Gilets jaunes : entre dérives populistes, déni climatique et chant du cygne pour la démocratie ?
Le rejet des élites, des structures représentatives, ou en stimulant les « bas instincts » d'individus, le populisme qui nourrit la majorité des gilets jaunes et rejette également toutes les contraintes climatiques, n'est-il pas aussi un « chant » du cygne de la démocratie ?
A l'origine le « populisme » est un mouvement politique russe de la fin du XIXe siècle qui luttait contre le tsarisme en s'appuyant sur le peuple et en prônant la transformation des communautés agraires traditionnelles. Mais depuis, sur le plan sociétal ce courant de pensée politique se caractérise par des aspects démagogiques en préconisant des solutions simplistes à des problèmes complexes de type sociaux, économiques et politiques. Le terme « populisme » sert aussi à dénoncer les démagogues qui mobilisent des populations par des promesses qui exacerbent les réflexes sécuritaires et flattent leurs « bas instincts » comme le nationalisme, la xénophobie ou le racisme. Pour les « populistes », la démocratie représentative fonctionne mal et ne tient pas ses promesses. Prônant une démocratie plus directe, grandement facilitée aujourd'hui par le numérique avec les réseaux sociaux, ils prétendent ainsi vouloir « rendre le pouvoir au peuple », en rejetant les structures représentatives et les élites qu'ils accusent de trahison dans la défense des intérêts du plus grand nombre.
« Boulangisme et Poujadisme » des mouvements populistes qui marquèrent pendant une période brève la vie politique de la France
A l'instar du mouvement des gilets jaunes d'aujourd'hui, la France a connu d'autres mouvement populistes. On peut citer le « Boulangisme » phénomène aussi violent que bref (1887-1889) qui met à l’épreuve la république dans son principe de représentation populaire. Entre sa première intervention à la Chambre, où le Général BOULANGER refuse la répression du mouvement de grève des mineurs de Decazeville et sa fuite en Belgique après avoir failli emporter la République dans un coup d’État, deux épisodes se détachent : la revue du 14 juillet 1886 à Longchamp et le départ forcé pour Clermont le 8 juillet 1887. En ces deux occasions, l’attitude bravache et la démagogie de BOULANGER n’ont eu d’égal que le délire collectif qu’il déclenchait : « C’est Boulanger qu’il nous faut », scandait alors le peuple de Paris. Plébiscité par les électeurs de la France entière, l’ex-général BOULANGER, ancien ministre de la Guerre, incarne l’homme providentiel pour des mouvances antiparlementaires extrêmes, de gauche comme de droite. Cette crise révèle les profondes tensions internes d’une France qui s’interroge à ce moment là sur son rôle dans le monde et d’une société qui peine à se structurer politiquement.
« Le Poujadisme » fut un mouvement syndical de colère des commerçants et artisans initié en 1953 par Pierre POUJADE, libraire-papetier du Lot. Il prend alors la tête d’un groupe d’une vingtaine de commerçants contre le contrôle fiscal mené par les agents vérificateurs, les « polyvalents ». Aux questions fiscales s’ajoute une opposition aux grandes entreprises, aux succursales et coopératives. Fin 1954 naît l’Union de défense des commerçants et artisans (UDCA) qui se déploie rapidement dans le sud de la France en comités locaux et unions départementales. A l'époque, ses 400 000 adhérents fustigeaient « les élus, les corrompus, les parasites, le parlementarisme d’affaires et les trusts internationaux », entre autres… Aux cris de « Sortez les sortants ! », le mouvement « Poujadiste » présenta des candidats aux élections législatives de 1956 et obtient près de 12% des suffrages (2 500 000 voix), et 52 députés, dont un certain Jean Marie LE PEN. Ce mouvement disparaît en 1958, dont une partie de ses membres se diluera dans le mouvement Gaulliste.
Peut-on comparer le mouvement des gilets jaunes avec les mouvements populistes tel que « Boulangistes » et « Poujadistes ».
