants, qu’on connaît, qui ont été de toutes les combines, et qui sont d’ailleurs assis au secrétariat national depuis vingt-cinq ans. Je pense que ces quelques malfaisants doivent maintenant gentiment prendre leur retraite. Ça fait vingt-cinq ans qu’ils pourrissent la situation, ça fait vingt-cinq ans qu’ils font des combinaisons, vingt-cinq ans qu’ils trahissent leurs propres amis. Et je pense que l’on peut faire sans eux. Après, il y a dans ce parti beaucoup de gens respectables ; donc on peut respecter une minorité : il y a une façon de vivre ensemble, même quand on ne pense pas la même chose sur tout. Mais il y a des gens qui pourrissent cette situation, qui ne respectent pas les règles collectives, qui font toujours des combines (…). Mais ils s’obstinent. Et ils peuvent nous tuer collectivement. Donc je dis basta ! Que tous ceux qui veulent vraiment du neuf, que l’espoir trouve son chemin, s’associent dans ce Congrès et qu’on ouvre un nouveau cycle politique”.
Mais en fait il se trompe aussi, vu qu’il est partie intégrante de ce panier de crabes où il a noué toutes sortes d’alliances opportunistes et tactiques, comme ceux qu’il dénonce. D’ailleurs, il n’a pas signé la pétition de la Nouvelle Gauche.
On comprend ainsi mieux la dérobade de Martine Aubry devant la question de l’auditeur militant socialiste de France Inter : non seulement le PS n’a pas de programme, mais il agit exactement comme s’il ne désirait pas en avoir. En politique (la vraie, pas la politicienne), on appelle ça du suicide.