Coupe Davis : La France vaincra-t-elle la malédiction de la terre-battue ?
A l’aube d’une nouvelle finale de Coupe Davis, les Bleus de Noah, tenants du titre, ont pris le pari de tenter de conserver le trophée en choisissant de jouer la finale sur la surface orangée. Un revêtement sur lequel les Tricolores se sont pourtant inclinés à cinq reprises depuis 1933…
Voilà maintenant plus de 85 ans que l’équipe de France de tennis n’a plus réussi à remporter la moindre finale sur sa surface originelle, celles que les Mousquetaires (Cochet, Lacoste, Borotra et Brugnon) avaient pourtant spécialement choisie et élaborée pour conserver le saladier dérobé sur les terres de l’Oncle Sam au début du siècle dernier. Vainqueurs à six reprises consécutives de 1927 à 1932, dont les cinq dernières sur terre-battue, les tennismen tricolores ont depuis également connu les affres de la défaite à cinq reprises (1933, 1982, 1999, 2002 et 2014) sur leur ancien revêtement de prédilection… Une situation paradoxale qui a amené de nombreux commentateurs, journalistes, observateurs et autres passionnés de la petite balle jaune à parler de véritable malédiction ! Dans cette optique, l’édition 2018 sera-t-elle enfin celle de la rédemption ? Flash-back et projection.
Coupe Davis 1933 : Merlin, le… désenchanteur !
Le malheureux André Merlin (à gauche)
Juillet 1933, la France, sextuple tenante du titre, affronte la Grande-Bretagne dans son antre de Roland-Garros. Invaincus à domicile depuis 1928, les Bleus du capitaine Lacoste partent à nouveau avec les faveurs des bookmakers malgré la présence du prometteur Fred Perry dans les rangs britanniques. De leur côté, les Tricolores abordent la rencontre avec les expérimentés (mais vieillissants) Cochet, Borotra et Brugnon, ainsi que le jeune André Merlin : 21 ans. Dépassé par l’évènement, le natif de Brazzaville va malheureusement passer à côté de sa finale. Sèchement battu d’entrée par Bunny Austin (6-3, 6-4, 6-0), il aura l’occasion de se racheter lors du cinquième match décisif. Revigoré par les siens, Merlin fera illusion pendant près de deux sets, avant de perdre définitivement pied (défaite 6-4, 6-8, 2-6, 5-7). Battue pour la première fois depuis 1927, personne n’image alors que la France devra s’évertuer quelques 58 années avant de pouvoir enfin récupérer son cher saladier !
Coupe Davis 1982 : Même Noah n’y arrive pas…
Loth, Noah et Leconte, sans solution face à John McEnroe & Cie
Un demi-siècle après son ultime sacre dans l’épreuve, l’Hexagone retrouve la ferveur de la Coupe Davis. Coachés par le truculent Jean-Paul Loth, les Bleus se sortent d’abord du piège sud-américain, arrachant la victoire aux forceps (3-2) face à l’Argentine de Guillermo Vilas. Dans la foulée, portée par un Yannick Noah alors en pleine ascension et un jeune loup nommé Leconte, la France déboulonne la Tchécoslovaquie d’Ivan « Le Terrible » Lendl à Roland-Garros, avant de disposer de la surprenante Nouvelle-Zélande. Hélas, en finale à Grenoble, malgré la terre-battue censée gêner les États-Uniens, la France buttera sur le mur « Big Mac » ! Le premier match opposant les deux leaders, McEnroe vs Noah, tournera au bras de fer en cinq manches (12-10, 1-6, 3-6, 6-2, 6-3) et c’est finalement le Newyorkais qui signera un impressionnant sans-faute (12/12) au terme de cette Coupe Davis 1982. Pour retrouver « leur » saladier, les Gaulois devront encore patienter…
Coupe Davis 1999 : « Nice people ? »
Cédric Pioline, inconsolable, après sa défaite face à Mark Philippoussis
Vainqueur de la Hollande de Krajicek et du Brésil de Kuerten grâce un excellent Cédric Pioline, la France a l’occasion d’empiler sa troisième Coupe Davis de la décennie après les succès de la bande à Noah (Forget, Leconte, Boetsch, Pioline, etc.) en 1991 et 1996. Déjà sacré trois ans plus tôt, Pioline est entre temps devenu le leader des Tricolores. Invaincu durant toute la campagne 1999, le finaliste de Wimbledon 1997 subira hélas sa seule défaite de la saison en Coupe Davis face à un Mark Philippoussis de gala. Et malgré le soleil de la Côte d’Azur, on apprendra par la suite que l’ambiance au sein du groupe France était loin d’être au beau fixe cette année-là, notamment entre Santoro et… Pioline ! Mais les querelles intestines n’expliquent pas tout et après la défaite, à Nice, le Francilien pointera pour la première fois du doigt le choix de la terre-battue : « Si j'ai un regret, c'est la surface. Moi, je n'étais pas favorable à ce qu'on joue sur terre battue : il fallait jouer sur nos forces ».