Il y a incontestablement, par la forme des comparaisons qui ne peuvent être contestées quand il s'agit de remettre en cause les structures représentatives et les élites. Mais par l'usage qu'offre les nouveaux moyens de communication du numérique, notamment via les réseaux sociaux, le mouvement social initié par les gilets jaunes n'a strictement rien d'homogène d'un point de vue revendicatif et réfute pour l'instant toute organisation et leader, ce qui n'était pas le cas des deux précédents mouvements populistes (« Boulangisme » avec le Général BOULANGER et « Poujadisme » avec le libraire - papetier Pierre POUJADE). Excepté une minorité qui sont membres ou sympathisants de Partis politiques d'extrême gauche à l'extrême droite et rêvent d'une situation à l'Italienne, les gilets jaunes, bien que tous unis contre Emmanuel MACRON ne souhaitent pas franchir le pas pour fonder un mouvement politique et aller aux élections.
Paradoxalement, en fondant un mouvement politique, comme certains d'entre eux le souhaitent, avec une liste aux prochaines élections Européenne les gilets jaunes ne pourraient que favoriser LREM, donc Emmanuel MACRON, dont ils réclament la démission par leurs slogans de façon répétitive. Mais là encore, entre sondage actuel, réalité programmatique et électorale il y a un espace difficile à évaluer.
De nouvelles relations et rapports humains par affinité de groupes sociaux sur fond de conflits entre les différents niveaux de classe sociale
Le phénomène social « gilets jaunes », mais aussi par des pétitions, telle celle concernant le climat appelant au soutient des associations qui traduisent l’État Français en justice pour non respect engagements et inaction en faveur du climat et qui recueille près de deux millions de signatures, grâce au Web nous assistons désormais à un engouement particulier en faveur d'actions directes sans réelle structure organisationnelle, ni responsables. Une nuance toutefois avec les signatures de soutien qui sont faites en faveur des quatre structures associatives représentatives (Greenpeace, la Fondation pour la nature et l'homme (Fondation Nicolas HULOT), Oxfam France et l'association « Notre Affaire à Tous »). Quand on sait que les gilets jaunes assez nombreux signent cette pétition, c'est probablement plus contre Emmanuel MACRON qu'en faveur du climat. Nous entrons ainsi dans une nouvelle ère où chacun, par un simple »clic », grâce au numérique agirait dans le cadre de nouveaux rapports conflictuels par affinité sociale se traduisant plus, comme c'est le cas des gilets jaunes, par une opposition aux groupes sociaux d'un niveau plus élevé (instruction, position dans la hiérarchie de l'entreprise, train de vie), qu'au rapports de lutte de classe « prolétariat – capitalisme » traditionnels, mais aussi en rejet des élites et des systèmes représentatifs, ce qui est inhérent à toute forme de populisme.
Plutôt une critique de l’État providence que du libéralisme économique
Le mouvement social initié par les gilets jaunes, dont il faut rappeler qu'il n'a d'ailleurs strictement rien d'homogène d'un point de vue revendicatif, bien qu'il critique le « capitalisme », au-delà du classique pouvoir d'achat, de la contestation fiscale ou du référendum d'initiative citoyen (RIC) pour demander le départ d'Emmanuel MACRON, il ne remet pas en cause les fondements actuels de la société libérale. Il exprime simplement une réelle crise de confiance à l'encontre des élites et porte surtout une critique du fonctionnement de nos systèmes représentatifs, notamment, de tous les représentants traditionnels (syndicats, associations, partis politiques...) qui ne seraient plus susceptibles de « parler et agir au nom du peuple »… Nul doute qu'avec le Web par les réseaux sociaux, ils considèrent que ces systèmes représentatifs ne sont plus nécessaire, seul compte pour eux la démocratie directe via ce « support Web des réseaux sociaux ». Au fond n'est-ce pas plutôt une critique de l’État - providence par les gilets jaunes qui s'exprime, plutôt que le libéralisme économique ? La conjonction de la mondialisation économique et de la nouvelle révolution industrielle par l'innovation du numérique et des « intelligences artificielles » créait une situation inédite à laquelle s'ajoute la déliquescence des services publics qui illustre l'incapacité des élites à proposer des perspectives susceptibles de donner du sens à l'exigence de changement comme de l'accompagner efficacement. La France, comme d'ailleurs l'Europe, doit donc se réinventer, faute de quoi, avec une situation écologique par une croissance démographique aux effets climatiques catastrophiques, le mouvement des gilets jaunes risque de générer par l'inculture un régime autoritaire des plus violents.
Le climat grand perdant, dont au fond les gilets jaunes n'ont que faire
Par rapport à la situation écologique et au climat, force est de constater que la majorité des gilets jaunes rejoignent créationnistes et climatoseptiques de tous bords.
Certes, tous les gilets jaunes ne pas climatosetiques et encore moins créationnistes, pas plus que tous les climatoseptiques ne sont pas créationnistes, de même que certains courants créationnistes ne contestent pas l'évolution, mais tous ont un dénominateur commun : le climat et ses dérives, dues à l'action de l'Homme et de son nombre sans sans cesse croissant, ne sont pas leur priorité. Mais peut-on pour autant faire des procès d'intention qu'à eux seuls ? Alors que les principaux dirigeants des pays les plus impactant du climat qui ne sont ni gilets jaunes, ni créationnistes, ni climatoseptiques (sauf TRUMP) se comportent, malgré des discours très réalistes sur la gravité de la situation écologique de la planète, en véritables fossoyeurs du climat. Il faut souligner que le Président des USA Donald TRUMP, auquel curieusement les quatre associations qui attaquent en justice le Gouvernement Français pour inaction climatique bénéficie d'une indulgence choquante à son égard de la part de ces associations, dont l'une : Oxfam France est dirigée par la « verte » Cécile DUFLOT ex Ministre de HOLLANDE.
Qu'importe les dérives climatiques !
A l'instar des courants créationnistes qui refusent l'existence de l'évolution et, selon la genèse, s'en remettent à un dieu créateur de l'homme et de l'univers en six jours il y a un peu plus de six mille ans seulement, (un dieu qui régule tout, donc le climat) lorsque les gilets jaunes s'opposent à la taxe carbone et aux mesures qui affectent l'automobile érigée en nouveau guide du peuple, telles celles relevant les pollution lors des contrôles techniques, ils semblent se ficher royalement de l'impact sur l'air avec ses 48 000 morts en France et rejoignent ainsi, volontairement ou involontairement, les climatoseptiques. Justifier leurs revendications en faveur de la baisse des carburants en dénonçant les avantages fiscaux pour les avions et les bateaux, bien que réels ne saurait masquer ou excuser les désastres environnementaux des déplacements individuels par l'automobile. Comme les climatoseptiques, même si certains reconnaissent « le réchauffement » du climat, dont ils excluent la responsabilité de l'activité Humaine, pour « l'Homo faber - consumméris » Français au gilet jaune, créationniste ou pas, climatoseptique ou pas, son problème : ne plus payer de taxes, ou en payer le moins possible sur le carburant et pouvoir rouler beaucoup et à moindre coût dans son carrosse que lui envierait le roi Louis XIV, de manière à pouvoir aller plus souvent au Mac'Do du coin et consommer des produits, dont la plupart viennent de très loin, avec un coût carbone élevé de là bas en Asie… Même si une minorité d'entre eux peut s'interroger, pour la majorité des gilets jaunes le Climat et les COP 22, 23, 24 qui se succèdent et ne cessent de patiner, c'est bien le cadet de leurs soucis !
Un chant du cygne pour la démocratie ?