Coupe Davis 2002 : L’anathème PHM
Une cruelle défaite dont le Strasbourgeois ne se remettra pas…
Ironie du sort, après avoir laissé filer sa chance à la maison face aux Australiens, la troupe de Guy Forget est allée prendre sa revanche sur le gazon aussie en 2001, avec un Nicolas Escudé au sommet de son art en guise de héros ! L’année suivante, après avoir sorti les États-Unis en demie, les Bleus atteignent la finale pour la troisième fois en quatre ans et se présentent ainsi face à la Russie avec un statut de « tenants du titre » inédit pour eux depuis 69 ans ! Etoile montante, titré coup sur coup à Moscou (en battant Safin) puis à Lyon, le jeune Paul-Henri Mathieu sera lancé dans le grand bain par son capitaine. Hélas, via un scénario qui n’est pas sans rappeler celui qu’avait connu André Merlin, le week-end de l’espoir alsacien va tourner au cauchemar. Battu d’entrée par Safin, PHM sera pourtant réaligné lors du match décisif face à Youzhny où il mènera deux sets à rien et passera même à deux petits points du graal avant de s’écrouler… Un amer fardeau dont « Paulo » ne se débarrassera in fine jamais.
Coupe Davis 2014 : La montagne était trop haute !
Entre le Sarthois et le Vaudois, c’est le second qui aura le dernier mot
C’est dans un climat de psychodrame que la finale 2014 se prépare. Lié par un pacte établi en début d’année, Federer et Wawrinka se sont promis d’aller chercher ensemble le premier saladier de l’histoire du tennis suisse. Mais à une semaine du rendez-vous, les deux compères s’étripent au Masters. Un combat émaillé par le fameux « cry baby ! » lancé par Mirka (Federer) à Stan The Man. De surcroît, bien que vainqueur, le maestro sortira du duel avec le dos en compote… Côté tricolore en revanche, tous les voyants semblent a priori au vert. De bon augure ? Au final non, car mise à part la victoire (en trompe l’œil) de Monfils sur un Federer encore convalescent, la bisbille entre les deux champions n’aura aucun impact. Leader blessé et incompris, balayé par Wawrinka, Tsonga confessera qu’il n’aurait pas du jouer. En outre, à l’instar de Pioline en 1999, le Manceau regrettera aussi le choix de l’ocre à la place du dur. Ceci étant, peu importe le revêtement, on peine à croire que le résultat aurait pu être différent.
Le chaman Noah conjurera-t-il (enfin) le mauvais sort ?
Yannick Noah, le mage vaudou du banc bleu
Tenante du titre, la France a bénéficié de circonstances favorables avec l’absence quasi-systématique du leader adverse en 2017 : le Japon sans Nishikori, la Grande-Bretagne sans Murray et enfin la Serbie sans Djokovic ! Or, à moins d’un énième coup de pouce du destin, cela ne devrait pas être le cas pour l’échéance à venir : Cilic et Coric étant (pour l’heure) en pleine possession de leurs moyens (Coric s’est notamment offert le scalp de Roger Federer à deux reprises en 2018). De surcroît, les deux stars croates auront très certainement à cœur de prendre, raquette en main, la revanche du dernier mondial de foot. Et même si l’ocre demeure la surface qui réussit le moins à Cilic, ce dernier s’est quand même hissé en quart des deux ultimes éditions de Roland-Garros (aucun Français n’a fait aussi bien). De ce point de vue, la terre-battue est-elle un véritable choix tactique ou plutôt un petit péché d’orgueil de la part d’un Yannick Noah qui rêve assurément de mettre fin au sortilège pour sa dernière ?
La solution : Monfils et Simon ?
Noah avec Simon et Monfils, une image que l’on pourrait revoir fin novembre à Lille
D’un point de vue extérieur, on peut effectivement se demander si le pari de la terre-battue ne relève pas plus d’un désir du coach que d’une réelle volonté collective… Le double mis à part (la paire Mahut-Herbert a remporté RG cette année), les Bleus offrent en effet bien peu de références récentes sur ocre. Si l’on ajoute à cela l’absence de Tsonga (blessé) et les résultats très mitigés de Pouille et Gasquet, on se demande quels seront les deux Bleus alignés en simple pour défier la sélection au damier… La solution viendra peut-être de Gaël Monfils et de Gilles Simon ? Finaliste à Stockholm, le Parisien retrouve des couleurs en cette fin de saison. En outre, l’Antillais est (de loin) le meilleur Français sur terre-battue et sera ultra-motivé à l’idée de disputer la finale, lui qui n’avait pas pris part à la fête en 2017. Quant à Simon, titré à Metz en septembre, il présente un bilan très intéressant en face-à-face contre Coric (2-0), mais aussi et surtout contre Cilic (6-1) ! Et si c’était ça l’ultime coup de poker signé Noah ?
Lionel Ladenburger
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