Il est évident que le Président Emmanuel MACRON et le premier Ministre Edouard PHILIPPE n'ont pas perçu des lames de fond de mécontentement qui traversaient le pays, dues essentiellement à des mesures prises trop rapidement, sans réelle concertation préalable et souvent de façon non cohérente. Des mesures prises de façon très verticale, en totale opposition avec la campagne électorale organisée par les militants LRM de façon très horizontale, dont à l'évidence se sont inspirés ultérieurement les gilets jaunes.
Des erreurs qui ont donné l'impression d'un Gouvernement et d'un parlement coupé du pays
Première erreur avec la suppression de la taxe d'habitation, pourtant bien perçue au départ par les citoyens, alors qu'il aurait fallu engager une refonte totale de la fiscalité locale par une concertation préalable des élu(e)s locaux. Cette refonte de la fiscalité locale étant précédée d'une réforme territoriale des communes, de manière à se mettre en cohérence avec les autres pays Européens en les réduisant des deux tiers sur la base des intercommunalités qui n'auraient, dès lors, plus lieu d'être.
Deuxième erreur avec la suppression de l'ISF, son transfert sur l'immobilier sans augmenter la base de taxation (1,3 millions d'euros) jugé trop bas alors qu'en sont exclus : les valeurs mobilières, bateaux, jets privés, chevaux de course, lingots d'or, œuvres d'art ou encore les placements (assurance-vie, actions). Le comble, bien que cela soit justifié par la suppression de la taxe d'habitation, les 3,4 milliards d'euros ainsi perdus par le budget de l’État sont compensés par la hausse de le CSG sur les retraites au-delà de 1400 euros mensuels, porté depuis à 2000 euros.
Troisième erreur avec la modification du statut des cheminots, sans toucher à celui d'autres professions encore plus avantageux, tel celui d'EDF ou de certaines banques, alors que l'on prévoit une réforme des retraites par point, ce qui peut être une bonne formule répondant aux exigences de notre temps, mais faute de pédagogie et annoncée au mauvais moment elle est perçue par l'opinion et les syndicats comme une remise en cause du système fondé sur la solidarité inter-générationnelle.
Quatrième erreur avec l'augmentation, cependant justifié, du prix des carburants, conformément aux engagements pris lors de la COP 21. Outre l'inquiétude des habitants des territoires ruraux délaissés de tous moyens de transports et dont la couverture internet ne permet pas le télé-travail, quand 74 % de l'économie relève du secteur tertiaire, faute d'explications et de justificatifs, une partie des Français interprétaient la taxe carbone comme un habillage écologique fiscal mensonger.
Cinquième erreur avec des remarques désobligées. Sans penser mal, mais venant du Président de la république elles ont de quoi heurter les sensibilités des personnes en difficultés, ainsi que d'une façon plus générale l'opinion, telles des choses du genre « les gens qui ne sont rien », et spécialement à ceux qui n'ont pas d'emploi, « ils n'ont qu'à traverser la rue pour trouver un boulot », alors qu'il y a 20 % de chômage des jeunes et qu'il est tout simplement indécent de prétendre que des personnes ne sont rien au motif qu'elles ne sont pas célèbres. Tout cela n'a pu que contribuer aux effets désastreux que l'on connaît.
Pour conclure
Est-ce une raison pour sombrer dans la démagogie, telle qu'elle peut être exprimée par les gilets jaunes, en cédant à ce que la démocratie d'opinion a de plus détestable ? La réponse est évidemment non. Nous avons des institutions que l'on peut et doit toujours améliorer. Attention toutefois avec le référendum « citoyen » afin qu'il ne fut pas un concours « LEPINE » de démagogie. Soit il est hautement filtré, et alors on se moque du monde, ou bien on laisse vraiment l'initiative citoyenne libre, et alors qui demandera quoi ? Les uns réclameront la peine de mort, bien qu'incompatible avec la charte des droits Européens, ou l'enfermement préventif de tous les fichés « S », quand d'autres réclameront la suppression du mariage gay, le SMIC à 3000 euros, ou encore la suppression des impôts sur le revenu et en même temps plus de services publics, etc. etc.